En France, sur base de l’indice national des prix à la consommation de l’Insee, l’inflation était encore insignifiante ou négative en 2020, mais son niveau est remonté jusqu’à 2,16 % au mois de septembre 2021. Cette tendance s’observe actuellement partout dans le monde et notamment en zone euro, où d’autres pays se retrouvent nettement plus impactés que la France (l’inflation atteint par exemple 4,1 % en Allemagne). Cette situation est due essentiellement à l’augmentation des prix de l’énergie, dont la croissance annuelle est aujourd’hui égale à 14,94 %. De son côté, la hausse annuelle des prix de l’alimentation s’est limitée à 1 % (malgré de fortes disparités, à l’image des prix des produits frais en augmentation de 4,94 %). En outre, l’augmentation annuelle des autres biens de consommation a été réduite à 0,42 % en septembre. Quant à la hausse annuelle des prix des services, elle s’est limitée à 1,42 %.
Notons qu’il y a de bonnes raisons de penser que la vraie inflation subie par les consommateurs serait même supérieure à la mesure officielle. En effet, nous avons, dans un article de recherche publié en mai dernier, montré que, si les indices de prix utilisés tenaient compte du coût du logement pour les propriétaires occupants, et donc des prix d’achat des maisons neuves et anciennes, l’inflation mesurée serait supérieure à ce qui a été publié officiellement depuis plusieurs années. L’augmentation des prix des logements reste en effet très supérieure à l’inflation conventionnelle, et elle s’est récemment accélérée.
Quel que soit son niveau réel, le phénomène de retour de l’inflation résulte plus largement de la reprise de la demande, après la récession de l’année passée, confrontée à une offre qui reste perturbée par la crise. Outre la question de l’énergie, des pénuries de produits induisent actuellement une hausse de leurs prix.
Certains secteurs sont même affectés par une pénurie relative de main-d’œuvre, ce qui réduit leur capacité productive, ou les contraint à augmenter les salaires pour essayer d’attirer des travailleurs. Le transport reste en outre perturbé, avec des pénuries de bateaux et containers disponibles, ce qui cause une très forte augmentation des prix du fret maritime.
Toutes ces augmentations de coût se répercutent sur les prix à la consommation, avec un certain délai. Il y a donc des chances que la hausse des prix à la consommation se poursuive encore pendant un certain temps.
Des banquiers centraux optimistes
Cependant, les banques centrales, dont la Banque centrale européenne (BCE), privilégient aujourd’hui le scénario d’après lequel la hausse de l’inflation va rester temporaire, même si elle persiste quelque temps. Après le rattrapage observé, la croissance de la demande décélérerait bientôt, alors que l’appareil productif se réparerait et permettrait à l’offre d’augmenter assez pour y répondre.
Ces perspectives optimistes sont également basées sur l’hypothèse que les augmentations de salaire restent limitées à certains secteurs spécifiques, au lieu de se généraliser. D’après ce scénario, l’inflation se calmerait bientôt pour se retrouver à nouveau en dessous de son objectif.
Formuler de telles perspectives permet aux banques centrales de maintenir une politique monétaire très accommodante de taux d’intérêt très bas, ce qui a l’avantage de faciliter le financement des gouvernements très endettés et des entreprises ayant beaucoup emprunté, ainsi que de soutenir les marchés d’actions.
L’offre européenne d’autres sources d’énergie risque également d’être insuffisante, comparée aux besoins croissants, dans un contexte de transition écologique. Or, des tensions persistantes sur les prix de l’énergie pourraient avoir pour conséquence qu’une forte inflation persisterait assez longtemps.Il y a cependant des risques que la hausse de l’inflation soit moins temporaire que ce qui est ainsi annoncé. La hausse des prix de l’énergie, au moins en Europe, est en effet liée à un sous-investissement passé dans la production locale de gaz, et une dépendance exagérée aux importations.
Perspectives autoréalisatrices
Comment expliquer alors l’optimisme des banques centrales ? Tout d’abord, notons qu’il convient de relativiser la hausse actuelle des chiffres de l’inflation car elle résulte partiellement d’un effet de base (évolution de la valeur de référence, en l’occurrence les prix).
En 2020, les prix avaient en effet eu tendance à baisser à cause de la récession. En septembre 2020, ils étaient très déprimés, avec un taux d’inflation de 0,05 % depuis septembre 2019. La croissance entre ces prix déprimés et l’indice de septembre 2021 est donc mécaniquement augmentée, en raison de cet effet de base. Entre septembre 2019 et septembre 2021, la hausse cumulée des prix a été de 2,21 %. Si elle avait été bien répartie entre les années, elle aurait été équivalente au résultat d’une inflation de 1,1 % en 2020 et puis en 2021.
Ce phénomène est bien décelé également sur les prix de l’énergie. La hausse annuelle des prix de l’énergie en septembre 2021 semble très forte, mais c’est parce qu’ils étaient très déprimés en 2020 avec une baisse annuelle de 8 % à cause de la récession internationale. Entre septembre 2019 et septembre 2021, la hausse cumulée des prix énergétiques en France est de 5,74 %. Si elle avait été bien répartie entre les années, elle aurait été équivalente au résultat d’une hausse annuelle des prix énergétiques de 2,83 % en 2020 et puis en 2021. Cela aurait suscité beaucoup moins de commentaires.
On peut en outre analyser l’optimisme des banques centrales par leur volonté d’ancrer les perspectives d’inflation future parmi les paramètres pris en compte par les agents économiques dans leurs décisions. En effet, pour les principaux courants macroéconomiques modernes, dont les très populaires modèles d’équilibre général dynamique stochastique, l’inflation dépend aussi de ses perspectives futures formulées par les consommateurs et entreprises.
Cette dépendance de l’inflation à ses propres perspectives peut paraître plausible. Ce principe est généralement admis, même s’il est parfois contesté. Le raisonnement est le suivant : si les travailleurs pensent que l’inflation future va augmenter, ils sont susceptibles de gonfler les augmentations de salaire qu’ils essaient d’obtenir, pour maintenir leur pouvoir d’achat. Ces augmentations de salaire, si elles sont obtenues, se répercutent alors sur les coûts des entreprises et donc sur leurs prix de vente, ce qui accroît l’inflation effective.
De la même manière, si les entreprises formulent des perspectives de hausse de l’inflation future et donc du rythme d’augmentation de leurs coûts, elles sont tentées d’intensifier déjà le taux de croissance de leurs prix de vente pour se prémunir contre une baisse de leurs profits. Il en résulte une hausse de l’inflation réalisée.
Les banques centrales pourraient donc communiquer sur le scénario d’une retombée de l’inflation dans une logique autoréalisatrice, pour atteindre l’objectif qu’elles poursuivent (par exemple, une cible aux alentours de 2 % par an pour la BCE). En contrôlant les perspectives d’inflation, elles pensent pouvoir ainsi piloter effectivement celle-ci. Mais cette action sera-t-il suffisante face la flambée des prix de l’énergie ?
Eric Dor, Director of Economic Studies, IÉSEG School of Management
Cet article est republié à partir de The Conversation partenaire éditorial de UP’ Magazine. Lire l’article original.