Quelque chose à ajouter ? Dites-le en commentaire.
Il n’y a pas qu’en France que la campagne pour les élections européennes a du mal à s’engager. La situation est la même dans les 28 Etats membres de l’Union européenne. Au Royaume-Uni, la partie de l’électorat favorable au Brexit admet difficilement le fait de devoir se rendre aux urnes, alors que la décision de quitter l’Union européenne a été adoptée par référendum il y a maintenant trois ans. Une analyse de Christian Lequesne pour le CERI.
Le taux de participation au scrutin européen n’a jamais été élevé (43% en 2009 et en 2014). Il y a de fortes chances pour que cette situation n’évolue pas beaucoup en 2019. Par ailleurs, l’idée selon laquelle les élections européennes ne constitueraient plus des élections nationales intermédiaires, parce que les électeurs se prononceraient désormais sur des enjeux européens, est loin d’aller de soi. Les considérations de politique intérieure continuent à jouer un rôle crucial dans le scrutin européen.
En France, par exemple, le nom du vainqueur, la liste LREM ou le Rassemblement National, sera regardé comme crucial pour la deuxième partie du quinquennat d’Emmanuel Macron et pour l’élection présidentielle de 2022. Le paysage politique de l’Europe a pourtant bien changé en cinq ans. Les partis eurosceptiques – essentiellement d’extrême-droite – sont au pouvoir dans plusieurs pays : Italie, Hongrie, Pologne, Autriche (dans le cadre d’une coalition). Leur résultat aux élections est confortable en France, en Allemagne ou encore au Danemark et en Suède. Ces partis séduisent l’électorat populaire, mais aussi celui des classes moyennes en se saisissant d’une double préoccupation : l’une économique et l’autre identitaire. L’argument économique consiste à critiquer une Europe qui aurait trop joué le jeu de la concurrence au détriment de celui de la protection sociale. En Europe continentale, les partis eurosceptiques d’extrême-droite défendent tous l’Etat-providence contre le marché. La variable identitaire concerne quant à elle le rejet de l’immigration, en particulier non européenne, et de l’altérité culturelle, vues comme des ennemis de l’identité nationale.
L’Europe à la démographie vieillissante a ainsi une aversion profonde pour le risque et elle se demande toujours un peu plus de protection. Une récente étude du consultant McKinsey montre que ces tendances s’observent de la même manière dans le secteur des affaires. Alors qu’une majorité des patrons américains considère qu’il est important de prendre des risques en investissant pour l’avenir, une majorité des patrons européens préfèrent d’abord favoriser la stabilité de l’acquis.
C’est la raison pour laquelle, quels que soient les résultats des élections européennes, il sera difficile de mettre en œuvre une véritable réforme de l’Europe politique. La zone euro, le système Schengen, la défense européenne mériteraient d’être portés sur de nouveaux rails, mais il y a peu de chances que cela advienne. Pour la zone euro, les pays d’Europe du nord qui composent la nouvelle Ligue hanséatique diront qu’il faut assurer d’abord la bonne convergence économique de l’actuelle zone euro.
Pour l’accord de Schengen sur la libre circulation des personnes, les pays d’Europe centrale mais aussi l’Italie diront que les procédures ne doivent pas être davantage européanisées car l’immigration nécessite d’abord et avant tout un contrôle aux frontières nationales plus efficace. Ils seront suivis sur ce point par beaucoup de Français, de Néerlandais et d’Allemands.
Pour la défense européenne, l’Allemagne appuyée par la Pologne, le Danemark et les Pays baltes affirmeront qu’il ne faut pas faire de procès d’intention aux Etats-Unis sur leur désengagement de l’Europe et qu’il convient de faire preuve à l’égard de Donald Trump et de l’OTAN de « patience stratégique ».
Il n’est pas certain que la principale menace de l’Europe politique soit la désintégration expresse, comme on le lit parfois, y compris sous la plume des théoriciens de l’intégration européenne. Elle est plutôt dans le statu quo menant à terme au délitement. Pour l’instant, le marché intérieur a résisté à ce mouvement, comme l’ont montré les négociations sur le Brexit. C’est parce que les Britanniques ont à plusieurs reprises proposé des entorses à l’unité du marché intérieur que les autres Etats de l’Union ont plutôt eu tendance à tous le défendre. Le plus souvent par intérêt, comme pour les Pays-Bas et le Danemark historiquement proches du Royaume-Uni, et parfois par principe comme la France qui reste attachée au récit fondateur des quatre libertés de circulation (biens, personnes, services et capitaux) contenues dans les traités européens originels.
Le jour où le marché intérieur perdra son unité de fonctionnement, le projet européen vacillera. Cette perspective n’est nullement à exclure si l’on en croit les attaques régulières contre l’idée de liberté des échanges qui traverse les sociétés européennes et qui est portée notamment par les partis politiques eurosceptiques. La critique sur les inégalités en Europe s’entend, en particulier lorsque l’on observe le creusement du coefficient de Gini dans des Etats comme l’Italie ou le Royaume-Uni, mais il est faux de dire que ceci est dû uniquement à l’existence d’un marché sans barrière. La véritable raison réside dans l’incapacité politique des Etats européens à corriger les externalités des marchés, ce qui n’est pas du tout la même chose.
Ce débat peut au demeurant sembler un peu dépassé alors que le monde entre dans une nouvelle ère économique qui devra combiner la sauvegarde de l’environnement et l’émergence du numérique…
(Source : CERI, 07 mai 2019)
S’abonner
Connexion
0 Commentaires
Inline Feedbacks
View all comments