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Une rentrée placée sous le signe des limites et du renouveau des possibles

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En cette fin d’été, l’incertitude est partout : elle nous rattrape. « Une rentrée en marche barrière », titre Libération. La Covid suspend nos initiatives : elle impose partout la précaution. Elle nous oblige à « avancer en régime incertain ». Nos gestes, nos déplacements, nos réunions, nos fêtes… sont suspendus à une cause supérieure : protéger la vie. Ainsi, l’adaptation aux priorités vitales oblige à naviguer en « méconnaissance de cause ». Alors que nous avons voulu évacuer tout aléa (même l’aléa moral) voici que nous devons réapprendre à naviguer dans l’indétermination. La boussole du vivant est désormais notre lot alors même que nous réalisons pleinement que nous sommes assignés à résidence planétaire. Les limites biosphériques sont notre défi collectif. Et tout l’enjeu de cette rentrée est d’assumer ces limites non pas en perte de liberté mais en renouveau des possibles.

Risque et ouverture

La liberté n’est pas absence de contrainte, mais bien plutôt absence de domination, explique avec clarté, dans Socialter, le philosophe Augustin Fragnière, basé à Lausanne. On pense ici forcément à Bernard Stiegler, qui nous a quittés le 6 août dernier. Mieux que nul autre, ce philosophe boulimique et engagé, véritable « poisson volant » (comme il se décrit dans Passer à l’acte, Galilée, 2003), a su dire comment la contrainte peut se muer en liberté. Comment la conscience et la compréhension de notre place au monde peuvent nous porter à lutter contre toute aliénation. Il faut lire absolument ses textes-testaments parus dans Philosophie Magazine pour nous guider dans cette « rentrée flottante » (malheureusement ces textes ne sont plus accessibles mais sont remplacés par un hommage au philosophe). « Bien avant de devenir une épreuve et une question scientifiques, l’incertitude et l’indétermination sont d’abord, pour l’humanité, le problème permanent de ce que Rainer Maria Rilke décrit dans les Sonnets à Orphée comme le risque de ce qu’il appelle l’ouvert, écrit-il. Risque et ouverture conditionnent tout investissement (noétique ou financier), et demeurent à jamais sans solution : faire face à l’incertitude et à l’indétermination nécessite d’entretenir et de reconstituer sans cesse un horizon de crédit – c’est-à-dire un horizon d’investissements collectifs (…) »

Nous cherchons la voie… du côté du vivant !

St-Cergue vient d’accueillir l’Université du vivant, organisée par l’association NiceFuture, les écologistes ont réuni leur Université d’été à Pantin ce week-end. Et Arles ouvre cette semaine, avec les éditions Actes Sud son Festival pour « Agir pour le vivant » où Bernard Stiegler devait d’ailleurs intervenir. Mais dans cette unanimité, fusent des accusations : « kmers verts », « fascistes du climat » ou même « vendus aux multinationales ». Ainsi la revue en ligne Les Terrestres témoigne d’échanges tendus. Dans une lettre ouverte, Isabelle Frémeaux et John Jordan enjoignent tous les intervenants – parmi lesquels Pierre Rabhi, Cyril Dion, Corinne Lepage, Dominique Bourg – à boycotter le rassemblement d’Arles. Fondateurs de La Marmite, ces deux auteurs dénoncent l’implication de partenaires comme BNP Paribas, qui est devenu le plus grand financeur européen d’industries de combustibles fossiles en augmentant de 72 % son portefeuille extractiviste. Ils voient dans l’implication de cette banque l’éternelle recherche d’acceptabilité mobilisée par les multinationales privées pour « détoxifier leurs marques » avec un storytelling séduisant. La polémique n’est pas nouvelle : les purs contre les défenseurs de compromis, les radicaux contre les écologistes embarqués, les décroissants versus les réformateurs humanistes.

La discorde comme tremplin

Sur le même site, le philosophe Baptiste Morizot et sa collègue Estelle Zhong-Mengual, qui participent l’un et l’autre à l’événement, ont tenu à répondre à leurs « amis ». Ils abondent tout d’abord l’argumentaire du « soutien hautement toxique du banquier (…) qui a choisi d’être climaticide ». « Comme vous le soulignez, devenir en 2018 le plus grand investisseur européen dans les énergies fossiles, renflouer en 2020 le fracking nord-américain, c’est énoncer clairement à la face du monde :  »Nous n’habitons pas la même planète que vous ». C’est dire  »nous décidons, en connaissance de cause, de nous désolidariser du sort de tous les vivants qui ne sont pas nos actionnaires. Et de nous engager à détruire ce qu’il reste à détruire.’‘ »

Si ces deux chercheurs conviennent qu’il faut abroger ce sponsoring de BNP Paribas et faire disparaître les logos des 26 autres partenaires, ils s’opposent à la posture dogmatique des promoteurs du boycott et défendent le pluralisme des solutions. Plus subtils encore ils entendent assumer le trouble de la situation et respecter leurs liens amicaux. « Nous revendiquons qu’il y a d’autres manières d’être à la hauteur du problème important que vous avez amené en pleine lumière, un pluralisme dans les manières justes de répondre à un enjeu politique décisif. Et à n’en pas douter, d’autres participants à ce festival, comme d’autres invités de tous les évènements sponsorisés du monde, inventent et inventeront des manières multiples de répondre à ce trouble. Et pour être francs, reconnaissons que ce n’est pas à vous, artistes de la résistance créatrice, qu’on apprendra qu’il y a plusieurs voies possibles pour répondre aux contradictions de ce monde. »

Habiter l’incohérence en cherchant la justesse

Reste l’accusation majeure, celle d’un manque de cohérence auquel s’attache toute posture radicale. Ici l’auteur des Diplomates et sa collègue renvoient aux processus vivants eux-mêmes, qui maintiennent dans la contradiction. Il s’appuie sur le témoignage d’un paysan : « La nature on l’aime, on fait ce métier pour vivre auprès d’elle, et en même temps elle nous emmerde. On veut la laisser tranquille, et parallèlement on l’exploite. On essaie de la mettre en valeur et aussi on la maltraite. C’est un partenaire et un adversaire. » Ainsi tout rapport normal au milieu vivant est foncièrement ambivalent : dès lors l’idéal de vie est « d’habiter cette incohérence et de trouver des voies en elles qui résonnent avec justesse, qui ont les égards ajustés ».

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La portée politique de la démonstration est considérable. Chercher la justesse plutôt que la cohérence permet de récuser le dualisme, celui qui enferme entre obscurantisme et progrès. Elle inaugure un nouveau registre, loin de la culpabilité, du déni ou du dogmatisme. « Croire qu’il faut atteindre la cohérence pleine comme forme de vie, que l’incohérence est une tare, pour le dire brutalement, c’est un désir de vivre hors sol : c’est le symptôme de ceux qui ne veulent pas hériter ; qui veulent faire table rase, qui veulent se réinventer comme si on pouvait le faire à partir de rien, sans les tiraillements d’être lourds des sédiments d’hier. Mais nous sommes lourds du passé. Ce n’est pas seulement un poids, c’est un lest, c’est un terreau, c’est un bruissement de possibles, c’est une acceptation que nous sommes aussi, du dedans, le monde qui pose problème, et qu’il y a des richesses à chérir dans ses héritages. »

La controverse, voire les tensions conflictuelles, sont ainsi les conditions de tout dépassement, de toute résilience, de toute créativité collective. Catherine et Raphaël Larrère ne disent pas autre chose dans l’essai Le pire n’est pas certain qu’ils publient au Premier Parallèle. « Le catastrophisme (…) est un récit dépolitisé qui nous encourage à nous prendre en charge de manière privée. Or c’est en politisant l’écologie et en adoptant un point de vue local que nous verrons se rouvrir les possibilités d’action, dans leur pluralité », affirment-ils. L’avenir est notre affaire commune.

Composer avec la diversité

Pour nous qui organisions en 2013 les Assises du vivant à l’Unesco, puis le premier Festival vivant en 2016, composer avec la diversité est vital. Bernard Stiegler a participé à ces événements : nous ne manquerons pas d’évoquer son souci de la « noodiversité » avec Ludovic Duhem lors des GERMINATIONS : Agir avec le vivant, les 24 et 25 septembre. Faire que chacun cultive et oriente le milieu technique pour le forger à la mesure de l’homme, a été son effort. Nous le prolongerons de notre mieux, en travaillant « entre les mondes », comme le propose Patrick Viveret dans Alternatives économiques (1). Il nous faut « élaborer une pensée et une intelligibilité du monde, alternative à celles que le néolibéralisme a su imposer à toute la planète », explique-t-il en s’appuyant sur le Second Manifeste convivialiste (Actes Sud) dont il est signataire aux côtés de 300 personnalités issues de de 33 pays différents.

Dorothée Browaeys, Présidente de Tek4Life, chroniqueuse de UP’ Magazine

(1) Patrick Viveret interviendra au Festival des idées organisé par Alternatives économiques à La Charité-sur-Loire ces 4-5-6 septembre.

 

GERMINATIONS 24-25 septembre 2020

Plus nous tergiversons face aux urgences, plus notre trajectoire ressemblera à un « atterrissage en catastrophe », titre de la première session des GERMINATIONS. Vous y entendrez Diego Landivar parler des « patrons effondrés » contraints à « des-investir », à « des-innover » pour mettre en œuvre une redirection écologique. Alexandre Guilluy racontera l’aventure étonnante de son entreprise, Les Alchimistes, qui récupère les déchets dans un objectif de compostage et de retour au sol de la matière organique. Acteur aussi de l’« intermédiaire », Amaury de Souancé montrera l’importance d’une entreprise comme AgriCarbone (qu’il a fondée) qui connecte les producteurs de biomasses aux méthaniseurs. Enfin, Kalina Raskin nous présentera toutes les inventions du vivant pour adopter des projets d’innovation durable, sobre en énergie et matière et sans déchets !

Inscrivez-vous vite aux GERMINATIONS car les places en ces temps de Covid sont limitées !

 

 

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opdlm@orange.fr
3 années

L’acte parfaitement libre est celui qui assume toutes les conséquences qui peuvent découler de lui. MASSIMO RECALCADI(psychanaliste)

Plongée dans le système Didier Raoult
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