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Imposer la vaccination aux personnes âgées de 65 ans est une décision injuste et discriminatoire

TRIBUNE LIBRE

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Le 27 janvier 2021, l’association des jeunes gériatres lançait un appel : « Covid-19 : mettons fin à l’épidémie d’âgisme ». La position de ces médecins honore les valeurs de notre démocratie. Ils dénoncent « fermement l’ensemble des déclarations passées et à venir qui introduisent l’idée de discrimination à l’égard des personnes du fait de leur âge ou de leur lieu de résidence ». Que dans son allocution du 9 novembre 2021 le président de la République annonce que les personnes âgées de plus de 65 ans qui n’auront pas accepté la 3ème dose vaccinale d’ici le 15 décembre se verront retirer leur passe sanitaire n’est pas anodin.

Notons qu’il n’est pas question de soumettre d’autres personnes à cette injonction. Les professionnels de santé ou du médico-social, notamment, sont pourtant concernés par des enjeux de santé publique qui imposeraient une même disposition. Quant aux personnes présentant des facteurs de comorbidité, leur incitation à la vaccination n’est pas assortie d’une menace répressive. La prudence politique dans le contexte pré-électoral était d’éviter des controverses tout en adoptant une mesure qui donnait à penser qu’une décision contraignante pouvait encore être acceptée ne serait-ce que parce qu’elle ne justifiait pas d’en débattre.

Effectivement les réactions sont pour le moins discrètes, comme ce fut le cas, avant que l’on s’y oppose, lorsque le président du Conseil scientifique Covid-19 préconisait qu’à la suite du 1er confinement, le 11 mai 2020, ces personnes âgées de 65 ans soient assignées à résidence.

A ce jour sur une population de 13, 748 millions de personnes, 94 % d’entre elles âgées de 65 à 74 ans sont vaccinées, 90, 7% de 75 ans et plus ; chiffres à mettre au regard des 74, 4 % de personnes vaccinées dans la population globale. Si l’on comprend que l’immunité est conditionnée par des critères relatifs à l’âge de la personne, sa capacité d’assumer ses responsabilités pour soi et les autres ne relève en rien de déterminants de la sorte physiologiques. Le préjugé d’incompétence que témoignent les instances publiques à leur égard est assimilable à une forme de stigmatisation, voire de discrimination que je conteste.

Une personne ne saurait être caractérisée en fonction de son âge. Sa personnalité, son parcours de vie dans des environnements différenciés, son insertion sociale conditionnent et caractérisent ce qu’elle est de manière singulière. Nous ne pouvons pas contester a priori sa dignité, son intégrité et sa faculté de discernement selon des considérations irrecevables.

Bénéficier de la sollicitude publique dans l’accès à des vaccins qui est impossible à de plus jeunes vivant dans des pays à revenus faibles ou moyens, est un privilège dont on n’apprécie pas assez la valeur. L’adhésion évidente des personnes de « 65 ans et plus » au schéma vaccinal qui leur est proposé est une évidence peu contestable. Elle ne saurait pour autant dissimuler les réticences ou les empêchements de celles qui vivent reléguées dans un contexte de solitude et de vulnérabilités que Les petits frères des pauvres analyse et dénonce dans son rapport de septembre 2021 : « Baromètre solitude et isolement : quand on a plus de 60 ans en France en 2020 » : 900 000 personnes sont isolées, 300 000 survivent dans un état d’isolement extrême auquel se rajoute une précarité économique.

Plutôt que de brandir la menace d’une rupture du lien social que permet désormais de maintenir le passe sanitaire, les préconisations du chef de l’État auraient pu déterminer des lignes d’action relatives à la démarche de « l’aller vers » qui permettrait de sensibiliser au bienfait de la vaccination les plus vulnérables et les plus exclus parmi nous : ceux effectivement qui se sont à ce point habitués à ne plus se soucier d’eux-mêmes faute d’attentions humaines et sociales à leur égard, qu’ils renoncent à se préoccuper de leurs soins et ne sauront plus comprendre le sens d’une démarche vaccinale.

Les « personnes âgées de 65 ans et plus » ne sont pas réductibles à la population marginalisée des personnes en situation de fragilité, de dépendance, de déliaison.

Il est insultant à leur égard de ne pas savoir reconnaître leur fonction dans la vie de la cité, la part déterminante qu’elles assument au sein de familles éprouvées par les circonstances d’ordre socio-économiques. Leur engagement intergénérationnel si souvent exemplaire, permet d’éviter ou d’atténuer les plus fortes menaces. France bénévolat estimait en 2013, de l’ordre de 36, 6 % le « niveau d’engagement des seniors » dans le bénévolat.

Que l’on cesse de dévaloriser celles et ceux qui incarnent dans notre société ces repères, ces expériences, ces solidarités, ces expressions de justesse et de sérénité dont nous éprouvons le plus grand besoin. Les épris du « monde d’après » auraient pu comprendre, à l’épreuve de la pandémie, qu’une société humaine ne doit pas mépriser ou révoquer le « monde d’avant ».

Les propos compatissants et faussement protecteurs à l’égard des personnes qui, réduites à la catégorie et à la détermination d’un âge, sont assignées à un ordre sanitaire répressif qui n’est pas imposé à d’autres ne sont pas acceptables.

8 100 personnes sont mortes en 2019 des suites d’une complication grippale, parmi lesquelles 71 % étaient âgées de plus de 75 ans. Admettra-t-on demain de conditionner leur passe sanitaire à la vaccination contre la grippe, et pourquoi pas également à d’autres mesures sanitaires ?

En termes de réciprocité, conditionnera-t-on les interactions sociales et familiales des personnes âgées de 65 ans et plus, à la vaccination de l’ensemble des personnes évoluant dans leur environnement, susceptibles de les contaminer ? Qu’en sera-t-il s’agissant des enfants, un enjeu d’arbitrage présidentiel plus compliqué, délicat et politiquement exposé que l’incitation contrainte à une 3ème vaccination des personnes d’un certain âge ?

On l’aura compris, je suis soucieux de ce que chacun puisse bénéficier des avantages auxquels les avancées biomédicales nous permettent d’accéder. La justice à cet égard me semble aussi importante que l’équité dans la prise en compte des contraintes à partager au sein de la société.

Il serait sage, enfin, que l’on débatte en société des choix nécessaires dans la stratégie de lutte contre la Covid-19, sans donner l’impression d’improviser des mesures dont on sait que leur effectivité se heurte désormais à la capacité d’acceptation d’une société fatiguée après ces mois de décisions erratiques. Si effectivement, selon des argumentations scientifiques, il nous faut intégrer la nécessité de rappels réguliers de la vaccination, jusqu’à quand sera-t-il concevable de tergiverser à propos des conditions de mise en œuvre d’une obligation ? Chacun a compris que cet impératif s’insinue dans les pratiques de gouvernance et induit des décisions subreptices, éthiquement discutables, comme celle qui concerne aujourd’hui les personnes de plus de 65 ans faute d’avoir eu le courage politique d’en reconnaître et d’en assumer la justification pour tous.

Emmanuel Hirsch, Professeur d’éthique médicale, université Paris-Saclay

Vient de paraître, E. Hirsch, Une démocratie endeuillée : Pandémie, premier devoir d’inventaire, Editions Erès, octobre 2021.

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jpgayot@orange.fr
2 années

Monsieur Hirsch est contre la vaccination obligatoire, on le savait. S’en défendre par le biais de la démocratie est une farce !

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