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Dérèglement climatique : un portrait inédit des éco-anxieux de 18-30 ans

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Que ressentent les jeunes éco-anxieux ? Comment perçoivent-ils l’aspect personnel, intime, collectif et politique de l’imminence du réchauffement et de ses conséquences ? Dans une étude inédite, publiée ce mardi 25 octobre, conduite par la Fondation Jean-Jaurès et le Forum français de la jeunesse, le portrait d’une génération qui fait face aux conséquences du dérèglement climatique exprime une même colère vis-à-vis de « ceux qui peuvent » agir efficacement pour limiter le réchauffement climatique, une angoisse commune face à ce que sera leur monde pour les décennies qu’il leur reste à vivre, une perspective encore assombrie lorsqu’ils pensent au monde dans lequel leurs enfants feront leur vie, et, enfin, la formation d’une communauté surengagée, unanimement mobilisée à titre personnel.

Marie Caillaud, Rémi Lauwerier et Théo Verdier (1) publient avec la Fondation Jean-Jaurès et le Forum français de la jeunesse une vaste enquête qualitative sur l’éco-anxiété chez les jeunes Français de 18 à 30 ans. L’étude a pour ambition de mieux saisir l’état d’esprit des jeunes éco-anxieux et la manière dont ils perçoivent l’aspect personnel, intime, collectif et politique de l’imminence du réchauffement et de ses conséquences.

Pouvons-nous affirmer de manière rationnelle que nous allons réussir à limiter le réchauffement dans la limite de 1,5°C à 2°C ? Sommes-nous confiants dans la capacité de notre société à s’adapter pour sauvegarder notre qualité de vie dans un monde en proie au réchauffement ? À ces questions, deux tiers des Français tendent à répondre de manière négative. 64 % d’entre eux estiment que les conditions de vie deviendront bientôt « extrêmement pénibles » à cause des dérèglements climatiques (2).

Pour la génération née dans les années 1990 et 2000, cela signifie porter la charge d’une vie à construire à travers les bouleversements induits par ces dérèglements. Un avenir dans lequel l’été 2022, ses vagues de chaleur record, sa sécheresse et ses incendies constitueront un « été normal » en milieu de siècle (3) selon Météo France. En ce sens, cette classe d’âge plaçait début 2022 l’environnement parmi ses premières préoccupations – 38 % des 18-24 ans et 36 % des 25-34 ans le désignent comme l’un des sujets prioritaires pour eux – dans une proportion supérieure au reste de la population française (29 %) (4).

Le Forum français de la jeunesse et la Fondation Jean-Jaurès ont entrepris d’explorer la vision du monde développée par des jeunes exprimant une préoccupation climatique particulièrement aiguë. Ces témoins résident en France et sont âgés de dix huit à trente ans. Ensemble, ils forment un panel d’éco-anxieux issus de tous les milieux géographiques et sociaux. Dans leur diversité, leurs propos permettent de recomposer l’état d’esprit d’une génération face à la perspective d’un monde dont ils anticipent avec angoisse les bouleversements.
Ont été étudiés les ressorts personnels et intimes qu’implique la certitude du dérèglement climatique et la manière dont cette dernière affecte leur rapport aux autres et à leur famille, la perception qu’ils ont d’eux-mêmes et leur vision de l’avenir, leurs engagements sur les plans civique et politique, la manière qu’ils ont de consommer et de se nourrir ou encore de se déplacer au quotidien.

Ce portrait est celui d’une avant-garde : des personnes de tous horizons, caractérisées par leur conscience des conséquences critiques du changement climatique. De par leur jeunesse, ils font face à une équation difficile : travailler à préparer leur avenir personnel au sein d’une société qu’ils perçoivent comme dysfonctionnelle, puisqu’elle ne semble pas avoir pris pleinement conscience de l’urgence à laquelle elle fait face.

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Aux racines de la colère, l’inaction des décideurs publics et privés

L’éco-colère à l’égard de « ceux qui ont le pouvoir » constitue l’émotion la plus partagée par les éco-anxieux du panel. Cette « éco-colère » naît de la dichotomie entre, d’une part, le sentiment d’urgence des répondants ainsi que leur engagement personnel et, d’autre part, le constat qu’ils font d’une relative inaction à l’échelle collective, dans leur cercle proche, sur leur lieu de travail et dans la vie publique. Leur irritation se dirige principalement contre « ceux qui ont le pouvoir », décideurs publics et privés. En découlent une hyper-responsabilisation, les éco-anxieux étant attentifs tant aux rapports du GIEC et aux paroles des experts qu’à la moindre de leurs conduites, et une angoisse unanimement partagée sur ce que sera la vie dans la France de 2050.

Un « bruit de fond » latent depuis l’enfance : permanence des enjeux climatiques à l’esprit des 18-30 ans

Les entretiens conduits ont permis d’illustrer la diversité de parcours et d’expérience qui fait croître la préoccupation climatique des individus du panel. Certains font état d’un déclic soudain, comme l’émergence du mouvement Fridays for Future en 2018. Toutefois, les répondants soulignent majoritairement la montée progressive des préoccupations au regard de la prégnance des enjeux climatiques depuis l’enfance dans leur cercle familial, leur parcours scolaire et l’actualité, sur les réseaux sociaux et les médias traditionnels. La moitié du groupe d’étude fait état du rôle important joué par les parents dans la sensibilisation aux enjeux environnementaux. 11 répondants datent le début de leur préoccupation au lycée.

Vers la formation d’une stratégie carbone individuelle

Le premier mouvement des éco-anxieux, le plus partagé tout du moins, réside dans un engagement à titre individuel. Il s’agit, d’une part, de modifier des éléments liés à sa consommation, à l’alimentation ou encore aux modes de transport.

Les éco-anxieux font de leurs préoccupations un moteur à l’action environnementale. Pour prioriser les changements de comportements à opérer dans leur vie quotidienne, ils établissent une hiérarchie entre l’impact environnemental des actions à mener et leur capacité à les mettre en œuvre selon leurs revenus, leurs fréquentations, leur activité professionnelle, leurs études et leur lieu de vie. Ils procèdent ainsi à une planification des écogestes à adopter dans le temps, ce qui a été désigné comme le développement d’une stratégie carbone individuelle.

À titre d’exemple, 70% des enquêtés sont ainsi végétaliens (1 personne), végétariens (10) ou flexitariens (9), pour seulement 9 omnivores. Ils s’inscrivent dans une dynamique de société tout en la devançant, 24% des Français étant flexitariens et 2,2% d’entre eux ayant adopté un régime sans viande.

Parmi les plus préoccupés par le changement climatique, l’usage est plutôt vers un engagement stable et pérenne, avec moins de culpabilisation en cas de craquage – craquage incarné par la consommation ponctuelle de viande ou l’achat d’un sac plastique à la caisse d’un supermarché.

« Dans quel monde va-t-il vivre ? » 

Est-il responsable d’avoir un enfant dans une société profondément altérée ? En France, 37 % des 16-25 ans hésitent à avoir des enfants face à la perspective du changement climatique. Une indécision largement présente dans le panel, où trois arguments sont cités en faveur d’une renonciation au projet parental. Les enquêtés se partagent entre deux triptyques argumentaires développés dans l’étude. Les uns nourrissent l’espoir d’une atténuation du dérèglement, aspirent à faire de leurs enfants de futurs militants pour la cause environnementale et priorisent ainsi le désir d’en avoir. Les autres, qui représentent un tiers du panel, optent pour une vision plus malthusienne faisant de l’enfant un émetteur de gaz à effet de serre qui héritera d’un environnement dégradé, voire invivable.

Il s’agit tout d’abord de préserver « les générations futures » d’un monde aux conditions de vie incertaines. Puis de limiter sa propre empreinte sur le climat, la naissance d’un enfant étant perçue comme une contribution potentielle à la surpopulation. Enfin, 9 répondants, soit près d’un tiers du groupe d’étude, en viennent à interroger les raisons qui les amènent à souhaiter avoir des enfants : face aux conséquences du dérèglement, le désir de fonder une famille apparaît alors « égoïste », relevant de la satisfaction d’un besoin personnel. Il s’agit là d’une situation représentative de l’échelle nationale, un tiers des 16-25 ans hésitant en effet à avoir des enfants au regard du changement climatique selon une étude du Lancet publiée en 2021.

In fine, seuls 3 répondants du panel affirment renoncer à avoir des enfants pour des raisons climatiques.

Le raisonnement de la renonciation est, dans le reste du panel, mis en regard d’une série de pensées positives, parmi lesquelles l’espoir d’un changement de situation sur le plan climatique ou encore l’espoir que leurs futurs enfants deviendront « des militants » en plus pour la cause environnementale. Les répondants qui décident d’avoir des enfants font, enfin, état d’une priorisation de leur projet parental sur leurs convictions et appréhensions.

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La mobilisation collective, un outil minoritaire pour contrer la catastrophe

Par-delà l’engagement individuel, certains répondants prônent la mobilisation collective. Ils sont pourtant une minorité à faire de l’écologie la source principale de leur activisme, ne plaçant pas la thématique au sommet de leur hiérarchie de l’action et militant en parallèle contre le sexisme, le racisme ou la pauvreté. Ceux qui ne franchissent pas le cap de la mobilisation invoquent quant à eux le faible impact que cette dernière pourrait avoir (certains doutant par exemple de l’efficacité des marches pour le climat) et le caractère désuet de certaines formes d’engagement (à l’image du parti politique). À noter toutefois que le taux de participation à la vie démocratique du panel est extrêmement élevé, avoisinant les 95% (ce alors que près d’un tiers des jeunes électeurs se sont abstenus à l’élection présidentielle de 2022).

Ceci étant, le rapport dresse un panorama actuel des préoccupations de jeunes hautement inquiétés par les défis climatiques à venir et illustrent leur vision de la parentalité, de l’avenir, de la consommation et de l’engagement. Et sonne l’alarme d’une génération qui souhaiterait avoir plus qu’un environnement exsangue comme héritage.

L’éco-anxiété n’est pas une pathologie. Elle est le symbole d’une prise de conscience salutaire dans une société qui ne semble pas, pour les répondants du panel, comprendre les enjeux. Il n’existe pas encore de consensus sur le nombre de Français qui pourraient se considérer comme éco-anxieux. Il y a toutefois fort à parier que leur nombre va croissant, comme le démontre leur préoccupation grandissante sur ce thème relevée par les études d’opinion (5).

Lire l’étude complète

(1) Marie Caillaud est présidente du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse.
Rémi Lauwerier est coauteur de Des Européens éco-anxieux ? Le climat à l’épreuve du quotidien (L’Aube, Fondation Jean-Jaurès, 2022).
Théo Verdier est codirecteur de l’Observatoire Europe de la Fondation Jean-Jaurès et coauteur de Des Européens éco-anxieux ? Le climat à l’épreuve du quotidien (L’Aube, Fondation Jean-Jaurès, 2022).
(2) Représentations sociales du changement climatique : 22e vague du baromètre, Agence de la transition écologique (ADEME), octobre 2021
(3) « Changement climatique : l’été 2022 et ses extrêmes météorologiques pourraient être la norme après 2050 », Météo France, 30 août 2022
(4) Enquête électorale française, vague 5, enquête Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès, le Cevipof et Le Monde, 11 février 2022.
(5) Depuis plus de dix ans, le changement climatique figure parmi les problématiques mondiales considérées comme les plus sérieuses par les Européens.

Étude conçue avec Anaïs Anselme, déléguée générale du FFJ (Forum français de la jeunesse), Emmanuel Boumard, trésorier de la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne), et Yana Prokofyeva, militante pour la protection des océans dans une association environnementale.
Méthodologie sous la direction de Rémy Broc, chef de groupe, Harris Interactive.

Photo d’entête : © AFP

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