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La loyauté et le discernement sont les victimes de cette gouvernance de la pandémie

CHRONIQUE EXCLUSIVE

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Que ferons-nous de ces prochains jours ? La solennité des engagements et des promesses jamais tenues a épuisé toute confiance. Nous n’attendions pas de l’allocution présidentielle du 31 mars 2021 qu’elle nous convoque à une responsabilité que nous n’avons jamais cessé d’assumer. Nous n’y cherchions pas l’humilité d’un décideur convaincu de ses choix d’hier et inébranlable dans ses certitudes. L’obstination du parieur déjoue toute logique et l’isole dans la confusion d’une perdition, y risquant jusqu’à sa perte, la nôtre aussi. Nous voilà témoins impuissants, condamnés à déplorer cette déroute politique, ou comme certains s’exercent encore à le tenter, de lui reconnaître une ultime audace dont ils espèrent leur salut.

Si les propos contradictoires peuvent s’opposer avec une véhémence et parfois une violence qui renforcent nos doutes et accentuent nos insécurités, c’est parce que la loyauté et le discernement n’ont pas survécu à cette gouvernance de la pandémie. L’inédit, l’inattendu, les incertitudes, la complexité, l’intensité d’une crise sanitaire à laquelle il y a un an nous n’étions pas préparés, nous laissent aussi désemparés aujourd’hui. Comme si nous n’en avions rien compris, comme si les positions et les choix impromptus d’hier n’avaient pas gagné en intelligence et en faculté d’arbitrer avec justesse selon des critères moins aléatoires. Car le président de la République s’en remet au destin, oracle dépossédé de la superbe du chef de guerre qui nous annonce des jours sinistres avant quelques embellies qu’il n‘a pas l’autorité de décréter.

Navigation à vue

S’il faut fixer un cap, c’est celui d’une navigation à vue, des jours durant, confronté à la douleur de ceux que le virus n’épargne pas et à la désespérance de soignants plus solitaires que jamais pour assumer les conséquences d’un pari. Ce matin, un directeur d’hôpital m’adressait un message suite à mon intervention hier dans l’émission « C pour ce soir » : « (…) Ici à l’hôpital, c’est un peu le grand découragement ce matin. »

C’est désabusés que nous reprenons notre chemin de croix, pour une étape de plus, peut-être de trop, car la tolérance à l’imprévoyance et aux manquements est parvenue à un niveau de saturation. Et le président l’a compris, incapable désormais d’assumer les décisions qui étaient justifiées hier et apparaissent inconsistances, en dépit de leurs nouvelles contraintes, au regard d’une réalité sanitaire que l’on ne maîtrise plus.

Souffrance démocratique

Nous avons à apaiser cette souffrance démocratique qui tient à l’irrespect des formes. Il est vain de poursuivre une tentative d’analyse du processus décisionnel. Nous ne sommes pas conviés aux choix, mais simplement considérés comme des exécutants responsabilisés dans leur stricte application et déjà coupables de n’avoir pas su s’y soumettre avec discipline. Faute, non pas de légitimité, mais d’être reconnu dans sa capacité d’avoir exercé de manière concertée des arbitrages fondés, le chef de l’État recourt dès à présent à la menace répressive pour réprimer la dissidence de ceux qui n’acceptent plus. Que l’on soit clairs, leur refus est celui d’un échouement politique dont la société serait en quelque sorte coupable pour n’avoir pas su réaliser le rêve ou l’utopie du président. À la cohorte des décrocheurs en errance ou en perdition dans un environnent chaotique, s’ajoutent ceux qui avaient les premiers compris qu’une pandémie résiste aux incantations oratoires et mérite mieux qu’une gestion administrative réfractaire aux vérités qu’elle n’édicte pas.

L’une des dernières paroles du philosophe Emmanuel Levinas aura été : « Qu’attendons-nous ? » Qu’y a-t-il à attendre ? Que peut-on en attendre ? Qu’avons-nous à attendre alors que nous avons été patients et acceptant avant de considérer qu’il serait inconséquent de persister à y croire encore ?

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En aucun de ses mots, hier, le président nous a donné à penser que sa préoccupation était autre que de nous démontrer qu’il avait toujours raison. À se demander avec gravité qu’elle est sa raison et en quoi elle serait une bonne raison.

Est-ce raisonnable de s’approprier la compétence du scientifique et du médecin pour évaluer la probabilité d’un risque susceptible d’être relativisé, voire nié, au regard de critères qui ne se discutent pas ? Est-ce raisonnable, publiquement, de s’adosser sur des convictions personnelles et des considérations politiques, pour défier les faits en ayant la prétention de les soumettre à des calculs qui n’ont rien à voir avec des probabilités épidémiologiques ? Est-ce raisonnable d’opposer les uns aux autres, de mépriser les expertises au même titre que des médecins qui exercent leur devoir d’alerte ?

Qu’allons-nous faire de ces quatre prochaines semaines de confinement, les subir ou y implanter la marque du retour à la vie démocratique ? Celle dont témoignaient au cours des 55 jours du premier confinement, avec lucidité, courage et bonheur les vigiles de la République, les invisibles qui ont alors réhabilité et restauré notre attachement à la démocratie ?

Nous voilà en responsabilité non pas seulement d’obligations morales à l’égard de la Nation, mais de sollicitude, de respect à l’égard de ceux qui nous soignent et pas seulement à l’hôpital : partout où la société éprouve un besoin de dignité, de liberté et de reconnaissance qui n’a rien à voir avec un soutien psychologique. Nous avons à apaiser cette souffrance démocratique qui tient à l’irrespect des formes et à cette indifférence obstinée à la considérer en ce qu’elle est, dans ses droits politiques, dans les valeurs qu’elle incarne, dans l’expertise qu’elle a su développer à l’épreuve d’un réel qui est devenu son quotidien.

Je suis inquiet que l’on abuse d’une autorité politique jusqu’à manipuler nos vérités, assumant le risque de perdre toute crédibilité dans un contexte où la relation de confiance n’apparaît plus comme nécessaire (au même titre du reste, que l’attention que nous accordions par le passé aux victimes consenties à la pandémie pour des raisons supérieures qui n’ont jamais été discutées dans le cadre d’un débat public). Cet essentiel qui conditionne le vivre ensemble est lui aussi révoqué dans cette démesure d’une gouvernance qui semble avoir perdu tout repère cohérent et espère encore, là où il lui faudrait être capable de douter.

Il ne serait pas éthique de renoncer à donner toutes ses chances à cette tentative politique désordonnée et peut-être désespérée de palier l’inévitable. Mais ce serait injurier l’avenir et nous détourner de nos véritables responsabilités que de ne pas s’armer d’un projet politique ; celui qui nous manque aujourd’hui, et nous rend vulnérable aux impérities et aux duplicités qui compromettent les engagements présents.

Emmanuel Hirsch, Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Saclay

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