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Le « Jour d’après » – Revitaliser les communs pour sauver la démocratie

TRIBUNE LIBRE

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Après avoir, dans un volet précédent, défini pourquoi et comment enrichir nos principes constitutionnels fondamentaux [1], il s’agit ici, d’esquisser comment mettre en œuvre cette nouvelle donne qu’est la revitalisation de nombreux « communs » aujourd’hui soumis aux lois des marchés, mais surtout notre démocratie et notre vie citoyenne qui, pour de plus en plus de monde, semblent en déliquescence. Il s’agit aussi de calibrer la juste importance des comportements individuels comme immédiat levier de changement dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Il est essentiel que le débat démocratique s’empare de cette question pour progresser à l’instar de ce qui a été fait par la « Convention citoyenne sur le climat » et, ce, quoi que l’on pense de ses résultats. Il est souvent souhaitable, en effet, sur les grands sujets qu’un travail citoyen puisse être conduit avant les décisions qui sont traduites ensuite par les voies nécessaires (loi référendaire, loi parlementaire ou mesures réglementaires en fonction de ce qu’exige notre ordre juridique selon les questions traitées [2]).

Ainsi, davantage de démocratie dans notre fonctionnement collectif sera tout autant une méthode opérationnelle pour produire du consensus sur les solutions, qu’un objectif démocratique en soi. En effet tenir de nièmes colloques, forums et consorts (tous à peu près le plus souvent sans débouché opérationnel) ne présente pas d’intérêt ; on a déjà beaucoup donné depuis des décennies et leurs comptes-rendus et/ou rapports finaux remplissent des placards dont personne ne fait rien, ni même n’ouvre plus.

La question de la justice sociale et celle de la lutte contre le changement climatique sont transverses à tous les sujets que l’on aborde ici car elles en constituent les finalités et elles ne seront donc pas ici traitées en un point particulier. D’ailleurs, la Convention citoyenne sur le climat a rendu ses conclusions, qu’on les mette donc en œuvre plutôt que de recommencer le travail de 150 de nos concitoyens pendant neuf mois ou de se borner à gémir de leurs prêtées insuffisances …[3]  On se bornera à indiquer au lecteur où les trouver [4] et à inviter les décideurs à prendre, comme ils s’y sont engagé, leurs responsabilités pour les concrétiser. Et ce ne sera déjà pas si mal…

En même temps, la citoyenneté, nombreux sont ceux qui s’en désolent, se vide davantage de sa substance à chaque élection et le peuple se marginalise dans une société qui n’est plus que celle de consommateurs et de titulaires de droits civils et sociaux quand elle ne s’apparente pas à une collection de refuges identitaires communautarisés.

Dans un tel cadre, l’idée de « devoir politique » est devenue pour beaucoup une incongruité et la classe politique ne fait plus guère que ricaner dans une partie beaucoup trop importante de la population. Nous devenons ainsi massivement, avec l’aide de chaines de TV décérébrantes, un pays de chansonniers, voire pour les moins bons, de garçons de bains. On ne peut laisser cette déliquescence se poursuivre car elle sera fatale pour la démocratie. Il faut donc revitaliser d’urgence tout ce qui constitue nos « communs », fondement du « vivre ensemble » lequel, sans cela, n’est plus qu’une pétition de principe vide, une tarte à la crème quelle que soit l’importance réelle des transferts sociaux et la force du rappel des devoirs civiques et républicains [5].

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Revitaliser les biens et services publics : les « communs »

La revitalisation des biens et services publics sur le territoire est indispensable car la crise sanitaire que nous traversons a remis les valeurs de solidarité et de partage attachées aux biens et services publics (soustraits en totalité ou en partie à la logique de marché), au centre des préoccupations de nos concitoyens. Nous n’échapperons donc pas à une réflexion sur ces « communs », c’est à dire les biens et services que même la théorie économique classique traite spécifiquement du fait de leur caractère de biens collectifs ou du fait de leurs effets externes [6].  En effet, cette théorie classique admet qu’on ne peut laisser ces « communs » soumis aux seules lois du marché qui, dans leur cas, ne permettent pas d’atteindre l’optimum économique. Quand l’efficacité économique rejoint l’aspiration à la justice sociale et à la redistribution…

Il semble que plutôt qu’une politique de traitement de ces services et biens collectifs au cas par cas, conjoncturellement et sans vision globale, nous devrions faire deux choses :

  • d’une part constituer pour un temps donné une Convention citoyenne sur les biens et services dits « communs » : cette Convention serait chargée d’en définir les contours, ce qui concernera les biens et services existants mais aussi ceux nouveaux à identifier ou à développer [7], et le régime spécifique à leur appliquer notamment quant à leur financement, en tout ou partie selon les cas, hors logique de marché ;
  • sur cette base de départ ainsi constituée, tenir ensuite un débat parlementaire chaque année sur la politique nationale pour les biens et services publics en France, ce qui en est attendu et bien évidemment, sur les moyens que collectivement, via nos représentants, nous leur allouerions.    

Dans la crise, en effet, les Français ont montré leur attachement à nombre de ces services publics pour lesquels ils jugent massivement impérieux de revaloriser les traitements de leurs agents, notoirement et honteusement sous-payés eu égard à leur utilité sociale désormais révélée à tous. Nos dirigeants, et même ceux attachés encore récemment à des logiques financières et comptables conduisant à privilégier la réduction des coûts et donc des effectifs, ont dû admettre, du fait de la crise sanitaire, que leur échelle de considération était à revoir.  A cet égard, les actes de contrition ne suffisent pas, il faut agir pour davantage de justice sociale pour les « premiers de corvée ».

De la sorte, au palmarès de la considération sociale, aux « premiers de cordée » grassement reconnus et surpayés qu’ils soient traders, stars du sport ou de la culture hyper marchande, ont ainsi succédé, un temps du moins car tout s’oublie très vite, les « premières lignes » aux métiers à l’inverse sous considérés et sous-payés.  Cette situation d’injustice a « juré » et « jure » encore pour tout esprit honnête. Le « Ségur » de la santé a certes abouti à des premières mesures importantes de revalorisation, ainsi que les mesures prises encore plus récemment en faveur des personnels des EHPAD, mais il ne pourra rester sans suite pour d’autres « premières lignes » dont l’utilité sociale a éclaté aux yeux de tous lors de cette crise.

Quid de la situation des éboueurs, des livreurs, des routiers, des agents de l’économie sociale et solidaire et de tous les autres, et quid de la considération qui leur est due ? Nous n’échapperons pas à ces questions, sinon nous n’allons pas pouvoir leur demander d’assurer en première ligne les moyens de notre survie en cas de rebond de la crise sanitaire.  Peut-on croire, sérieusement, qu’ils retourneront au « casse-pipe » sans sourciller si entre temps il ne se passe rien ? C’est donc à une révolution significative qu’il faut procéder pour dégager les moyens d’assurer leur meilleure considération (notamment sonnante et trébuchante à chaque fin de mois), ainsi qu’un financement des investissements plus convenable et stable des services publics concernés.

On connaît l’objectif et on sait son acuité ; on sait aussi, si l’on ne se berce pas d’illusions, que le financement de mesures de rééquilibrage social (entre ceux qui se gavent sans scrupule et ceux qui n’arrivent pas à boucler les fins de mois) ne pourra passer que par un resserrement de l’échelle des revenus et des patrimoines.  Cela impliquera une action sur le bas de l’échelle des revenus – revalorisation du SMIC et des bas salaires – mais aussi par une fiscalité plus confiscatoire qu’à l’heure actuelle sur la partie la plus haute des revenus par le rétablissement d’une véritable proportionnalité de l’impôt. A cet égard, on pourra aussi donner comme objectif à la politique fiscale d’accroître, entre hauts et bas revenus, l’effectivité de l’impôt et d’inverser la situation actuelle dans laquelle, par le jeu des mécanismes d’optimisation, c’est le principe de la proportionnalité inversée qui souvent prévaut [8].

A l’évidence, le nouveau principe constitutionnel fondamental que l’on a proposé (le principe d’égalité travail/capital, Cf. Note 2 ci-dessus), ne pourra également qu’aider à atteindre cet objectif en introduisant davantage de démocratie dans les entreprises ; on peut en effet être certain qu’un partage effectif du pouvoir dans les entreprises changera beaucoup de choses.  Et que l’on ne vienne pas nous dire que l’on va faire fuir les investisseurs et décourager les entrepreneurs. La co-gestion existe en Allemagne depuis très longtemps et le dynamisme économique y est bien présent.

Les décisions à prendre risquent d’être douloureuses et impopulaires dans certains cercles. Il y aura besoin d’une volonté politique populaire solidement exprimée. Raison de plus pour revitaliser notre démocratie représentative pour mieux impliquer, par des mécanismes de démocratie directe, nos concitoyens dans les processus de décision en matière de politiques publiques. 

Revitaliser notre démocratie par le développement de la démocratie directe

Revitaliser nos « communs » est nécessaire comme on vient de le voir mais ce ne sera pas suffisant à revivifier notre démocratie et la vie citoyenne. Pour cela, en effet, il faut d’autres outils et ce seront ceux de la démocratie directe qu’il conviendra de développer sans abandonner le principe fondamental de notre régime politique qui est d’être une démocratie représentative. En effet, nos démocraties se sont construites, depuis les révolutions anglaise, américaine et française, sur la conquête du suffrage universel pour la désignation de nos représentants et en écartant délibérément (pour des jours meilleurs ?) la démocratie directe.

Il a fallu près de trois siècles pour que soit conquise une véritable universalité des suffrages autorisés à s’exprimer lors des élections (jusqu’à l’extension du droit de vote aux femmes ou à certaines minorités ethniques), délaissant ainsi, au bout du compte, le portrait type de l’électeur resté longtemps en Amérique du Nord un propriétaire blanc et en Europe un individu de sexe masculin doté de revenus jugés suffisants. Pendant ces trois siècles, le peuple a été laissé de côté, derrière ses représentants qu’il était cependant admis progressivement à élire lui-même.

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Dans la plupart des pays de démocratie, par l’énergie qu’elle a demandée, cette lutte pour le suffrage universel a éclipsé l’autre question fondamentale : l’intervention directe, ou non, du peuple dans les processus décisionnels notamment législatif, ou même constituant, par référendum à son initiative. Délibérément, le peuple n’a pas été jugé apte à autre chose que choisir ses représentants. Le XXe siècle n’aura été que l’aboutissement de cette (première) étape de la construction des démocraties, l’ambition de la démocratie directe ayant été renvoyée à l’âge d’or de la démocratie athénienne, considérée comme impossible au-delà de l’échelle de cette dernière. En effet n’est-il pas absurde de croire que l’on ne peut transposer à notre échelle de millions de citoyens et de citoyennes les procédures d’une cité qui n’en comptait que quelques dizaines de milliers et qui excluait toute une partie de sa population de la citoyenneté (femmes et esclaves) ?

Nous avons donc cru à une impossibilité totale et radicale. Nous y avons cru car cela avait l’apparence d’une rationalité forte. En effet, comment légiférer, écrire la loi et a fortiori la Constitution à 40, 80 ou 300 millions de mains ? Nous avons continué à croire à cette impossibilité, sans nous demander si une part de démocratie directe ne devait pas être instillée dans notre système politique, alors même que, ces dernières décennies, partout, tout se délitait. Les peuples fuyant les urnes et laissant la démocratie représentative, selon les scrutins, réduite à une part toujours plus faible du corps électoral ou exprimaient leur défiance par un vote vers des extrêmes.

En outre, le numérique et les NTIC (Nouvelles technologies de l’information et de la communication) sont venus tout miner, là, devant nous, sans même qu’on le voit clairement.  En effet, nos concitoyens ont l’impression de vivre une « démocratie directe » sur le Net et, ce, tous azimuts dans leur quotidien. Ils existent sur les réseaux sociaux et leurs avis, leurs choix, sont partagés, diffusés, comme jamais ce ne fut le cas.

On voudrait ainsi que cela soit possible pour la vie de tous les jours, jusqu’aux plus futiles de leurs préoccupations, et pas pour ce qui est plus fondamental, pas pour la vie politique collective, vie pour laquelle on ne les consulterait que tous les cinq ans et selon des modes datés d’un autre temps ? Nous sommes dans un monde où chacun (c’est un fait et non une opinion) peut donner son avis, choisir, noter à tout bout de champ et sur tout, d’un simple clic. Un monde où chacun peut tenter de lever une armée numérique de soutiens. On peut ne pas apprécier, mais c’est notre monde et le réel qui s’offrent à nos concitoyens.

Le discours limitant notre démocratie à sa forme représentative ne semble plus recevable. Ne nous mène-t-il pas, par des révoltes qui risquent d’être de plus en plus violentes, dans le mur des populismes ? Comment faire pour éviter cela ?

Les principaux outils sont connus et peuvent être mis en œuvre et ce, sans tomber dans des excès que l’on peut redouter :

  •  remplacer au moins en partie l’élection de nos représentants nationaux, mais aussi peut-être de certaines catégories d’élus locaux, par le tirage au sort de citoyens qui siégeront directement selon des modalités à définir  ;
  • développer, pour les mandats électifs maintenus, l’élection à la représentation proportionnelle ;
  • donner au peuple la capacité de faire ou de défaire la loi par référendum à son initiative (RIC) ou même de faire des modifications constitutionnelles, également selon des modalités qui restent à définir mais devront nous préserver de tout dérapage [9].

La boite à outils est ainsi connue, il suffit de l’ouvrir et de s’en servir. En conséquence, dans un esprit d’équilibre, le maintien du principe fondamental de la démocratie représentative doit s’allier à une indispensable introduction de doses de démocratie directe aux différents niveaux, du local au national.

C’est ce que j’ai pu appeler, à l’occasion de la crise des gilets jaunes qui revendiquaient « le RIC partout et sur tout », Le Ric bien tempéré dans un article publié par Catherine Kintzler dans Mezetulle et auquel on renverra ici car tout y a été dit que ce soit de la nécessité d’introduire davantage de démocratie directe dans notre système démocratique ou des bornes impératives à installer face à une telle introduction, si l’on ne se veut pas un irresponsable de rond-point.

Inutile de se répéter, il suffit de se reporter à cet article pour le dosage des ingrédients de démocratie directe à prévoir et les précautions à prendre, pour atteindre un meilleur équilibre entre démocratie représentative et démocratie directe.

Mieux  réguler au plan national et international l’économie de marché et le libre-échange en s’appuyant sur le développement d’une Europe forte et sur le multilatéralisme

Ne doutons pas que les deux axes de changement ci-dessus présentés, ajoutés au renforcement de nos principes constitutionnels fondamentaux qu’on a proposé dans le volet précédent (voir ci-dessus en note 3 le lien avec ce volet), ne manqueront pas de produire une économie beaucoup mieux régulée dans l’objectif de davantage de justice sociale et de préservation de la planète.

La problématique politique est en effet de réguler davantage, et très sévèrement s’il le faut,  l’économie de marché, pas de la faire disparaître au profit d’on ne sait quel système inconnu ou rêvé puisqu’une très large majorité de nos concitoyens n’en veulent pas. Redisons-le, on n’a pas, à gauche, renoncé à la dictature du prolétariat pour se jeter dans les bras de la tyrannie d’une décroissance forcée.

Tout ce que nous pourrons faire du point de vue national et hexagonal devra s’accompagner d’un combat dans le même sens à l’international et au plan communautaire de l’Union européenne car c’est à ces niveaux que se situent aujourd’hui, également, et parfois même surtout, les enjeux.

De ce point de vue, le combat doit être en faveur du multilatéralisme et d’une Union européenne toujours plus forte. A cet égard, le combat anti populiste ainsi que contre les adeptes de tous les replis doit être la priorité. C’est aussi un combat contre la bestialité (parfois jusqu’à la guerre) de certains dirigeants qui ne croient qu’aux rapports de force bilatéraux car ils ne font que le jeu des plus puissants, capables d’imposer leur diktat à l’opposé de l’objectif, maintenant séculaire depuis la création de la Société Des Nations [10], d’un monde régulé par un droit dont les peuples ont voulu se doter.

La France a de la sorte, en Europe et dans le monde, le flambeau du multilatéralisme à relever.

A chaque grande étape de la construction d’une société internationale civilisée, notre pays a été sur le devant de la scène qu’il s’agisse des prémisses du multilatéralisme avec la Société des Nations puis ensuite, après 1945, avec l’Organisation des Nations Unies. Les enjeux d’aujourd’hui sont encore plus puissants que ceux de 1919 ou de 1945 puisque c’est la survie même de l’humanité qui est en cause. A nous, Français, par notre action et notre positionnement à l’international, avec une Europe toujours plus unie, de relever ce défi collectif. La ligne politique à suivre est ainsi claire et il faut s’y tenir, loin de tous les souverainistes droitiers ou insoumis [11].

Mais, outre le défi collectif national, communautaire et international, le défi est aussi pour chacun d’entre nous dans l’infléchissement de nos comportements individuels et avec un poids que beaucoup n’imaginent pas, en tant que levier de changement profond et immédiat. C’est en plus bien là où chacun peut agir, de suite ! 

Comme un immédiat levier de changement, sans attendre, infléchir durablement nos comportements individuels – Par Lucas Bodet [12]

Quelle importance, quel poids, quelle responsabilité donc, attribuer à nos comportements individuels ? La question est difficile à évaluer [13] même si l’on a quelques points de référence sur l’impact des comportements individuels et celui lié aux activités des entreprises [14].

En outre, la part de responsabilité de notre impact en tant que consommateur, citoyen, professionnel est parfois surestimée au regard de la réalité de nos marges de manœuvre individuelle. A cet égard, la culpabilisation, voire l’infantilisation, sont des moyens bien établis pour décrédibiliser les encouragements au changement, en matière de transition écologique.

Mais cette surestimation de nos marges de manœuvre individuelle ne doit pas nous empêcher de nous poser les questions nécessaires sur notre propre transition, sur nos propres changements, pour en espérer une diffusion plus rapide, plus profonde, autour de nous et au-delà. Il ne s’agira cependant pas ici de fournir la boîte à outils complète du « parfait petit citoyen/consommateur écolo du XXI siècle » qu’il s’agisse de nos déplacements, de notre consommation de biens et services et de la production de nos déchets[15].  On ne fera pas l’injure non plus de rappeler ici, par exemple, sans entrer dans le débat sur le diesel ou le kérosène, l’intérêt des circuits courts d’approvisionnement alimentaire, notamment de la consommation de produits selon les saisons, voire même de la modération de la consommation de protéines animales.  

Il nous a semblé préférable de nous intéresser à la dialectique politique changement individuel/changement collectif, à la logique donc du changement et à ses mécanismes eux-mêmes, plutôt qu’à ses modalités de mise en œuvre par domaine d’action individuelle que l’on  peut trouver aujourd’hui assez aisément dans des documents remarquables[16].

Pour réutiliser une formule désormais bien connue, le changement c’est maintenant, mais pas pour tout le monde. Il n’y a en effet aucun changement qui se réalise de manière uniforme partout et pour tous en même temps. C’est depuis longtemps pour certains, dans quelques temps pour d’autres.

La temporalité n’est qu’un des marqueurs de l’intégration du changement de comportements et de mode de vie. De manière théorique, les sciences sociales et cognitives se sont depuis quelques temps emparées de ce sujet [17]. Notons que les premiers à trouver une application concrète à la théorie qui analyse les processus de changement individuel ont été les publicitaires et les industriels, plaçant ainsi la consommation comme indicateur de la réussite telle que le système la suppose et la définit.

Comment s’établit un changement chez un individu ? Nous avons toutes et tous des ressorts internes, parfois très puissants, qui vont ou non nous rendre enclins à entamer une démarche de changement (des valeurs, des peurs, des émotions…).
A la manière d’un iceberg, cette partie immergée est souvent ce qui va structurer notre « ouverture » au changement, bien au-delà de nos idées, de notre mode de vie, qui ne sont finalement que la partie émergée. A l’aune de se questionner sur son comportement individuel, il est donc bien naturel de voir apparaître des freins, des résistances, des questionnements. Identifier ces derniers, c’est déjà avoir entamé le processus. Les étapes suivantes seront de l’ordre de la conscientisation, de la recherche d’informations. En matière de transition écologique, le constat critique est ainsi déjà largement partagé et admis, de même qu’il est validé scientifiquement, ce qui lui confère une légitimité importante.

Une fois qu’un problème est identifié, comment fait-on ? C’est le prolongement de la démarche. Quelles actions puis-je mettre en œuvre pour contribuer à mon échelle et à mon niveau à répondre à ce problème ? Ces actions sont-elles efficaces ? Et surtout vont-elles me satisfaire ? En effet, le changement passe avant tout par une motivation à agir, mais également par un besoin. Là encore, les besoins sont multiples et vont varier d’un individu à l’autre.

Pour prendre un exemple très concret, comment expliquer que de plus en plus de personnes se mettent à faire du vélo en ville ? C’est l’un des comportements souvent mis en valeur en matière d’écologie, et que l’on soit d’accord ou non avec cette pratique, elle se développe et se diffuse très largement. Voici quelques unes des raisons qui poussent l’individu à se mettre à la bicyclette : c’est pratique (je mets moins de temps) / ça me fait faire du sport / c’est moins cher qu’une voiture / c’est favorable à la protection de l’environnement / les pistes sont sécurisées / mon entreprise prend en charge l’achat de mon vélo / je fais mes trajets avec mes enfants, mes amis….

Ces motivations personnelles et ce changement de comportement se matérialisent également collectivement. Comme de plus en plus de personnes vont se mettre au vélo par conviction ou eu égard à son caractère pratique, les collectivités vont suivre en installant les infrastructures nécessaires au développement de cette pratique (pistes cyclables, bornes de vélo en libre service, ateliers de réparation publics et solidaires…), ce qui encouragera d’autres personnes à s’y mettre ! Le cercle vertueux est enclenché.

Aux divers freins à la progression de nos engagements peut s’ajouter un phénomène psychologique lié à des situations de dissonance cognitive pour l’individu qui rendent son choix ou son action impossible. Elles se définissent comme « le malaise ressenti lors de la contradiction entre une pensée et une action, comme un feu de signalisation qui serait rouge et vert à la fois. Cela peut se matérialiser par des images, comme le slogan « manger 5 fruits et légumes par jour » apposé sur la promotion du nouveau burger de Mac Donald, mais aussi par les campagnes de développement durable des entreprises les plus polluantes. Un déséquilibre qui conduit à la perte de sens ou au flou sur le « bon comportement » à enclencher.

En face, ou du fait, de cela, il y aura des retardataires, voire des réfractaires. Nous en connaissons tous, et d’autant plus sur la question de l’enjeu climatique. Tout le monde ne peut pas s’engager avec la même intensité, et il est indispensable de le comprendre, de s’adapter en permanence. On le voit d’ailleurs bien à l’œuvre sur les changements de pratiques individuelles en matière d’écologie, les individus n’attendent pas que le système change ou bouge pour s’y mettre : modifier son alimentation, questionner sa mobilité, revoir ses habitudes d’achat, réduire ses déchets… Le confinement a eu à cet égard  le mérite de mettre de nombreuses questions sur la table, pour chacun d’entre nous.

Néanmoins, chaque changement individuel prend du temps, et nous sommes confrontés en parallèle à l’urgence d’agir en matière climatique. La remise en question individuelle ne suffira donc pas et ne sera pas suffisante à elle seule sans une remise en question de l’état actuel de nos systèmes de production collectifs quels que soient les effets bénéfiques prévisibles ou non aujourd’hui en termes de progrès des sciences, de la recherche ou de l’innovation technologique.  

C’est bien à nous tous de jouer sur les deux plans car, au final si l’on se veut sérieux, changement individuel et changement collectif vont de pair.

François Braize, Inspecteur général honoraire des affaires culturelles
Avec la collaboration de Lucas Bodet

 

[1] Voir le Volet 3 du Hors série « Le Jour d’après : enrichir nos principes fondamentaux constitutionnels  » dont l’article original a été publié  sur Mezetulle, et sur UP’ Magazine

[2] Outre, bien entendu, les mesures de fiscalisation ou de défiscalisation, ou d’aides et de subventions dans des dispositifs contractualisés

[3] Dans le genre « jamais content, carrément méchant » cher à Souchon voir à cet égard : https://www.actu-environnement.com/ae/news/convention-citoyenne-climat-oublis-35690.php4#xtor=ES-6

[4] Pour les conclusions de la convention citoyenne sur le climat voir : https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/portraits-citoyens/

[5] Sujet difficile mais quand même clair au niveau des principes : si le « vivre ensemble » n’est plus qu’une tarte à la crème sans contenu, malgré  l’importance des transferts sociaux, ce vide démocratique et citoyen abandonne ainsi le terrain à ses adversaires extrémistes de tout poil, notamment ultra libéraux ou communautaristes identitaires ; il est donc fondamental de redonner sens et contenu à ce que l’on appelle aujourd’hui les « communs »

[6] Sur la théorie des « effets externes », voir un remarquable topo : https://creg.ac-versailles.fr/effets-externes-et-biens-publics

[7] Cette Convention devrait ainsi par exemple réfléchir, d’une part, au statut des médicaments (ou de certains d’entre eux) pour, dans certains cas,  sortir de la logique mercantile de l’industrie pharmaceutique ce qui pourrait conduire à remettre en cause les droits de propriété intellectuelle de leurs inventeurs ou d’autre part, au statut de l’agrodiversité comme bien commun (sur ce dernier point voir le remarquable article de chercheurs de l’INRAE : https://theconversation.com/pesticides-ou-phytosanitaires-allons-au-dela-des-mots-146648?utm_medium=email&utm_campaign=La%20lettre%20de%20The%20Conversation%20France%20du%2030%20septembre%202020%20%201745216898&utm_content=La%20lettre%20de%20The%20Conversation%20France%20du%2030%20septembre%202020%20-%201745216898+CID_271bbf2033c68fc9de9c9637e7ecbc2b&utm_source=campaign_monitor_fr&utm_term=proposent%20de%20repartir%20des%20mots …  

[8] Un principe que l’on peut formuler ainsi, à dix mille lieues des principes posés lors de la création de l’impôt sur le revenu,  « Plus mes revenus sont élevés, moins proportionnellement je paie… »

[9] Il faudra cantonner le RIC et interdire que l‘on porte atteinte par référendum notamment à nos principes constitutionnels fondamentaux qui s’imposent, dans un Etat de droit achevé, même au peuple souverain ; comme tout souverain le peuple ne peut pas être un souverain absolu  

[10] En 1919 et en réaction au jeu délétère des alliances bilatérales, voire personnelles, qui ont conduit dans un engrenage infernal à la guerre mondiale de 1914

[11] Une politique internationale multilatérale ou une politique communautaire française, ambitieuses, ne peuvent pas se fonder sur des slogans de type « l’Europe on la change ou on la quitte ! » qui a été celui de Melenchon en 2017  ou celui, mutatis mutandis, de Trump depuis 2016 avec « America first ! »

[12] Lucas Bodet est salarié associatif engagé sur les dynamiques d’accompagnement au changement en matière d’alimentation durable ; il est l’auteur  de billets de la rubrique «  Brèv’vertes » du blog DECEDA(NA)GES

[13] Sur la dialectique  comportements individuel/processus collectifs voir par exemple  un article paru dans SLATE (http://www.slate.fr/story/167444/changement-climatique-responsabilite-individus-entreprises); voir aussi pour la problématique politique plus globale pour le sens de l’écologie : https://lvsl.fr/g7-lecologie-est-dabord-un-changement-dechelle/. Les gestes individuels –aussi nombreux soient-ils– ne renverseront pas à eux seuls la tendance. Pour autant, ils sont indispensables comme l’explique dans cet article Maxime Combes, dont l’association « cherche à dépasser l’opposition historique entre changement individuel et lutte collective ».  « Sur la crise climatique, nous considérons que les deux approches sont absolument essentielles. Elles doivent se nourrir l’une, l’autre », affirme l’économiste d’Attac. Pour lui, les initiatives individuelles ou «collectives à petite échelle» sont un premier pas pour politiser la question du dérèglement climatique et ainsi instaurer un rapport de force. C’est par ce type d’actions, souvent simples à mettre en place (comme le fait d’adhérer à une Amap ou d’opter pour un fournisseur d’énergie verte) que les citoyennes et citoyens vont être amenés à se saisir de problématiques plus globales et plus complexes

[14] Voir par exemple  si l’on prend la thématique des déchets en France, la quantité de déchets visibles, c’est-à-dire produite directement par le particulier est de 590kg/an/personne, tandis que les déchets cachés, c’est-à-dire ceux créés pour la fabrication et la production de nos biens (industries, transports…) est de 13,8 tonnes/an/personne ; voir aussi sur le poids des entreprises et des Etats : http://www.slate.fr/life/87587/coca-danone-agroalimentaire-gaz-effet-serre-pollution

[15] L’idée de modération qui doit s’imposer désormais n’est pas compatible avec le principe de consommation « no limit » (autre que celle du porte- monnaie) qui prévaut aujourd’hui ; nul doute qu’il y faudra de la contrainte  par la loi car cela n’ira pas tout seul ni même sans mal  comme par exemple sur les déplacements avec des véhicules très polluants tel l’avion ; les pistes auxquelles l’on peut penser, à défaut de progrès technologique réglant la difficulté, tel le cantonnement annuel d’heures de vol pour chacun, dotation cessible ou non, ne peuvent être mises en œuvre que dans la concertation internationale pour avoir du sens, la difficulté sera donc immense…    

[16] Voir un excellent travail de constitution d’un vadémécum des bons comportements à ce propos : https://cacommenceparmoi.org/

[17] Voir notamment :
https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/190729_CDDEP_guide_changement_de_comportement.pdf
https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/accompagnement-changement-numerique-6t-ademe-synthese-2020.pdf

2 Commentaires
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opdlm@orange.fr
3 années

Un peu aidé par un virus ( et il y en aura bien d’autres ) il aparait qu’il ne s’agira plus d’entretenir des grands discours de politiques politicienne autour de grand mots tel que démocratie ,citoyen, république…qui n’entretiennent que  » le contre qui laisse supposer que le pour pourrait avoir raison » mais bien de rechercher comment devenir suite à notre comportement dans le temps qui nous reste  » avant que le dernier éteigne la lumiere » comment essayer de devenir des TERRESTRES RESPONSABLES à l’endroit ou nous avons les pieds posés .
Localement et mondialement votre

francois.braize@orange.fr
3 années

On peut être à la fois « terrestre responsable » comme vous le dites joliment et se soucier d’être au clair sur les concepts fondamentaux que vous énumérez, voire même de les enrichir. Qu’avons nous à gagner à les occulter ? Ce n’est jamais de la confusion sur les concepts fondamentaux que nait la lucidité politique. Il n’en résulte que le nihilisme et on sait où il nous conduit. Cordialement

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