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Comment tuer dans l’oeuf une industrie ?

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Comment tuer dans l’oeuf une industrie ? Leçons de l’histoire : l’exemple de l’automobile permet de comprendre les erreurs à éviter pour ne pas tuer les entreprises de demain. Des leçons que le gouvernement serait bien avisé de suivre.

La France a longtemps été leader mondial de l’industrie de l’automobile. Les connaissances et les savoir-faire finissent toujours par se concentrer à certains endroits et dans certains pays autour d’un sujet. Des villes, des régions, des pays sont connus pour leur spécialité.

Une fois un écosystème en place, c’est une concentration de sociétés, d’écoles et de profils qui ensembles créent les conditions favorables à faire prospérer une industrie bien particulière. Si on l’observe, une fois constituée, on comprend bien pourquoi la Silicon Valley, par exemple, est aujourd’hui une usine à fabriquer de gros succès web. On y trouve tous les ingrédients pour faire de beaux succès sur le sujet.

Mais comment cela se forme au tout début, avant que tout soit organisé ? L’histoire de l’industrie Automobile est un parfait exemple, qui devrait alimenter les réflexions de ceux qui planchent en ce moment sur la loi de finance de l’année prochaine.

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voiturevapeurComment a démarré l’industrie de l’automobile

C’est un certain Joseph, ingénieur Français, qui a conçu la première automobile à vapeur. Il l’a présentée en 1769. Puis Amédée, inventeur français qui serait aujourd’hui qualifié d’entrepreneur, a été le premier à commercialiser des automobiles de ce type dans les années 1870. Son fils sera plus tard reconnu comme l’un des meilleurs ingénieurs dans le domaine et prendra brillamment sa suite.

Fernand, autre inventeur français, donne naissance dès ses 29 ans à la bougie d’allumage, au premier moteur à pétrole, au moteur à six cylindres, au moteur à quatre temps, à la roue à rayons ainsi qu’aux premiers principes de carburateurs fabriqués en volume. Well done Fernand ! Tu as bien fait de naître il y a 120 ans, aujourd’hui ils t’auraient tellement taxé que ça t’aurait passé l’envie de continuer à inventer en France. C’est vrai : ce n’est pas parce que tu as participé activement à changer le monde que ça doit te permettre de changer ton niveau de vie, non.

Édouard, 30 ans, s’associe avec son frère pour monter la startup Michelin. Ils inventent la chambre à air en 1891 et parient que toutes les automobiles seront équipées de cette invention rapidement. Magnifique !

Charles, toujours français, inventa le meilleur système de direction, et créa la première voiture électrique en… 1895.

Les innovations s’enchainent à une vitesse incroyable. Sur le moment on dit que ces entrepreneurs sont fous, un peu plus tard, on parle de bulle spéculative. Et avec plus de recul, on comprend bien que c’est dans ces moments d’agitation et de course folle qu’on change le monde pour de bon.

Une ère industrielle s’ouvre alors, Armand crée une autre startup, Peugeot, en 1891. La même année René crée Panhard, pionnier dans la commercialisation d’automobiles à moteur à explosion. À 35 ans, Marius fonde Berliet, en 1896. Il s’agit d’un des premiers à se lancer dans l’auto de luxe. Elle sera absorbée par Citroën beaucoup plus tard. 3 frères, dont Louis, créent Renault en 1889. Louis avait alors 21 ans. En 1897, George crée Latil à 19 ans, et invente la direction articulée, et donc la traction.

Il y a eu des centaines de constructeurs de startups dans l’automobile en France au début du siècle dernier.

J’oubliais, avant d’aller plus loin : je ne parle pas de l’industrie automobile en France, mais bien de l’histoire de l’automobile tout court. Ça a démarré en France !

La France a favorisé le développement d’un embryon d’activités, quand l’Angleterre a étouffé le sien

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L’Angleterre aurait dû jouer un rôle clé dans le démarrage de cette industrie puisque le pays avait une sacrée avance dans le domaine des chemins de fer. Un transfert technologique aurait dû avoir lieu rapidement. Cependant, le gouvernement UK a décidé de réguler immédiatement l’usage de ces nouveaux véhicules. Il s’agit du Locomotive Act, dès 1865. Accrochez-vous, c’est très amusant : cette loi imposait qu’un véhicule motorisé devait être précédé d’un piéton agitant un drapeau rouge, ainsi qu’une limite de vitesse de 16km/h. Oula, pas si vite ! Ils se sont repris et ont rapidement baissé la vitesse à 6km/h dans tout le pays, et à 3km/h en ville. Ouf, un peu plus l’automobile allait concurrencer le rail.

Vous imaginez bien que le lobby de la « UK railway industry » n’est pour rien dans cette régulation qui lui a permis de maintenir son monopole sur le transport. Non, aucun rapport bien entendu. Cette simple loi aura écarté pour un bon moment le pays de la course à l’innovation dans le secteur de l’automobile. Certains États des USA ont adopté le même type de loi au même moment. Tant mieux pour la France, des concurrents en moins dans la course industrielle.

C’est un bel exemple d’une régulation stupide qui a en effet bien servi les intérêts des acteurs du rails… et qui a dans le même temps fait prendre un beau retard sur le développement de ce qui sera plus tard une énorme industrie, une industrie clé.

Vous me voyez venir, j’imagine ? Ça me fait penser à la Hadopi, aux aides publiques destinées à maintenir sous perfusions des modèles obsolètes alors qu’on pourrait créer des emplois durables en cherchant de nouveaux modèles, aux taxes, aux conditions et aux montants exotiques, ou encore aux récentes (et absolument ridicules) prises de position du gouvernement en faveur de la presse vis-à-vis de Google ! Pour protéger de vieux modèles en déclins, ou par peur du progrès, on vote un peu n’importe quoi, sans se soucier des dégâts à long terme. Et pendant ce temps le monde avance, mais pas nous.

On peut rire du Locomotive Act aujourd’hui, mais je vous assure que les Américains rient tout autant de ce qui nous arrive en France en ce moment dans le digital. Quoi que, même pas, ça ne les intéresse pas, eux avancent et nous restons sur place. Tant mieux pour eux, on utilisera les services qu’ils savent produire à défaut de savoir faire les nôtres. Pourquoi diable mets-je au futur !? C’est précisément ce qui se passe depuis 10 ans.

Rapidement, l’écart se creuse, un cercle vertueux se met en route, la France se distingue

Je reprends mon histoire. C’est en France qu’une très grande partie des premières inventions et des premières commercialisations ont eu lieu. À l’époque c’était un grand sujet, une grande aventure, tout le monde en parlait. Ce démarrage a beaucoup été porté par de jeunes gens. Ça se passait ici. Les Français avaient envie d’y participer et un cercle vertueux s’est enclenché. Une quantité incroyable de cerveaux se sont mis à créer dans ce domaine, à chercher à faire mieux, moins cher, plus performant. Rapidement, un savoir-faire unique s’est développé en France, ceux qui travaillaient chez les constructeurs pionniers partaient créer leur propre projet, ou partaient alimenter en matière grise et en main d’œuvre d’autres projets et sociétés. Ces mouvements sont tout aussi importants d’ailleurs, pour créer un vrai écosystème durable. L’envie de faire partie de cette aventure, de mener son propre projet devient alors partagée par beaucoup. Ça fait rêver. Tout est possible, changer le monde autour de soi, changer sa condition à soi.

Et puis boom, c’est une industrie qui naît, et bien sûr elle se construit là où s’est fixé l’embryon initial, laissant sur place et pour de nombreuses années les pays avoisinants. La France a alors attiré des talents du monde entier qui voulaient participer à cette révolution, apprendre, et s’enrichir.

Au début du 20ème siècle, la France est alors leader mondial dans le secteur de l’industrie automobile ! 50% de la production mondiale est réalisée en France au tout début du 20ème siècle. Tiens, à ce moment-là, nos amis Britanniques, dont le gouvernement a voulu réguler trop tôt sans vision et sans comprendre ce qui était en train de se produire, produisent alors 3 fois moins que la France. Pourtant, ils étaient juste à coté, et avaient des atouts incroyables pour réussir mieux que nous.

Bien qu’elle ne soit pas en grande forme, l’industrie de l’automobile, 100 ans plus tard, emploie encore des centaines de milliers de Français. Vous rendez-vous compte ? 100 ans de boulot et de création de valeur pour des centaines de milliers de foyers en France ! Nos chers inventeurs ne doivent pas concentrer tout le mérite, bien évidemment, mais sans eux rien n’aurait commencé. Ou plus exactement, le démarrage aurait probablement eu lieu ailleurs dans le monde.

Au démarrage, l’équilibre est fragile

Le schéma est toujours le même pour toutes les industrie. Le démarrage tient à peu de chose, l’équilibre est fragile dans ces premiers instants.

Le moindre détail peut faire la différence : trouver de bons investisseurs, avoir près de soi des gens qui ont déjà réussi à faire vivre de beaux projets, avoir les médias de son côté, pouvoir embaucher rapidement, pouvoir réduire la voilure rapidement pour changer de modèle, sentir qu’on est au bon endroit pour y arriver, avoir la perspective de changer ses conditions de vie, etc. C’est un tout.

Récemment, notre nouveau gouvernement a terminé de peindre le tableau en noir sur tous les aspects que je viens d’énumérer. Ils ne sont pas seuls responsables, cela fait longtemps que l’entrepreneuriat n’est pas favorisé en France. Là, j’ai l’impression que c’était la dernière séance.

Si on pousse les bons et ceux qui ont des moyens à l’étranger, je le répète, on détruit le substrat, le terreau. Il ne poussera plus rien de qualitatif.

La France était leader dans l’automobile, elle est bien peu de chose dans le numérique

Quand on me demande depuis quand je suis « online », je réponds toujours que c’était 1985. J’avais 9 ans, et nous avions le minitel à la maison. La plupart des américains n’ont pas été « online » avant 1997. Nous avions une avance incroyable en France. Et pourtant, c’est la Californie qui a tout raflé. Étonnant, là bas, les réseaux étaient de mauvaises qualité, l’accès à Internet extrêmement coûteux.

Dans le digital, on est victime de nos vieux lobbies, on est victime de notre Locomotiv Act. Notre classe politique est réactionnaire par incompréhension et par ignorance de notre secteur, et entrave le bon développement de cette nouvelle industrie.

chercheurorQue peut-on fait pour créer à nouveau les conditions du développement de nouvelles industries ?

Les talents, on les a. Des entrepreneurs, des inventeurs, des investisseurs de la première heure (business angels), on en a encore… pour le moment. Là où l’on excelle, c’est sur la quantité de dispositifs de financement publics complexes et inefficaces, de lois ou projets de lois anachroniques et handicapants pour les startups (le projet de loi de finance 2013 est un beau cas d’étude). Et de plus en plus, c’est l’écart fou qui se creuse entre la réalité des industries nouvelles et la vision qu’en a notre gouvernement.

Si l’on veut que la France soit à nouveau le terreau qui permettra à des pionniers d’inventer l’avenir, une seule solution : rendre le pays attractif. Ce n’est pas notre marché qui fera rêver qui que ce soit (petit, pas de croissance). Ce n’est pas notre système d’emplois (cycle de recrutement long, aucune souplesse sur l’ajustement et le temps du travail). Ce n’est pas non plus le coût du travail (en particulier sur les postes faiblement qualifiés). Ce n’est certainement pas notre fiscalité.

Pour le marché, on ne peut pas faire grand chose à court terme. Pour le reste, c’est juste une question de volonté. En tout cas, si ça reste en l’état, on a définitivement perdu la bataille. Pas seulement pour le digital d’ailleurs, car ce que je viens de dire s’applique à toutes les nouvelles industries.

Le sujet du numérique est complexe, on a vécu coup sur coup une multitude de ruptures technologiques. Nous même, professionnels du secteur, avons du mal à avoir une vision claire du futur. On ne demande pas à nos politiques d’en avoir une à notre place, on demande juste d’avoir le champs libre pour créer les projets qui placeront la France dans la course à l’innovation.

Pour travailler, on a besoin d’avoir un cadre fiscal qui ne dénote pas par rapport aux pays avec lesquels on est en compétition, c’est probablement le plus important. D’une part pour conserver en France les talents dont on a besoin, d’autre part pour attirer des talents étrangers, et enfin pour donner envie aux investisseurs de financer nos projets. Il y a URGENCE !

(Article réalisé par Frédéric Montagnon – Contrepoints / 4 novembre 2012)

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