En annonçant de nouveaux droits de douane massifs sur les importations en provenance d’Asie et d’Europe, le président américain Donald Trump a provoqué un séisme, ravivant les tensions commerciales et semant le trouble sur les marchés financiers. Mais au-delà d’une seule guerre commerciale, ces mesures marquent une rupture décisive avec le modèle économique globalisé des dernières décennies. « Le message de Trump est clair : la mondialisation est finie », éditorialise le Wall Street Journal.
L’annonce de Trump était truffée d’insultes et d’absurdités. Le reste du monde avait pillé, violé et saccagé l’Amérique – des affirmations choquantes si elles émanaient de n’importe quel autre président américain, et pourtant devenues presque banales aujourd’hui.
Ce 2 avril 2025, Donald Trump a annoncé une série de mesures protectionnistes d’une ampleur inédite. Parmi elles, une surtaxe de 34 % sur les produits chinois, 20 % sur ceux en provenance de l’Union européenne et 10 % sur les marchandises britanniques. De plus, une taxe universelle de 25 % a été instaurée sur tous les véhicules étrangers, un coup dur pour l’industrie automobile mondiale. Seuls le Canada, le Mexique, la Corée du Nord, la Biélorussie et la Russie ont été exemptés de ces nouvelles mesures.
Pifométrie
Dans la roseraie de la Maison Blanche, face à un parterre de dignitaires Maga et de quelques ouvriers triés sur le volet, Trump a filé sa démonstration, brandissant fièrement un grand tableau, sur lequel ses services ont estimé les droits de douane pratiqués par ses partenaires. Le calcul de la Maison Blanche prétend prendre en compte des « manipulations de devises » ainsi que des barrières non tarifaires. Il peut s’agir de normes sanitaires – les Européens bannissent les importations de poulets lavés au chlore ou de bœuf aux hormones –, de normes culturelles comme l’exception culturelle française ou bien de clauses climatiques, sans oublier la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pratiquée en Europe qui frappe tous les produits vendus.
À l’aide d’une bonne dose de pifomètre, l’administration Trump est ainsi parvenue à des chiffres mirobolants, bien loin de la réalité : les États-Unis seraient frappés à 67 % par la Chine, 46 % par le Japon et 39 % par l’UE. En réalité, le quotidien Le Monde a constaté que ces chiffres proviennent d’une équation sans aucune valeur économique : il s’agirait d’une division du montant du déficit commercial bilatéral par celui des importations en provenance du pays concerné. Des chiffres farfelus, prétextes à une guerre commerciale mondiale, ou comment, dans une parfaite veine orwellienne, la propagande trumpiste construit son monde imaginaire.
Donald Trump a justifié ces annonces en invoquant une « urgence économique nationale » et en affirmant que ces taxes permettraient de « rééquilibrer des relations commerciales injustes ». Il prétend que ces mesures généreront des revenus pour le gouvernement sans taxer directement les citoyens américains. Cependant, de nombreux économistes mettent en garde contre une hausse des prix pour les consommateurs américains et une perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales. Les économistes s’accordent à dire que de nombreux produits importés aux États-Unis contiennent des composants étrangers. Avec ces surtaxes, les entreprises devront payer plus cher pour ces matériaux, ce qui se répercutera sur les prix finaux. Les consommateurs américains, qui achètent de nombreux biens importés, verront, inflation oblige, leurs factures augmenter, réduisant leur pouvoir d’achat. Enfin, cette politique trumpiste semble oublier que la mondialisation ayant conduit à une interdépendance forte entre les pays, les entreprises américaines dépendent de pièces détachées produites à l’étranger. Une taxation élevée peut perturber ces circuits et ralentir la production.
Si l’on veut résumer d’un mot, ces taxes protectionnistes sont des mesures « stupides » (c’est ce qu’écrit le Wall Street Journal), elles-mêmes appuyées sur des calculs sans la moindre valeur scientifique ou économique
Vers une fragmentation de l’économie mondiale
L’annonce a immédiatement provoqué un séisme sur les marchés financiers. Les indices boursiers américains ont chuté, le Nasdaq enregistrant une baisse de plus de 4 %. Les places boursières européennes et asiatiques ont également réagi négativement, tandis que le prix de l’or a grimpé à un niveau record, les investisseurs cherchant refuge face à l’incertitude économique.
Les réactions politiques ne se sont pas fait attendre. Au sein même du Parti républicain, plusieurs voix discordantes se sont élevées, quatre sénateurs s’opposant notamment aux taxes visant le Canada. À l’international, des partenaires comme le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande ont critiqué la validité de ces « tariffs ». En Europe, l’Allemagne appelle à une plus grande indépendance vis-à-vis de l’économie américaine et menace de prendre des mesures de rétorsion si Washington ne revient pas sur sa décision. L’Europe a beaucoup de cartes en main. Du commerce au numérique, en passant par la taille de notre marché. Mais cette force repose aussi sur la volonté de prendre des contre-mesures fermes ou de mener des négociations hardies. Le problème est de savoir sur quoi négocier. Le caractère fantasque du président américain rend extrêmement difficile la nature des échanges propres à toute négociation. Que voudra Trump en échange d’une baisse des droits de douane ? Le Groenland ? La poursuite de l’aide à l’Ukraine ? Ou la suppression des réglementations européennes en matière de numérique, de santé ou d’alimentation ? Nul ne le sait.
Un coup d’arrêt à la mondialisation ?
Le Royaume-Uni, particulièrement touché avec une taxe de 10 %, a évité un taux plus élevé grâce aux efforts diplomatiques du Premier ministre Keir Starmer. Néanmoins, les conséquences sur l’économie britannique pourraient être considérables, avec des pertes d’emplois attendues et une baisse du PIB. Face à cette situation, le gouvernement britannique a choisi d’opter pour la négociation plutôt qu’une riposte immédiate, une stratégie critiquée par certains groupes d’affaires et syndicats.
L’Union européenne, de son côté, envisage sérieusement d’imposer ses propres sanctions commerciales contre les États-Unis. « Toutes les options sont sur la table », a prévenu Ursula von der Leyen. L’administration Trump devrait comprendre le message : au-delà des biens manufacturés, l’UE peut aussi s’en prendre aux services américains (notamment ceux des Gafa), en décidant de nouvelles taxes ou en multipliant les contraintes réglementaires. Les États-Unis auraient alors beaucoup à perdre.
« Difficile de ne pas ressentir, une fois de plus, que la décision de Trump est en partie motivée par l’exaltation qu’il éprouve à exercer son pouvoir. Il se glorifie de la façon dont le monde est rivé à ses moindres faits et gestes, comme il se doit lorsque sa plus grande économie est contrôlée par un homme-enfant rancunier, armé et gouvernant par décret. » écrit The Guardian.
Un éventuel bras de fer pourrait entraîner une escalade protectionniste aux conséquences incalculables pour l’économie mondiale. Mais au-delà des tensions commerciales immédiates, c’est le modèle même de la mondialisation qui semble ébranlé.
La fin d’une ère
Après des décennies d’intégration économique croissante, les nations occidentales et asiatiques voient aujourd’hui leur interdépendance menacée par des politiques protectionnistes et nationalistes. Si l’Europe réplique, et si la Chine décide de restreindre ses exportations stratégiques, un nouvel ordre économique pourrait naître, basé non plus sur la coopération, mais sur des blocs régionaux économiquement autonomes, où les échanges commerciaux se limiteraient principalement à des partenariats intra-blocs.
L’Amérique du Nord, l’Union européenne et l’Asie-Pacifique pourraient ainsi former des ensembles économiques indépendants, favorisant la production locale et réduisant leur exposition aux fluctuations des marchés mondiaux. Cette tendance marquerait un retour à des économies plus protectionnistes, où chaque région privilégierait ses propres industries et ressources stratégiques pour limiter sa dépendance aux puissances extérieures.
Avec cette stratégie protectionniste, Trump espère relancer l’économie américaine en privilégiant la production nationale et en limitant la dépendance aux importations étrangères. Pourtant, de nombreux experts doutent de l’efficacité de cette approche. Certains économistes redoutent une récession américaine, si ce n’est mondiale, les entreprises et les consommateurs devant absorber le coût des hausses tarifaires.
Toutefois, cette politique protectionniste, portée à son acmé par l’imprévisible Trump, s’inscrit dans un mouvement de fond d’une partie du monde. La mondialisation sans frein « a jeté dans le désarroi une bonne partie des classes populaires des pays développés, qui se sont tournés vers les nationalistes et leurs illusoires panacées » écrit Laurent Joffrin dans un éditorial. La guerre commerciale lancée par Washington semble acter une déglobalisation progressive, où chaque nation chercherait à renforcer son autosuffisance plutôt qu’à favoriser les échanges internationaux. Le problème, c’est que la globalisation s’est faite en cinquante ans, alors que Trump promet d’en inverser le mouvement en 24 heures.
Plutôt qu’un « jour de libération« , comme l’affirme Trump, cette nouvelle étape pourrait bien être le prélude à un effondrement de l’ordre économique mondial. Les prochains mois seront décisifs pour observer si la mondialisation survit à ce coup de poignard.