3,7 milliards d’années ! C’est l’âge de la vie sur Terre, révélé par la découverte de concrétions minérales formées par des bactéries dénichées au fond des glaces. Des géologues australiens viennent en effet de découvrir au Groenland des traces d’une activité microbienne remontant à 3,7 milliards d’années, soit 200 millions d’années de plus que les records précédents trouvés dans des roches d’Australie ou d’Afrique du Sud. Et 800 millions d’années environ seulement après la formation de la planète. L’origine de la vie sur Terre, une question qui hante les esprits depuis que l’homme est en mesure de penser.
La vision moderne que la plupart d’entre nous avons de l’origine de la Vie est, au fond, assez poétique. Elle décrit le spectacle des milliards de milliards de particules qui naviguent et jouent au billard dans l’immense espace de l’Univers et se mêlent un jour d’assembler un objet présentant une propriété particulière ; il se produit alors un événement inouï qui résonne dans le vide astral. Cet événement est la faculté pour un objet de se reproduire ou plus exactement, la faculté de se répliquer, c’est-à-dire d’utiliser ce qui se trouve à sa portée pour fabriquer une copie exacte – hormis quelques erreurs mineures inévitables dans toute reproduction – de l’entité tout juste née. La Vie, si l’on tente de la définir au regard de nos connaissances actuelles, est ce phénomène par lequel des molécules complexes s’assemblent, tirent matière et énergie de leur environnement et se reproduisent.
Ce saut dans le temps de 200 millions d’années qu’offre la nouvelle étude publiée par la revue Nature prouve que la vie a pu apparaître très tôt sur Terre, dans des conditions difficiles, avec une atmosphère dépourvue d’oxygène, un bombardement formidable de météorites, un rayonnement solaire intense et destructeur…
Incidemment, cela relance l’intérêt des missions martiennes qui explorent des terrains dont l’âge correspond justement à celui des roches étudiées au Groenland. Les robots pourraient y trouver des traces plus visibles et nombreuses que les quelques vestiges fossiles mises au jour sur Terre.
En 1986, William Schopf de l’Université de Californie à Los Angeles découvrait, dans des formations géologiques d’Australie Occidentale vieilles de 3,5 milliards d’années, les traces d’assemblages que sont les premiers organismes vivants. Ces organismes primitifs nés au fond de lacs et de lagunes correspondent vraisemblablement à ce que seront plus tard les bactéries et les algues. Ces premières formes de vie, dont les reliques sont gravées dans les couches rocheuses calcaires ou siliceuses (les stromatolithes que l’on vient de découvrir au Groenland), sont extrêmement rudimentaires ; elles ne sont qu’un avant-goût des formes plus complexes qui naîtront bien vite, mais elles comptaient déjà un nombre de sujets supérieur au nombre d’êtres humains ayant jamais existé.
Longtemps restés mystérieux et considérés comme rudimentaires, ce n’est que très récemment que les progrès de la biologie moléculaire ont fait apparaître que ces organismes vivants tapis au fond des âges ne sont pas si rustiques que cela ; ils possèdent un caractère éminemment complexe. Ils sont les briques du jeu de construction de la vie, présentes et indispensables, encore aujourd’hui, dans toutes les structures vivantes sur cette planète. La cellule vivante la plus archaïque n’est pas un simple amas de molécules, assemblé plus ou moins au hasard ; c’est une structure qui fonctionne selon un projet.
Les stromatolithes dont nous retrouvons les traces géologiques étaient fabriqués par des colonies de cyanobactéries faisant partie de la classe des « procaryotes ». Dans l’aurore archaïque de leur existence, ces organismes, si sommaires qu’ils n’avaient pas encore réussi à confiner leur ADN dans le noyau de leur unique cellule, avaient pourtant appris à s’organiser selon un projet, en divisant notamment leurs fonctions. Certains membres de ces colonies étaient chargés d’opérer la photosynthèse en stockant l’énergie solaire dans des molécules spécifiques ; d’autres prélevaient dans leur environnement la substance nécessaire à leur alimentation et rejetaient les déchets potentiellement toxiques dans des décharges. Un autre groupe enfin était destiné à se nourrir de ces déchets pour éviter la contamination des autres membres de la colonie.
Tous ces organismes interdépendants les uns des autres construisaient un abri de forme généralement circulaire pour les héberger. L’architecture de ces constructions est considérable au regard de la taille microscopique de ces organismes : les édifices atteignent et dépassent parfois deux mètres de longueur. Les restes fossilisés de ces stromatolithes témoignent indéniablement d’une vie organisée : elles sont construites en ondulations autour d’un centre précis. Ce sont ces abris primitifs dont on a retrouvé les traces au Groenland.
Cette forme est la caractéristique d’organismes menant une stratégie d’exploration et de conquête pour l’alimentation que l’on retrouve dans un grand nombre d’espèces bactériennes. James A. Shapiro est considéré comme une référence en matière de biologie moléculaire ; il a intitulé fort opportunément une de ses publications scientifiques Les bactéries sont petites mais pas stupides. Il y démontre que la biologie moléculaire moderne a découvert « un vaste royaume de machinerie intracellulaire complexe, de transduction de signal, de réseaux régulés et de processus sophistiqués de contrôle » que l’on ne soupçonnait absolument pas quand les premières recherches sur la vie furent menées. En effet, des générations entières de scientifiques ont considéré les bactéries comme des organismes peu dignes d’intérêt, cellules solitaires bataillant dans la jungle impitoyable des entités microscopiques. Il n’en est rien. Les bactéries, même les plus primitives, sont dotées de systèmes d’information et remplissent une fonction sociale : la communication.
Les recherches les plus récentes démontrent que les premières communautés de bactéries avaient développé les toutes premières formes de ce que nous appellerions aujourd’hui, dans un raccourci anthropomorphique, une « intelligence connectée ». En effet, ces organismes vivants primitifs, avaient, dès l’origine, tissé entre eux de véritables liens de communication par l’intermédiaire de moyens de signalisation variés – chimiques, génétiques, physiques – capables de diffuser des messages sur une longue distance.
Toute cette machinerie relativement sophistiquée, ce « réseau créatif de survie », remplissait un objectif primordial : observer l’environnement pour en prévenir les dangers, détecter les opportunités, s’en nourrir et prospérer. La créativité bactérienne s’exprimait avec talent dans la maîtrise des signaux d’attraction et de répulsion. Lorsque l’environnement autour d’elles était stérile ou hostile, elles émettaient à destination de leurs congénères des signaux appropriés. Les bactéries s’avançant dans les terrae incognitae de leur milieu, le balisait d’informations chimiques extrêmement précieuses pour leur survie et leur croissance. Dès l’origine de la vie, les premiers organismes manipulaient déjà de l’information. Face au monde chaque fois changeant et dangereux qui les entourait, le « génie génétique » de ces micro-organismes allait s’avérer une formidable machine d’adaptation et d’expansion.
Cet article reprend des extraits de Homo Sapiens 2.0, Introduction à une histoire naturelle de l’hyperinformation, Max Milo Ed.
Image d’en-tête : stromatolithes en Australie
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