Le ministère de l’environnement ouvrait ses portes hier soir à deux monstres sacrés de la philosophie : Edgar Morin et Patrick Viveret. Dans un débat animé par Gilles Bœuf, professeur au Collège de France, et ponctué par le charme du jeune dramaturge David Wahl, une seule question était posée : « L’homme est-il « savant » ? » clin d’œil à Sapiens, qu’Edgar Morin se hâte de compléter par Demens et Ludens.
À l’issue de ce débat, nous avons demandé en aparté, et pour les lecteurs de UP’, à Edgar Morin comment il pensait ce phénomène que nous relatons souvent dans les pages de ce magazine : la capacité de l’humain de modifier le vivant, de modifier son humanité, voire son espèce.
Pour Edgar Morin, ce phénomène doit d’abord être situé dans sa coïncidence avec le pouvoir de destruction totale de l’espèce humaine que donne l’arme nucléaire. « En même temps que nous avons ce pouvoir et en même temps que nous sommes dans un processus qui nous conduit vers des catastrophes, qu’elles soient écologiques sur la biosphère, qu’elles soient économiques et qu’elles soient le produit des fanatismes politico-religieux, En même temps nous avons une perspective catastrophique et une perspective euphorique. »
La perspective euphorique nous promet quelque chose de merveilleux : « on va prolonger la vie humaine, la vieillesse en bonne santé. Les robots vont s’occuper des tâches ennuyeuses et fatigantes… » On nous promet même l’immortalité. Pour Edgar Morin, cette promesse est illusoire : « Nous n’acquerrons jamais l’immortalité. Nous pourrons prolonger nos vies. Mais d’abord nous n’anéantirons pas les organismes unicellulaires, les bactéries et les virus qui sont très malins et qui savent se reproduire. Nous n’éliminerons pas les accidents technologiques qui sont de plus en plus importants. Et la Terre mourra, le soleil mourra. Donc, l’idée d’éliminer la mort est un mythe. Mais l’idée d’améliorer nos vies est une possibilité. »
Pour le philosophe, « Tant que l’on n’a pas acquis une conscience, que l’on n’est pas capable de maîtriser le devenir humain, tant que celui-ci est emporté par des forces obscures qui sont l’inconscience et l’intérêt, je trouve que ces possibilités n’auront peut-être d’effets que sur une élite très restreinte qui jouira de la durée prolongée de la vie comme les Pharaons de l’Égypte antique étaient les seuls à bénéficier de l’immortalité par rapport aux autres ».
Edgar Morin nous livre une solution. Nous devrions prendre le problème dans l’autre sens. Puisque nous sommes dotés de pouvoirs aussi puissants, inversons leur dynamique, tâchons d’éviter notre propension à aller vers les catastrophes. Pour cela, « essayons d’avoir un peu plus de conscience, un peu plus d’intelligence, un peu plus de morale ». Cette sagesse, l’homme ne l’a pas encore acquise. Il lui reste du chemin, mais il faut espérer.
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