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La révolution numérique du cinéma

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Contrairement à l’image qu’il donne volontiers de lui-même, le cinéma n’est pas seulement le monde de la création et de l’inspiration, c’est aussi souvent une industrie lourde. Le cinéma a toujours mêlé, dès son origine, dimension artistique et moyens scientifiques et techniques. À l’heure du numérique, cette relation suscite néanmoins des « liaisons dangereuses » avec les producteurs de contenus : autant dans l’étape du tournage, que dans la production et la postproduction.

Pour répondre à ces contraintes, son modèle économique s’est figé, très tôt, en s’organisant autour de trois pôles qui se distinguent en matière d’investissements et de modèles d’affaires : les structures de production (l’élaboration des films), la distribution (assurant une fonction de pure intermédiation logistique et financière) et les réseaux de salles.

Netflix, service emblématique de vidéo à la demande pour le cinéma et les séries, lancé en France en 2014. Netflix.com

Face à la mondialisation et à l’émergence de nouveaux canaux de diffusion, la cohérence de la filière cinéma a été progressivement battue en brèche. Cette transformation est vue, le plus souvent, au travers du seul filtre de la numérisation et d’Internet. Les revenus et les bases traditionnelles du cinéma seraient menacées par la remise en cause des modes classiques de consommation en salle et par la montée en puissance de nouveaux acteurs issus du monde de l’audiovisuel, des télécommunications et de l’informatique, comme Netflix ou Youtube.

Le cas de la musique atteste que la menace est avérée, mais comme le montre un rapport récent, la technologie et le numérique constituent pour le cinéma un support unique de nouveaux contenus et d’usages, ainsi que des sources d’efficacité et de rentabilité renouvelées.

Numérique et cinéma… des liaisons dangereuses ?

Le cinéma a toujours mêlé, dès son origine, dimension artistique et moyens scientifiques et techniques. À l’heure du numérique, cette relation suscite néanmoins des « liaisons dangereuses » avec les producteurs de contenus : autant dans l’étape du tournage, que dans la production et la postproduction.

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Le poids actuel de la fonction technologique dans l’industrie donne en effet une importance particulière aux firmes qui contrôlent les systèmes techniques et les supports de circulation des produits, en étant à même d’y consacrer les investissements nécessaires. Cela explique que dans presque tous les secteurs des industries culturelles, les évolutions marquantes ces dernières années ont été le fait d’une intrusion massive des acteurs porteurs de ces technologies.



Démonstration technique de Weta Digital, partenaire des grands studios d’animation (Massey University, août 2012)
 

L’entreprise néozélandaise Weta Digital fournit un exemple intéressant des dynamiques de développement et d’innovation à l’œuvre dans le secteur. Cette dernière s’est fait connaître en développant des outils innovants de simulation et d’effets visuels pour ce succès mondial que sera Le Seigneur des Anneaux. C’est ce qui lui permettra ensuite de prendre une position centrale dans de nombreuses autres productions comme Les Aventures de Tintin ou Avatar.

La baisse du prix des matériels et des logiciels a stimulé la constitution de nombreuses PME spécialisées dans les effets spéciaux (3D, simulation virtuelle) constituant ce qui est présenté comme l’un des segments les plus dynamiques et disruptifs des industries culturelles.

Ces outils de post-production – la 3D par exemple – ne sont pas seulement utilisés pour enrichir l’expression esthétique et filmique ; ils visent le plus souvent à permettre aux réalisateurs de repenser leurs production en réduisant les coûts de certaines scènes (foule, tournage en extérieur, mouvements d’appareil…). Comme le disait Jeffrey Katzenberg, le président de Dreamworks :

Cette poussée technologique n’est pas seulement utile à la créativité de nos artistes ; elle permet aussi d’écourter la durée de notre cycle de production, tout en réduisant drastiquement les coûts de nos films.

Mais les nouvelles technologies du numérique ne concernent pas que le tournage, elles ont aussi un poids grandissant dans la production au sens strict. Historiquement, les réalisateurs développaient leurs films sur des storyboards, des scripts, bibles, mémos, tableaux et fiches leur permettant de structurer leur vision et organiser l’ensemble des personnages, lieux et séquences.

Aujourd’hui, cette phase s’appuie de plus en plus sur des techniques de prévisualisation. Ces outils sont même utilisés parfois au stade de la recherche de financement !

Être à la pointe de la technologie

La production de films est discontinue, ne se déroule que sur quelques mois et ces conditions mêmes de fabrication interdisent toute économie d’échelle.

Le cinéma est une industrie de prototype où chaque film est un projet particulier, appelant la coopération de différents contributeurs aux compétences variées. L’activité de producteur revêt ainsi un caractère entrepreneurial affirmé et explique une tendance persistante à s’organiser sur une base très individuelle. En Europe, malgré le nombre significatif de films produits, il n’existe qu’un très faible nombre de structures intégrées à l’image des majors américaines. La profession y est marquée par sa labilité, la faiblesse de sa surface financière et de ses ressources propres.

Les conséquences sont doubles dans un cinéma en forte évolution économique et technologique quand les expertises acquises doivent sans cesse évoluer et être remises en question. Il est difficile de capitaliser les expériences et les ressources d’un projet à l’autre, ce qui limite les capacités d’investissement et de développement de compétences technologiques en propre.

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Dans les bureaux du studio d’animation Dreamworks (CNNMoney, mai 2011)
 

Le segment de la production préfère alors externaliser ces compétences sur d’autres intervenants plus à même d’assurer l’innovation technique, le financement, le développement et la mise en œuvre d’outils en constant renouvellement. Mais cette situation se traduit, en termes d’organisation interne de la filière et des tournages, par un poids renouvelé des acteurs et entreprises porteurs des technologies, ainsi que par l’ouverture d’espaces inédits de développement pour de nouveaux entrants.

La singularité et le succès variable de projets de films n’affecte pas que les producteurs. Le cas de Dreamworks montre que même les entreprises techniques les plus renommées du cinéma sont touchées par leur dépendance économique d’un modèle où une large part des revenus ne dépend que d’un petit nombre de projets à succès.

Or les services fournis par Dreamwork requièrent des investissements conséquents et constants dans les technologies les plus récentes (machines, serveurs, logiciels, développeurs), reconfigurés pour chaque film, sans qu’il ne soit possible, sauf à être vite dépassé, de réduire ces coûts dans les périodes de moindre activité. Dreamworks renouvelle ses stations de travail tous les six mois, s’équipe systématiquement à cette occasion des dernières applications mises à jour…

Ce fort taux de renouvellement a des conséquences sur l’organisation de la production car le degré extrêmement sophistiqué des outils utilisés désormais sur un film bouleverse aussi la composition des équipes de tournage. Elles ne sont plus uniquement organisées autour du producteur et du réalisateur, mais elles font de plus en plus appel à un troisième pivot, le superviseur technique.

Loin d’être un simple technicien au service du réalisateur, ce dernier assure l’entière supervision de toutes les dimensions techniques (image, son, postproduction, plan de tournage et organisation du set) et constitue un véritable alter ego au côté du producteur en charge de la partie organisation et finance, et du réalisateur, en charge de la partie créative.

 

Image extraite de Kung Fu Panda 3, une des dernières productions du studio DreamWorks. DreamWorks Animation

Le segment de la distribution affronte, lui aussi, des innovations numériques qui appellent des investissements très importants (équipement de projection 3D, numérisation de la chaîne logistique…). Ces développements ont ouvert des opportunités intéressantes pour les entreprises innovantes du secteur.

Ymagis a saisi cette opportunité pour bâtir une croissance foudroyante dans le champ de la distribution en salles, pourtant donné comme dépassé par la diffusion des vidéos en ligne. Dans le modèle traditionnel du cinéma, les distributeurs assuraient surtout le coût et l’acheminent des copies, la promotion et la gestion des recettes. Ymagis s’est appuyé sur la numérisation de la projection et des salles (équipement de projecteurs numériques, services de financement de ces équipements, catalogue électronique des films) pour étendre son offre en développant les services opérationnels aux salles (gestion de la billetterie, écrans numériques d’information, profilage des spectateurs…).

Un nouvel écosystème

La disruption apportée par le numérique dans le cinéma, ne se réduit ainsi pas à la seule arrivée de Netflix qui fixe l’attention des professionnels et des observateurs comme les phares des voitures ceux des lapins dans la nuit.

Plusieurs autres formes d’innovations techniques doivent être soulignées : des développements spécifiques portés par les industries techniques du cinéma existantes, des applications nouvelles portés par les entreprises du numérique, des technologies incrémentales intégrées par les majors.

Ces évolutions donnent un rôle grandissant et tout particulier à de nouvelles formes d’intermédiation portées, dans la filière comme sur les tournages eux-mêmes, par les entreprises spécialisées dans la technologie.

Les nombreuses firmes high-tech qui ont émergé et qui se déploient aujourd’hui dans le cinéma lui dessinent un nouveau visage tout comme elles façonnent les enjeux inédits que le secteur doit désormais affronter : financement d’investissements techniques à fort taux de renouvellement, poids des brevets et de la protection industrielle, possibilité des retombées industrielles sur d’autres secteurs des techniques d’imagerie et de simulation.

Pierre-Jean Benghozi, Professeur économie-gestion , École Polytechnique – Université Paris Saclay

Elisa Salvador, Chercheuse associée Ecole polytechnique, Centre de Recherche en Gestion, École Polytechnique – Université Paris Saclay

Jean-Paul Simon, fondateur et directeur de JPS Public Policy Consulting

La version originale de cet article a été publiée sur notre partenaire The Conversation.

 

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