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Nostalgie, le pays du temps immobile

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Le présent dilaté est l’espace-temps de l’homme actuel dont la conscience devient odysséenne (1) . Dans son éternel présent, l’homme ne cesse de marcher, d’étancher sa soif qui le dévore de tenter l’aventure des ailleurs du temps. La même aventure que celle d’Ulysse abandonnant Pénélope et son île d’Ithaque ou d’Alexandre sur les rives de l’Indus, que celle des Chevaliers en quête du Graal ou du Juif errant vers la terre de ses pères.

Apparaît ainsi la nostalgie, qui, pour le philosophe libanais René Habachi, n’est « ni de jadis, ni de plus tard, ni du proche, ni du lointain, qui est du présent. Qui surgit de l’ici et du maintenant, à même l’instant, à fleur de geste. » (2)

On se trompe quand on réduit la nostalgie au seul mal du pays. Elle est un état existentiel, mais d’une existence qui se sent mal dans sa peau parce qu’elle y entend résonner les échos de sa surexistence. En ce sens, elle est un mal extrêmement contemporain car elle respire l’ambiance de l’éternel dans son présent et se ressource sans cesse à son origine. Elle est là, lancinante et discrète, attendant d’être reconnue, d’être entendue par notre conscience. En réalité, ce n’est pas nous qui appelons la nostalgie, c’est elle qui nous appelle ; en effet, sa surexistence lui permet de « prendre la forme du souvenir ou du projet, du passé ou du futur. Mais en vérité, elle est nostalgie du présent. » (3)

● Elle est le conservatoire permettant de vivre ici et maintenant en fonction d’un ailleurs spatio-temporel mythique. Michel Maffesoli appelle nostalgie « le pays du temps immobile » (4), qui traduit le désir pour quelque chose qui est passé mais toujours présent dans l’imaginaire social avec une prégnance insoupçonnée. C’est le mythe du jardin paradisiaque propre au monde judéo-chrétien comme au monde musulman, c’est l’utopie, le non-lieu, le pays des rêves surgissant dans le présent des hommes. C’est en même temps, l’uchronie, le non-temps, point de référence et de structuration de la société à un moment donné.

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● La vie sociale ne se construit pas sur la simple résolution des problèmes qu’elle rencontre. C’est ce que pensait la modernité progressiste, pétrie de foi bigote dans la toute puissance des productions de son intelligence pour affronter l’avenir. La vie sociale se construit aujourd’hui, au delà de la linéarité historique, sur la tension des problèmes entre eux. C’est ce qui confère la dimension éternelle au présent.

La temporalité actuelle, éternité d’un universel concret, trouve sa dynamique dans la soif de l’infini que la nostalgie impulse. Elle met en suspens le temps pour tendre, entre passé et futur, vers une éternité rêvée. Le chant grégorien est l’image de cette tension. Il est en effet une ligne tendue à l’horizontale, surélevée, qui ne se pose pas malgré les inflexions des voix. C’est un souffle, fil tendu entre le silence du début et celui de la fin, d’éternité à éternité. La nostalgie est l’expression de cette dynamique du temps, mettant en tension passé et futur dans un présent éternel.

● La nostalgie n’est plus ce qu’elle était ; elle ne réactualise par un passé mélancolique perdu. Elle cristallise un manque d’horizon, une ignorance comme dirait Kundera, d’un futur utopique, perdu dans les mailles d’un présent autarcique. Quand l’air du temps actuel chante, au présent, les airs du passé, l’esprit est porté vers un avenir fantasmé.

Le début du XXIe siècle voit ainsi la formation d’une vague qui intrigue de nombreux parents. Leurs rejetons chantent des chansons qu’eux mêmes fredonnaient à leur âge, il y a une génération. Ces refrains sont les succès d’aujourd’hui, remixés ou pas, compilés dans des albums souvenirs ou repris par les vedettes en herbe de la Star Academy. Ce phénomène n’est pas un repli franchouillard, nostalgique d’années disparues. Il est mondial. Il touche tous les publics, sur l’ensemble de la planète. Vers la fin des années 90 on avait cru à jamais ensevelis sous la vague techno, rap, metal, les augustes monuments du rock et de la pop music. Erreur. Bowie revient, les Stones déferlent, Mac Cartney chante toujours les Beatles comme s’ils n’avaient jamais disparu, Santana rythme les chambres des ados, Mark Knopfler, vestige des Dire Straits, est le modèle de tous les guitaristes de quatorze ans, Jimi Hendrix, une idole, un dieu toujours vivant, objet de culte, de livres, d’expositions…

Le fait est curieux car nous étions plutôt habitués à ce que les générations se heurtent et s’excluent. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Les parents vont avec leurs enfants aux concerts de ces monuments historiques. Ils applaudissent aux mêmes morceaux, vibrent au même tempo. Mais leur nostalgie est différente. Les parents ont la nostalgie de leur passé, de leur adolescence, de leur jeunesse perdue ; les enfants ont, eux, la nostalgie d’un futur impossible qui ressemblerait à la jeunesse des parents, à cette époque où les parents manifestaient et scandaient leur refus du monde qu’ils voulaient changer. (5)

Car, le rock’n’roll c’était bien ce mouvement qui portait la subversion, le refus de l’ordre et des valeurs établies ; il accompagnait et rythmait la contestation et la protestation. Les adolescents d’aujourd’hui ont certes leur musique à eux, mais ils se réfèrent aux pères spirituels de leurs parents pour vivre, par procuration, les rêves révolutionnaires d’hier.

 

(1) : Cf. : Jean Brun, Les vagabonds de l’Occident, Desclée, 1989

(2) : Cf. René Habachi, Mazurka et philosophie : analyse de la nostalgie, in Actes du colloque Musique et philosophie, Université de Dijon, novembre 1983

(3) : Cf. René Habachi, op.cit.

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(4) : Cf. Michel Maffesoli, L’instant éternel, op.cit.

(5) : Cf. Évelyne Pieiller, Nostalgie d’un avenir subversif, in Le Monde diplomatique, avril 2003

 

 

 

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