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L’homme digital dans le monde globalisé

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Le digital n’est ni neutre ni déterminant !

Dans un monde complexe où local et global sont inséparables et se définissent l’un l’autre, où les dimensions matérielle
et digitale de nos existences sont liées, en continuité l’une de l’autre, les médias ne sont plus des « instruments » de
communication, mais font partie intégrante des « environnements » d’expérience, de relation, d’organisation.
Une ère nouvelle a débuté : la société du spectacle à sens unique laisse place à une société immatérielle librement connectée.

De « esse est percipi » (être, c’est être perçu), on passe à « esse est cum-di-videre » (être, c’est partager). Depuis les années 90, le monde contemporain se caractérise, avec la disparition des frontières entre les médias et l’environnement, par la « convergence » et la « post-médialité ». Le digital est un ensemble de pratiques, de moyens, de cultures qui facilitent la ré-médiation des médias : les « nouveaux » médias n’effacent pas les anciens, mais leur sens comme leurs pratiques changent.

Chiara GIACCARDI refuse, comme Evgeny MOROZOV, aussi bien l’internet centrisme, qui verrait dans tout changement politique ou social un effet d’internet, que toute forme de cyber-utopianisme, qui occulterait les aspects négatifs du réseau, ces utopies et dystopies qui dépeindraient le réseau comme étant capable soit, d’annuler les inégalités sociales soit, au contraire, de rendre dépendant, d’affaiblir les liens, ou d’étendre et rendre la surveillance plus efficace. A son avis, respectons plutôt la complexité du digital et brisons les dichotomies en ligne/hors ligne, matériel/digital, réel/virtuel : le digital n’est ni neutre ni déterminant ! 

Le digital est un langage et un territoire

Le digital est un langage (un code à apprendre) et un territoire (un lieu à habiter, à rendre habitable). L’être humain ne se contente pas de s’adapter, de se laisser déterminer par le milieu ; il habite et façonne l’environnement. Habiter ce
monde « mixte » est pour lui l’occasion de plus de liberté, de créativité, d’une réalisation de la plénitude de son
humanité, même s’il ne faut pas nier le risque pour lui de se laisser « conditionner » et modeler par la technologie.

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Pour Chiara GIACCARDI, il faut déconstruire ce qu’elle appelle la théorie des « Trois D » : le déterminisme technologique (la technologie est indépendante et capable de nous déterminer en fonction de ses caractéristiques), le dualisme digital (le monde numérique est virtuel, seul le physique est réel) et le décalage générationnel (comprendre, valoriser les logiques de réseau : interactivité, relationnel, horizontalité, partage).

Dans un monde digitalisé et connecté, ce n’est pas le réseau qui « fait », mais l’être humain. Les réalités matérielles et numériques se construisent dialectiquement : la réalité est technologique et organique, physique et numérique, les deux ensemble et dans le même temps. Il n’y a pas d’opposition ontologique entre les deux, leur synergie doit être au contraire renforcée.

Le réseau a accompagné et soutenu le modèle « quantitatif » de l’exploitation intensive des ressources, faisant vaciller
l’illusion néolibérale de la croissance infinie. À un modèle qui, côté production, visait la croissance pour la croissance et une consommation inconsidérée des ressources, correspondait côté consommation, un modèle de consommation
individualisé, basé sur l’endettement et accélérant le processus de prolétarisation des personnes décrit par Bernard
Stiegler.
Photo illustration : Chloé Leys (“L’atelier de CL’artiste”)

 

Dans l’ère digitale, le réseau amplifie le processus de globalisation en soutenant, connectant et alimentant des
flux croissants de personnes, d’informations, d’argents, la mobilisation politique et les initiatives économiques. De
nouveaux entrelacs se forment entre, d’un côté, l’enracinement à un lieu et une histoire, et de l’autre, l’ouverture au
global et aux différences. Les technologies relationnelles et réticulaires constituent un milieu favorable à de nouvelles
formes d’association et de mobilisation citoyennes, dans une logique « ascendante » et un espace décentralisé et
« horizontalement » distribué.

Les technologies du numérique rompent avec le modèle économico-politique dominant, facilitant le passage d’un
modèle productiviste et consumériste, déresponsabilisant les acteurs, à une économie de la contribution selon Bernard
Stiegler, reposant sur des relations de coopération entre acteurs économiques et des nouvelles organisations du travail, fondées sur l’augmentation du savoir des travailleurs, la sociabilité des individus et la responsabilité collective : une
économie des existences, productrice de savoir-vivre, autant qu’une économie des subsistances.

Le modèle dominant de développement fait place à un modèle plus soutenable, respectueux des différentes écologies humaines, sociales, environnementales, qui tient compte de la demande d’un retour de lien social fort. Cette création de « valeur partagée », économique, sociale, humaine et environnementale, contribue au bien commun en valorisant les principes fondamentaux de dignité de l’être humain, de solidarité, d’éco-soutenabilité et d’équité sociale.

Qu’est-ce que l’homme digital ?

Pour Chiara GIACCARDI, ce nouveau contexte économique et technologique global conduit à repenser la dimension
anthropologique du digital. Partant de l’idée que l’homme digital est un homme en relation – un « être-avec » plutôt
qu’un « avoir » – elle propose deux visions de cette relation entre l’homme et la cyber technologie : celle d’un homme
inachevé (l’homme, marqué par une insuffisance, doit être aidé par la technique) qui souligne un manque et un besoin
de compensation et celle, plus symbolique, d’un homme excédent (la technique est le fruit de la créativité, de
l’ingéniosité de l’esprit humain) qui admet un « au-delà » du technique. « La technique est une réalité profondément
humaine, liée à l’autonomie et à la liberté de l’homme. Elle exprime et affirme avec force la maîtrise de l’esprit sur la
matière. […] C’est pourquoi la technique n’est jamais purement technique. » (cf. Caritas in Veritate n°69).

A ces visions se connectent deux modèles anthropologiques : celui d’un homme auto-suffisant (le self made man qui prétend se faire par lui-même, pour qui les autres sont des obstacles à sa propre réalisation) et celui d’un homme interdépendant (l’homme reçoit la vie des autres et a un besoin constant de reconnaissance).
Si le « Soi contextuel » se réalise à travers les liens, le « Soi relationnel » n’est libre qu’avec les autres, pour les autres et grâce aux autres. Le réseau met bien en évidence la centralité de l’interconnexion, ouvrant ainsi à deux interprétations anthropologiques : celle prenant pour acquis le paradigme individualiste – le réseau est un outil qui construit des ponts entre les individus (cf. « L’individualisme interconnecté » de Manuel CASTELLS et Barry WELLMAN) – et celle centrée sur le « être-avec » présente chez les philosophes Paul RICOEUR, Emmanuel LEVINAS ou Michel de CERTEAU, où le digital ne « produit » pas la relation mais se constitue comme « territoire-soutien » de cette vérité de l’humain.

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Quelle vie pour la famille humaine dans l’ère digitale globale ?

Rappelant les paroles du pape François, « aujourd hui, nous vivons dans un monde qui devient de plus en plus petit et
où il semblerait alors facile de se faire proches les uns des autres. Le développement des transports et des technologies
de communication nous rapprochent, nous connectant toujours plus, et la mondialisation nous rend interdépendants… »
(cf. 48èmes Journée Mondiale de la Communication), Chiara GIACCARDI explique que les médias ont réduit le monde à un « village planétaire » (le « village global » de Marshall McLUHAN).

Ce monde plus petit augmente les possibilités de connexion, sans augmenter la capacité de communiquer, de produire de l’empathie et de la fraternité. Le risque réel est celui de la mondialisation de l’indifférence, comme l’a rappelé à Lampedusa, en juillet 2013, le pape François : « Dans ce monde de la mondialisation, nous sommes tombés dans la mondialisation de l’indifférence. Nous sommes habitués à la souffrance de l’autre, cela ne nous regarde pas, ne nous intéresse pas, ce n’est pas notre affaire ! ».

Le « village global » montre une télé-réalité où selon Zygmunt BAUMAN « ce qui est mis en scène, c’est la jetabilité,
l’interchangeabilité et l’exclusion et produit comme effet collatéral une « humanité de rebut », face à laquelle la
réponse ne devrait pas être l’émotion, mais la prise de conscience et la liberté de dire, à la suite du pape François, « oui,
je suis le gardien de mon frère ».

De cette inégalité provient de l’exclusion : « La mondialisation a sauvé de nombreuses personnes de la pauvreté, mais elle a condamné beaucoup d’autres à mourir de faim, car avec ce système économique, la mondialisation devient sélective. La mondialisation à laquelle pense l’Église ne ressemble pas à une sphère dans laquelle chaque point est équidistant du centre, où donc on va perdre la particularité des peuples, mais à un polyèdre, avec ses différents visages, pour qui tous les gens conservent leur culture, leur langue, leur religion et leur identité. La mondialisation actuelle, qui est sphérique, économique et surtout financière, produit une seule pensée, une pensée faible. Au centre, il n’y a plus la personne humaine, seulement l’argent » (cf. pape François)

Le réseau peut-il connecter les différents visages de ce polyèdre ? Comment valoriser le visage humain de la globalisation
digitale ? S’appuyant sur la Bible, Chiara GIACCARDI estime qu’une vie digne est une vie qui sait à la fois cultiver et garder
car « cultiver » sans « garder » conduit à une exploitation dévastatrice du monde et des gens et « garder » sans
« cultiver » est mortel. De la prise de conscience de l’interdépendance peut dériver un principe de valorisation des
ressources et à la réalisation de soi dans un circuit égotique peut être opposé le circuit génératif : désirer l’autre, mettre
au monde biologiquement et symboliquement, prendre soin, donner. Le réseau peut être un lieu d’expérience,
d’apprentissage, où donner forme et caractère concret à la valeur, tout en l’affirmant.

Mais faut-il encore aller « regarder », c’est-à-dire être capable d’un regard nouveau qui permette de rejoindre l’autre, d’être touché, d’éveiller notre humanité anesthésiée, de prendre soin du frère, de réparer ce que les autres ont endommagé.

« Dans ce monde, les médias peuvent contribuer à nous faire sentir plus proches les uns des autres, à nous faire percevoir un sens renouvelé de l’unité de la famille humaine, qui pousse à la solidarité et à l’engagement sérieux pour une vie plus digne. Bien communiquer, nous aide à nous rapprocher et à mieux nous connaître les uns les autres, à être plus unis » déclare le pape François (cf. 48èmes Journée Mondiale de la Communication).

Dans le « village digital », on peut donc répondre à la globalisation de l’indifférence par une nouvelle proxémique des relations digitales. A partir de cette anthropologie renouvelée qui alimente, avec la tradition chrétienne, le nouvel environnement digital, une société générative est possible, capable de libérer le désir de la simple jouissance, de mettre au monde quelque chose qui vaille de dépenser sa propre vie, de transmettre un héritage qui sera à son tour régénéré, pour répondre à l’invitation du pape François :  « N’ayez pas peur de devenir les citoyens du territoire numérique ! ».

Denis GANCEL considère le concept de « territoire » central pour réfléchir à l’homme digital dans la globalisation, car c’est à partir du territoire que l’humanité s’est construite et mise en mouvement, pour le défendre ou le conquérir. On assiste à « une migration de masse d’une population vers un nouveau continent » (cf. La condition numérique, Bruno PATINO et Jean-François FOGEL), qui fait l’apprentissage de nouveaux comportements et de nouveaux usages, en de multiples mises à jour successives et accélérées. Ce territoire peut se définir par quatre piliers : des lieux, des emblèmes, des récits et des interactions, tous impactés par la révolution digitale, d’où le choix de Denis GANCEL d’en faire les quatre points de sa réflexion. 

Des lieux sans frontières 

La globalisation n’est pas celle annoncée. Elle est complexe et non « standardisatrice » comme l’a dit Théodore LEVITT. Elle est identitaire (il faut désormais habiter un lieu pour être partout chez soi, selon Andrea RICCARDI), apolaire (il n’y a plus de pôles) et concerne les secteurs privés comme publics. Si elle était autrefois une affaire d’États, aujourd’hui les entreprises et les marques en sont des acteurs essentiels. Alors, où placer la révolution digitale dans ce monde-là ?

Pour Denis GANCEL, la révolution digitale est la force motrice de la globalisation, qu’elle met en mouvement et accélère, avec pour effet induit de dynamiter les frontières : le digital est une technologie dont les maîtres mots sont « ouverture » et « réseau ». Mettre une frontière dans ce monde-là apparaît une protection, une frilosité. Restent deux choix possibles : « la résistance » ou « l’hybridation ». La question est de savoir quel est l’impact de cette déterritorialisation sur l’homme digital. 

Des emblèmes sur-diffusés 

La science de l’héraldique est née du besoin, sur les champs de bataille, de savoir pour qui, avec qui, au nom de quoi et contre qui on se bat. Tout se passe comme si l’homme digital était, dans un monde ouvert, à la recherche de repères. C’est vrai pour les entreprises, qui développent des stratégies de marques mondiales avec des « internet brand policies » visant à converser avec leurs clients qui ne sont plus des cibles depuis que le digital leur a donné, à l’échelle mondiale, le pouvoir de partager leurs centres d’intérêts, de prescrire ou de nuire, en un seul clic !

C’est vrai aussi pour les pays, habités d’« e-citoyens » du monde, qui voient dans le digital l’opportunité de disposer
d’une audience mondiale à moindre coût et développant des stratégies de marques « pays ». C’est vrai enfin pour les
individus, l’employabilité de chacun reposant sur sa capacité à être connecté et actif sur le réseau. Les emblèmes
procurent un nouveau rapport à l’image qui n’est plus seulement illustration mais message. La « data visualisation » se
développe, mais ce « tout image » présente aussi des risques : le digital est chronophage, la dépendance aux
technologies devient une maladie avérée dans le monde entier, notamment chez les jeunes. Conséquences directes :
baisse d’attention, perte de mémoire et troubles du sommeil. D’où la question : comment mesurer l’impact du digital
sur nos identités, nos personnalités, notre « vivre ensemble » ?

Des récits mémorisés et commercialisés

C’est là que la révolution digitale questionne le plus. Les récits de ces nouveaux territoires relèvent plus de l’expérience que de la connaissance. L’expérience, qui était un apprentissage lent et personnel, devient numérique et se transforme en flux express (2013 a vu la production d’autant de données que sur toute l’histoire de l’humanité). Il y a là, pour Denis GANCEL, une bonne et une mauvaise nouvelle.

La bonne nouvelle, c’est l’économie de l’expérience qui permet à l’homme digital d’accéder à tout, la révolution des récits et des contenus donnant lieu à une créativité extraordinaire. Le digital est un territoire créatif, foisonnant, auquel tout le monde accèdera à très court terme. La mauvaise nouvelle, c’est que toutes ces data laissent une trace, une empreinte. Ce nouveau territoire possède une mémoire à l’infini qui « retient tout ». L’internaute est dépassé par son ombre numérique puisqu’il n’est pas le producteur volontaire des données stockées le concernant.

Le nouveau Big Brother s’appelle « Big Data ». Le digital devient un « business model » où consommateurs et citoyens deviennent les modèles vivants, volontaires, de machines plus ou moins bien intentionnées qui tracent et mémorisent, via Google et autre Facebook, leur portrait pour les exploiter. Cette culture digitale n’a pas de prix : le produit, c’est chacun de nous qui payons l’interface et le fournisseur d’accès mais cédons gratuitement les data. Les coûts du numérique sont pourtant bien réels, notamment sur le plan énergétique (consommation des Smartphones, des ordinateurs, coûts des serveurs de stockage, coût des téléchargements). D’où la question de savoir comment protéger nos récits et qui arrêtera Google.

Des interactions sans engagement 

Internet n’est plus un média dès lors que tout récepteur est un diffuseur potentiel.
Le monde n’est pas globalisé, il est connecté ! La question posée à l’homme digital est donc celle du lien, de « l’attention portée ». Dans la vie numérique, on ne se présente plus comme une personne, mais comme une récolte de liens.
L’homme digital a le sentiment d’être à la fois immensément présent et totalement dispersé, sans jamais vraiment
s’engager. D’où , la cohabitation dans ces nouvelles interactions de trois langages : la parole, le texte et le code. Le code est le seul langage commun aux humains et aux machines et crée des effets par lui-même : le réseau « agissant » est une pharmacopée, puisqu’il connecte, soigne, guérit, protège, fait rire, distrait, fait le bien, mais peut aussi bien tuer,
manipuler, violer, tricher, vendre de la drogue, mentir, faire le mal.
Le digital n’est donc plus une frontière opposant le réel au virtuel. Une part importante de la vie « réelle » – activité professionnelle, échanges économiques, éducation, élans affectifs – se passe sur le réseau, la question étant de savoir comment faire des “interactions connectées” une véritable source de sociabilisation et d’attention portée ?

Pour Denis GANCEL, le digital est devenu un véritable enjeu de souveraineté. A force de tout savoir sur nous, le réseau ne développe des interactions qu’avec ceux qui ont été pré-ciblés, prédéfinis comme compatibles ou ressemblants. Les
objets entrent au cœur de notre humanité digitale, devenant les assistants personnels de nos vies.

Il est de plus en plus impossible de rester à l’écart de ce mouvement : en dessinant un nouveau territoire, avec ses lieux, ses emblèmes, ses récits et ses interactions, la connexion permanente appartient désormais au champ social et non plus aux seuls médias.
S’il est important de naviguer dans ce nouveau territoire pour en mesurer toutes les opportunités, en y entrant, on en
mesure les dangers et l’urgence de définir des règles pour mieux garantir les libertés individuelles.

Pour résumer les débats, plusieurs paroles ont conforté l’idée qu’avec le digital, on vit bien quelque chose de nouveau et
que le basculement vers ce nouveau monde est inéluctable ! Il est important de comprendre et donc d’explorer ce
nouveau territoire. Tout en reconnaissant que le réseau peut être un lieu de danger, beaucoup estiment qu’il est aussi
un lieu de grandes opportunités. Le défi qui nous attend est donc d’arriver à conjuguer « communiquer » et « signifier », comme l’a bien rappelé Chiara GIACCAR.

La question importante de la protection des libertés a été pointée et en particulier de ce territoire qui façonne nos
personnalités, unit nos corps et nos âmes, ce territoire que nous connaissons, explorons, qui nous interpelle. Or,
aujourd’hui, on est mis devant la nécessité d’habiter, en même temps, plusieurs corps et plusieurs univers.

Baptiser le digital de « territoire » n’est-ce pas aussi poser la question de l’impact du numérique sur la relation âme/corps ? Est-on toujours « un » d’âme et de corps dans le numérique ? Ou reçoit-on un autre corps avec lequel on va visiter un habitat ou échanger avec des gens ? Reçoit-on aussi une autre âme ? Mais, comme cela a été suggéré, ne peut-on pas dans le numérique avoir un corps avec plusieurs âmes puisque, d’une certaine façon, le numérique crée de nouvelles
communautés faites de plusieurs âmes ? C’est là sans doute une question délicate posée par le digital à la théologie.
Question d’autant plus difficile que peu de penseurs ou philosophes se sont encore penchés sur ce domaine, qui ne peut pas se contenter d’être pensé mais qu’il faut pratiquer.

A ce titre, les 60 % de personnes non encore connectées dans le monde sont une réalité qui renvoie à celle des
aspirations d’un monde « multipolaire » idéal, formulées du temps du monde « bipolaire » et du monde « unipolaire »
qui ont organisé les relations internationales depuis la seconde guerre mondiale, mais non satisfaites puisqu’il a fait
découvrir plutôt la sauvagerie, un darwinisme international renouvelé, un système international qui a modifié les
rapports de force et laissé la place à un monde aujourd’hui en recomposition, un monde en voie de « multipolarisation »
qui voit se multiplier de nouveaux pôles de puissance, de types médiatiques ou constitués par affinités, des polarités
géographiques à l’exemple des Nations Bundle, pactes de nations qui veulent avancer groupées, notamment en matière
de commerce international.

Même si les risques du digital sont énormes, certains voient dans le réseau un lieu de grandes opportunités, notamment
pour les pays émergents qui revendiquent leur identité et pour qui le digital est une chance inouïe puisqu’en quelques
clics, ils peuvent toucher une audience mondiale et valoriser leur imaginaire, leurs ressources naturelles, leur capacité
touristique.

Si on admet que le digital est du virtuel, il pousse aussi au réel : aujourd’hui, on télécharge ce que l’on veut, tout le temps, et paradoxalement ce type de technologie crée et facilite un besoin de contacts réels, d’autant plus forts
que les réseaux sociaux se développent et restent virtuels. Le digital est au cœur même du débat éducatif, puisqu’il y a, à travers le digitalisme, une fabuleuse possibilité d’apprendre, de s’échapper des « chapelles » en pouvant comparer ce
que l’on sait avec d’autres savoirs et éventuellement former son propre savoir.

Le besoin de se réunir, d’aller voir le vivant, le réel, les MOOCs (Massive Open Online Courses ou cours en lignes ouverts et massifs) qui distribuent le savoir de façon très ouverte, sont autant de sources d’espoir qui ont été identifiées. La prise de pouvoir par la jeunesse en est une, parce que ce sont eux auourd’hui qui savent, qui créent, bougent, révolutionnent les modes de travail et de management, pour la bonne raison que ceux qui ont le plus à apprendre sont ceux qui ont le plus d’expérience, renversant ainsi l’intégralité du rapport de force dans les entreprises.

Le réseau se révèle aussi être un bon territoire pour commencer à faire émerger des initiatives positives d’entreprises génératives. Les nanotechnologies, les biotechnologies, les technologies de l’information et les sciences cognitives (NBIC) interagissent entre elles avec une puissance absolument inégalée mais aussi un pouvoir fantastique de risque manipulation sur le monde. C’est d’ailleurs avec cela que Google et CourtMail veulent faire évoluer extrêmement rapidement des théories anciennes qui s’appellent aujourd’hui le transhumanisme.

Que penser alors de la nouvelle économie de la contribution ? Bien que séduisant sur le plan théorique, ce concept est-il
bien réaliste, en particulier lorsqu’on évoque une économie qui produirait de la valeur non monétaire et que l’on sait que
l’économie est avant tout de la production et de la consommation ? Aujourd’hui, compte-tenu des moyens disponibles,
faut-il toujours penser comme Michel SERRE que « l’homme n’est pas, il peut », ou comme certains qui avancent l’idée
que « l’homme est, mais il ne peut pas tout », question fondamentale aujourd’hui posée à l’humanité mais qui mérite en
soi un débat approfondi.

Chiara GIACCARDI – Synthèse : Maryvonne VALORSO-GRANDIN – Collège des Bernardins – Juillet 2014

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