L’économie circulaire, on en parle beaucoup par ces temps de transition écologique. Pourtant, en évoquant cette question, on ne traite qu’une petite partie du sujet. La notion de circularité est plus englobante car elle possède une dimension systémique : circularité en matière écologique, sociale, politique, voire culturelle et philosophique. Une notion intuitivement plus signifiante et motivante, pour les citoyens au sens large, que les notions de « développement durable » de « biodiversité » ou de « transitions énergétiques », voire d’« économie verte » notamment. Des thèmes encore souvent perçus par beaucoup comme trop abstraits et lointains. En revanche, avec le concept de circularité, chacun, qu’il s’agisse des jeunes en particulier mais aussi des acteurs des secteurs économiques ou publics, politiques ou associatifs, ou « simples citoyens », s’y perçoit d’emblée comme « partie prenante » ! Jacques de Gerlache plaide dans cette tribune pour la redécouverte de la circularité dans le contexte actuel de métamorphose de nos conditions d’existence.
Le concept d’économie circulaire s’inspire notamment des écosystèmes naturels, en particulier ceux des végétaux, les « producteurs primaires », qui fonctionnent en boucles. Ils contribuent à leur propre résilience en optimisant le recyclage de leurs ressources peu ou pas renouvelables, telles que les substances minérales. Il est bien établi aujourd’hui que toute structure, qu’elle soit physico-chimique, biologique, écologique ou sociétale, n’existe que, parce que, tel un cyclone, elle favorise par sa structure localement organisée, la désorganisation ou uniformisation de l’énergie du système global qui la génère, ceci en maximalisant la dissipation de cette énergie. Un paradoxe toujours mal compris mais fondamental, comme l’a démontré Ilya Prigogine, prix Nobel de chimie en 1977.
Ainsi la vie végétale est apparue du fait de sa capacité entropique de dissipation de l’énergie sous forme de chaleur : 90% de l’énergie captée par une forêt est dissipée par évaporation de l’énergie accumulée par la planète. Et les formes de vie « animales », humanité comprise, en sont dérivées parce que maximalisant à leur tour la dissipation de l’énergie accumulée par les structures végétales. Mais, à la différence du cyclone, l’humanité a la capacité de prendre conscience, si elle veut (sur)vivre, de sa dépendance de cette limite à ne pas franchir d’épuisement des ressources non renouvelables qu’elle consomme et dissipe. Ceci en réduisant au minimum le gaspillage prédateur des ressources naturelles ainsi que les impacts de leurs déchets, polluants toxiques et émissions atmosphériques, il s’agit de « briser le lien entre désavantages environnementaux et avantages des biens économiques ».
Dans ce contexte, bien plus que les notions de « développement durable », de « transition énergétique » ou d’ « économie verte » , cette notion de circularité est intuitivement beaucoup plus signifiante et mobilisante pour les citoyen(ne)», jeunes en particulier, mais aussi au sein des secteurs économiques ou publics, politiques ou associatifs, chacun(e )s’y percevant d’emblée comme » « partie prenante » !
En période de crises mondialisées, les gouvernants peuvent et doivent donc être incités, voire contraints à accélérer, et surtout à mieux orchestrer, ces évolutions en créant les dynamiques d’une circularité des pratiques dans toutes leurs dimensions et en incitant les « consommateurs/trices » à y contribuer activement. Cela leur impose d’harmoniser opérationnellement les programmes d’action et les responsabilités d’exécution, tant collectives qu’individuelles ; ceci au travers d’incitants, de législations cohérentes, d’indicateurs de suivi appropriés à même de rencontrer ces objectifs et accompagnés aussi d’une gouvernance en temps réel beaucoup plus stricte et rigoureuse des programmes d’action.
C’est ainsi qu’une démarche de gestion circulaire, pour ne pas dire systémique, de nos sociétés dans la multiplicité de leurs dimensions interactives irréductibles et au-delà de la seule économie (écologiques, énergétiques, sanitaires, sociales, financières, géopolitiques et technologiques), est urgente et incontournable. Ce qui impose, comme le suggère Bruno Colmant, une métamorphose des processus de leur gestion dépassant les limites des modèles libéralistes et socialistes des siècles précédents par la restauration, d’un Etat stratège cohérent et protecteur qui soit le point d’ancrage d’un projet solidaire. Un Etat orchestrateur de ces projets circulaires harmonisés et soutenables qui, en y intégrant activement tant les citoyen(nes) que les entreprises, transcendent les risques de chocs écologiques et sociétaux pour épouser la modernité et le développement d’un bien-être éco-lo-no-mique collectif plus que celui d’’un bien-avoir prédateur.
Une stratégie de circularité qui, dans la pratique, passe notamment par la valorisation du recours à la fonctionnalité d’un service plus qu’à la possession du bien qui le procure : le partager, le prêter, le louer, l’échanger, le donner. Cette notion de découplage entre les utilisations des ressources pour la création de valeur et, d’autre part les effets de leurs impacts était déjà définie en 2001 par l’OCDE : « En réduisant, réutilisant et recyclant (les 3R), une telle stratégie permettra de mieux répondre aux enjeux de durabilité des réponses aux besoins fondamentaux tout en poursuivant la capacité d’’améliorer le bien-être et la qualité de vie. ».
Les stratégies politiques doivent donc encourager dans tous les secteurs la réduction du « bien avoir », et donc la production de biens matériels, en favorisant la valorisation d’un « bien-être » lié à une optimalisation de leurs utilisations. Une bonne nouvelle est que, selon le rapport du GIEC 2022, depuis quelques années, on observe un tel découplage entre PIB et émissions de GES. Néanmoins, cet effet de découplage, lorsqu’il se produit, n’est parfois observé que pendant des périodes assez courtes et ne concerne que certaines ressources ou formes d’impact, du fait notamment d’effets « rebonds », vers d’autres types de consommation. Cette circularité ne doit donc pas se limiter à des simples politiques de recyclage ou de réduction de pratiques comme celles d’obsolescence ou d’usage unique. Le véritable enjeu est bien d’adopter des stratégies de la circularité systémiquement intégratives de l’ensemble des différentes dimensions sociétales évoquées.
Le défi est donc de (nous) (vous) mobiliser pour générer au niveau planétaire un tel modèle sociétal d’éco-lo-no-mie circulaire réellement opérationnel et dont la résilience et les capacités de répondre aux besoins de bien-être des générations actuelles et, surtout, futures, sera (mieux) assurée.
Ce qui impose une (r)évolution fondamentale de nos perceptions, de nos concepts, de nos mentalités et de nos pratiques, tant individuelles que collectives. Au lieu de se concentrer sur un seul problème à la fois dans une approche traditionnellement réductrice, il s’agit d’être collectivement en mesure : d’intégrer simultanément l’ensemble des différentes dimensions qu’impliquent de tels découplages, d’une part, et d’autre part d’adopter enfin à cette fin les méthodologies opérationnelles d’analyse et de management réellement intégratives qui ont déjà largement fait leurs preuves.
Un exemple d’opportunité pour les États stratèges qui pourrait être décisive pour stimuler et rendre possible les premières étapes économiques de ces transitions serait d’agir via les marchés publics comme catalyseurs de la demande des services et produits innovants et plus soutenables issus de projets d’éco-lo-nomie plus circulaire. Notamment pour favoriser les initiatives et les entreprises pionnières investissant dans la circularité en y intégrant le coût de leurs externalités et de leur (re)localisation. Ce qui, au départ, se ferait souvent au détriment de leur compétitivité.
Jacques de Gerlache, Éco-toxicologue, professeur à l’institut Paul-Lambin à Bruxelles. Conseiller scientifique auprès du Conseil fédéral belge du développement durable. Manager du site greenfacts.org