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Les projets industriels en quête d’acceptabilité

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La responsabilité sociale et environnementale (RSE) continue à susciter de nombreux débats. Démarche initialement volontariste et déclarative, elle tend de plus en plus à devenir un paramètre-clé d’évaluation des entreprises, faisant l’objet de critères contraignants pour évincer progressivement les techniques de greenwashing qui peuvent encore discréditer l’approche. Une seconde notion d’émergence plus récente pourrait venir pertinemment compléter la RSE, en s’intéressant davantage aux parties prenantes en interaction plus ou moins volontaire avec les entreprises.

C’est en tout cas ce que sous-entend le concept de social license to operate (SLO), apparu au début des années 2000 au sein de l’industrie minière. Des chercheurs australiens ont défini la SLO comme « l’acceptation ou l’approbation d’une opération par les parties prenantes de la communauté locale qui sont affectées par celle-ci ». Un tel « permis social d’exercer » n’est jamais « auto-attribué » : il émerge progressivement, à l’initiative des parties prenantes, de manière plus ou moins formelle pour un projet précis et dans un contexte donné, et il est toujours susceptible d’être retiré. Il n’a donc pas de valeur juridique, mais consiste en une forme d’approbation sociale, qui, si elle n’est pas contraignante légalement, peut quand même avoir des conséquences bien réelles sur la conduite d’une activité économique. 

Les chercheurs Ian Thomson et Robert G. Boutilier, spécialistes de la SLO, dégagent en réalité trois « seuils » qualitatifs dans l’acquisition et le maintien de ce permis social : la légitimité sociale, la crédibilité et la confiance. L’atteinte progressive de ces trois seuils par les entreprises auprès de leurs parties prenantes permet de renforcer petit à petit l’acceptabilité de leurs opérations et de réduire les risques sociopolitiques afférents. 

Les entreprises doivent être légitimes et « jouer le jeu » 

Respecter les « règles du jeu » : c’est le premier seuil de la social license to operate. Une entreprise qui souhaite s’implanter dans un pays pour exploiter des matières premières ou construire une usine doit suivre les « règles locales », qu’elles soient juridiques, sociales, culturelles, informelles… Mais les acteurs économiques doivent aussi et surtout être transparents avec les parties prenantes : c’est le fondement de leur légitimité auprès d’elles. Une communication fondée sur une présentation biaisée des réalités ne permet pas d’obtenir l’approbation durable d’une communauté.

Un exemple manifeste de cette réalité est celui de Shell, pétrolier anglo-néerlandais présent depuis les années 1950 dans le delta du Niger (Nigéria). En 70 ans d’exploitation d’or noir dans le delta, la compagnie pétrolière n’est jamais parvenue à obtenir l’approbation des populations locales, celles-ci étant même amenées à s’attaquer directement aux installations du pétrolier avec pour résultats de violents affrontements avec les forces de l’ordre dans les années 1990. Les principaux griefs concernent notamment le manque de transparence quant à l’impact environnemental de ces activités, une erreur qui a rendu la conduite de ses opérations extrêmement difficile.  

Shell a ainsi été accusée, au début des années 2010, d’avoir fourni des informations erronées à ce sujet, ce qui a fait perdre toute légitimité résiduelle à l’entreprise. Dans un rapport paru en 2013, l’ONG Amnesty International explique ainsi que « les affirmations de Shell sur son impact environnemental dans le delta du Niger sont souvent fausses. Shell a prétendu que les enquêtes sur les déversements de pétrole étaient fiables alors qu’elles ne l’étaient pas, que les sites étaient nettoyés alors qu’ils ne l’étaient pas, et que la société était transparente alors qu’en réalité, elle exerçait un contrôle très strict sur chaque élément d’information ». 

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Pourtant, de nombreux exemples prouvent qu’il n’est jamais trop tard pour tenter d’établir un premier rapport favorable, à la condition de communiquer de façon honnête, à l’aide d’informations fiables et vérifiables. Une démarche qui doit se traduire par des actions cohérentes si l’entreprise veut pouvoir être crédible. 

Joindre le geste à la parole pour gagner en crédibilité

Entre 2003 et 2007, après des accusations graves de travail infantile, l’entreprise textile Gap s’est engagée dans un dialogue multipartite sur la manière de réduire les risques d’abus en matière de main-d’œuvre dans sa chaîne d’approvisionnement. 

Pour John Morrison, directeur de l’Institute for Human Rights and Business et spécialiste de la SLO, la multinationale « a fait preuve de transparence quant aux mesures qu’elle avait prises » sur ce terrain-là. Une attitude qui a montré qu’elle créait de la valeur en termes de réputation : lorsque des sous-traitants de l’entreprise ont de nouveau été accusés de faire travailler des enfants, Gap « a été défendu par une série de parties prenantes pour avoir fait preuve d’une diligence raisonnable », souligne John Morrison. En communiquant de façon claire sur les actions réalisées et en agissant en conséquence, la société a pu démontrer sa bonne foi auprès des communautés locales et des parties prenantes. Au moins pendant quelques temps… car sa crédibilité a été ensuite mise à mal en 2013, après l’effondrement du Rana Plaza (Bangladesh), qui a provoqué la mort de plus de 1000 personnes.

À la suite de ce drame, le management de Gap a été critiqué par des groupes de défense des droits des travailleurs, regrettant notamment que la multinationale ait refusé que les salariés puissent former des syndicats. Une preuve que la relation avec les parties prenantes est toujours fragile et sans cesse susceptible d’évoluer, y compris négativement, en particulier lorsqu’une entreprise ne maintient pas dans la durée la cohérence entre ses engagements de principe et les actions qui les concrétisent, ou n’est pas à la hauteur de ce que ses partenaires peuvent attendre d’elle. 

À l’inverse, une entreprise qui parvient à surmonter ces obstacles peut espérer gagner la confiance des parties prenantes et des populations impactées, renforçant davantage les liens qui les unissent. 

Construire progressivement une relation de confiance mutuelle 

Au Mozambique, la découverte d’importantes réserves de gaz naturel a suscité un espoir important d’accès à un niveau élémentaire de bien-être pour les populations de ce pays parmi les plus pauvres du globe. L’enthousiasme à l’égard des projets d’exploitation ne va toutefois pas de soi, avec des débuts mouvementés et l’insurrection qui fait rage depuis 2017 dans le Cabo Delgado, la région qui abrite les réserves d’hydrocarbure en question.  

Cette guérilla, nourrie pour partie par le sentiment que les communautés locales ont d’être abandonnées par le pouvoir central, a compliqué la tâche des énergéticiens en termes d’acceptation du projet. Mais, à l’inverse, le pic de l’insurrection en 2021 a aussi suscité une prise de conscience quant à la nécessité d’inclure le plus possible ces populations dans la conduite des activités et dans le partage des retombées positives de celles-ci.

Cette prise de conscience se structure essentiellement autour d’actions collaboratives, à l’instar de l’initiative « Pamoja Tunaweza » (« Ensemble, nous pouvons » en kiswahili), lancée par les partenaires du groupement Mozambique LNG, qui associe ces derniers à des acteurs économiques et associatifs locaux de Cabo Delgado.

Au début de l’année, en partenariat avec l’association locale Sunshine Approach Foundation, 2,5 millions de dollars ont ainsi été débloqués afin de donner un nouvel élan à l’industrie de la noix de cajou à Cabo Delgado, qui avait été particulièrement mise à mal par l’insurrection. Le programme en question implique 7 communautés de Palma et vise à garantir un revenu durable à environ 900 familles. 

Plus globalement, dans le contexte du retour progressif des populations permis par la stabilisation en cours de la région, les énergéticiens mènent, de concert avec les ONG déployées sur place, un éventail d’actions très large, assez éloigné de leur « cœur de métier » : aide aux pêcheurs locaux, appui aux activités agricoles, don de nourriture et de vêtements, rénovation d’infrastructures…
Des initiatives qui sont susceptibles d’établir un lien de confiance entre les Mozambicains et les entreprises impliquées, alors même que l’État mozambicain peine encore sensiblement à subvenir aux besoins de sa propre population. Un sociologue et chercheur mozambicain observe que les compagnies gazières en viennent à remplacer l’État en matière « d’aide humanitaire, de rétablissement du tissu économique, de l’environnement, dans la réhabilitation des routes, des écoles et des installations sanitaires et, même, dans le secteur de la justice ». 

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Une telle confiance qui, si elle se consolide, serait susceptible de créer, dans le cadre de la conduite du projet, « un sentiment de copropriété ou d’identification psychologique » (Thomson et Boutilier) du côté des parties prenantes. Surtout, les habitants ayant déjà établi une relation économique, sociale ou humanitaire avec les entreprises du groupement Mozambique LNG, et ayant constaté leurs efforts, notamment en partenariat direct avec des acteurs locaux reconnus (entreprises ou associations), ils seraient beaucoup plus susceptibles de faire confiance à ces opérateurs économiques pour mener à bien le projet en question. Ce dernier serait, de plus, davantage perçu comme une voie de sortie potentielle à la situation difficile dans laquelle les habitants sont plongés, grâce à ses nombreuses retombées économiques (création d’emplois, d’infrastructures…). Il faudra néanmoins attendre le véritable redémarrage des travaux pour appréhender la réalité des effets de ces actions menées par des entreprises privées sur l’acceptabilité du projet par les parties prenantes locales.

Jean-Pierre Rousseau, Ingénieur 

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