Alors que les risques bioclimatiques mettent en tension les organisations, la capacité à rendre compte des performances environnementales et sociales devient stratégique. Au-delà de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), il s’agit de faire de la protection des équilibres écosystémiques, une condition de toute activité, de toute entreprise. Le monde politique – Europe en tête – est d’ailleurs en train de fonder une nouvelle conformité (par les nombreuses législations liées au Green deal) que l’on peut résumer par l’injonction : “mettez-vous en adéquation avec la trajectoire écologique, sinon justifiez l’écocide !”.
Le principe pollueur-payeur a été adopté par l’OCDE en 1972 comme principe fondateur de l’économie (1). Ce principe est un des principes essentiels qui fondent les politiques environnementales dans les pays développés.
Arthur Cecil Pigou est connu pour avoir préfiguré l’économie de l’environnement en introduisant en 1920 ce principe pollueur-payeur (même si le terme n’est pas de lui) dont le but est de déterminer à qui imputer le coût d’une pollution. En étudiant un certain nombre de situations non optimales (situations dans lesquelles on peut améliorer le bien-être d’un individu sans détériorer celui d’un autre individu), Pigou met en avant le rôle déterminant des externalités.
Il est question d’externalités lorsque l’acte de consommation (ou de production) d’un agent influe positivement ou négativement sur la situation d’un autre agent, sans que cette relation fasse l’objet d’une compensation monétaire. Il peut alors s’agir d’externalités négatives (exemple : la pollution causée par une usine rejetant ses déchets dans une rivière, qui va affecter la situation des pêcheurs) ou d’externalités positives (exemple : si mon voisin est un bon jardinier et que j’aime les fleurs, à chaque fois que je passerai devant sa maison, je serai plus heureux).
Le point commun des externalités est qu’elles ne sont pas prises en compte par le marché. Ainsi, en présence d’externalités, si chacun poursuit son seul intérêt, on obtiendra une situation sous-optimale : l’usine polluera trop et mon voisin ne mettra pas assez en valeur son jardin.
La Fête à Pigou, pour préparer ensemble une civilisation écologique
Nous pouvons faire atterrir notre économie ; aussi, l’événement la Fête à Pigou est là pour le démontrer. Ce rendez-vous, le 1er juillet à Ground Control Paris, permettra d’appréhender les ressorts d’une économie qui ménage le vivant comme le climat pour rendre tangibles les pratiques économiques branchées sur le maintien des écosystèmes.
Jamais nous n’aurions dû perdre de vue l’importance de nos milieux de vie. Avec l’oeconomie, qui intègre le ménagement des biens, sources de valeur, – et dont nous parlera Pierre Calame, président de la Fondation pour le progrès de l’Homme – nous comprendrons l’urgence de devoir quitter la destruction aveugle du système actuel.
Avec Alain Lipietz, ancien député européen, nous appréhenderons les coûts cachés à intégrer pour légitimer et encourager toute nouvelle pratique comme la géothermie.
Avec les économistes Antonin Pottier, Sylvie Faucheux, l’essayiste Lucile Schmid, nous verrons pourquoi et comment le temps est venu de « rendre des comptes ».
Avec Flore Berlingen, experte déchets, et Sylvie Gillet, experte biodiversité chez Orée, nous découvrirons les moyens de mesure d’impacts, les leviers comptables, réglementaires ou fiscaux.
Toute l’après-midi du 1er juillet sera consacrée aux changements concrets de pratiques. Car ce sont bien les moyens, les méthodes, les expériences, les innovations dans nos manières de faire qui vont changer la donne. Depuis les territoires jusqu’aux investisseurs. Nos industries, nos économies actuelles ne sont pas seulement en risque, elles génèrent des risques désormais insoutenables.
Ouvrir des portes de transformation
Après Fabrice Bonnifet et Alain Lipietz, Cécile Renouard, cofondatrice du Campus de la transition, raconte sa vision de l’événement. Elle rappelle fort justement que les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) servent encore trop souvent à sécuriser les activités des entreprises face aux risques environnementaux, climatiques notamment, plutôt qu’à les responsabiliser face à leurs « externalités négatives », aux risques qu’elles font peser sur l’environnement et, du même coup, sur les populations.
Pourtant cette logique économique qui ne vise à conserver que le capital financier pourrait intégrer avec un minimum d’efforts – et dans son propre intérêt sur le long terme – les coûts « de maintien », de préservation de la nature et du capital humain. Elle peut pour cela s’inspirer des nouvelles stratégies, méthodes et pratiques qui éclosent un peu partout à différentes échelles dans les territoires, en Europe et ailleurs.
L’expérimentation et l’ouverture aux autres sont en effet des clés pour répondre aux défis socio-écologiques. Par exemple, expérimenter la réduction de son empreinte environnementale au sein de collectifs associatifs, citoyens, de quartiers ou d’entreprises, comme le fait le Campus de la transition, a du sens pour servir d’inspiration à chacun de nous tout en évitant de faire porter le poids du monde et de la transition aux individus isolément.
Cécile Renouard a proposé, avec le Manuel de la grande transition, cosigné en 2020 avec 70 auteurs du collectif FORTES (Former à la transition écologique et sociale de l’enseignement supérieur), que chacun essaie d’ouvrir ou de traverser une au moins des six « portes » de transformation de nos activités : gouverner la préservation des ressources, considérer les autres êtres vivants et les générations futures, redéfinir nos indicateurs et nos normes, interroger nos rationalités, nos imaginaires et nos récits de vie, réfléchir à l’efficacité de l’action collective, se reconnecter aux autres et à la nature.
Cécile Renouard débattra donc le 1er juillet au sein de la table ronde « Comment l’entreprise contributive revivifie les territoires ? » avec Fabrice Bonnifet, directeur RSE de Bouygues, Léa Thomassin, cofondatrice d’Hello Asso, et Elisabeth Laville, directrice d’Utopies. Ce sera l’occasion d’entrouvrir ces portes, de voir quels « souffles d’air » peuvent y naître et quelles configurations nouvelles de création de valeurs deviennent ainsi visibles.
Rendez-vous donc le 1er juillet prochain pour changer les règles du jeu économique, pour devenir de vrais partenaires du vivant dans nos manières de produire, bref pour générer une civilisation écologique comme l’a décrite avec brio l’historien Jeremy Lent, en s’appuyant sur les visions cohérentes de Kate Raworth et Bill McKibben.
Dorothée Browaeys et Jean-Jacques Perrier, TEK4life
(1) Principe juridique et économique régie par l’article L. 110-1 du Code de l’environnement, qui dispose que « les frais résultants des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci sont supportés par le pollueur ».