Poursuivons le point sur l’affaire des pigeons après la première partie focalisée sur le projet de Loi de Finances 2013 et sur l’étatisation rampante du financement de l’innovation.
Cette affaire des pigeons s’inscrit dans un paysage médiatico-politique de grande méconnaissance de la vie des entreprises et des entrepreneurs. Elle n’est malheureusement pas nouvelle. En voici quelques exemples. Et puis quelques pistes pour changer la donne.
Droite et gauche dans le même sac ?
La PLF 2013 était la cerise sur le gâteau d’un système déjà déclenché par le gouvernement précédent, mais passé un peu inaperçu. La fiscalité du capital a sérieusement augmenté dans la PLF 2012 votée à la fin du quinquennat Sarkozy.
L’histoire de la PLF 2013 n’est qu’un épisode parmi d’autres. Sans rentrer dans le populisme, la gauche n’a rien à envier à la droite dans la bêtise économique et le manque de compréhension de l’univers des entreprises, des entrepreneurs de startups aux grandes entreprises sans cesse vilipendées.
Voici quelques exemples des deux précédents quinquennats et qui ne concernent que l’environnement des startups :
– Un Jean-Louis Beffa créateur de l’Agence de l’Innovation Industrielle en 2005 qui favorise les grands groupes et dédaigne les startups. Pour cet éminent membre du Corps des Mines, seules les grandes entreprises peuvent innover !
– Un René Ricol, commissaire général aux investissements, grand pilote du fameux « Plan d’investissement d’avenir » mais tout aussi rétif aux startups. Pour piloter l’innovation à la française, le pouvoir de l’époque avait choisi un expert-comptable ! C’est bien connu : les experts comptables sont des spécialistes en innovation technologique. En Israël comme en Chine, c’est un scientifique qui a cette charge. Plus de la moitié du gouvernement chinois est composée d’ingénieurs. Barack Obama a un prix Nobel dans son gouvernement, son Secrétaire à l’Energie Steven Chu, Nobel de physique en 1997. Où sont les scientifiques dans le gouvernement Ayrault ? Où étaient-ils chez Sarkozy et Fillon ? La dernière en date était Claudie Haigneré, jusqu’en 2005.
– Un Nicolas Sarkozy qui attend la veille du premier tour de la présidentielle pour visiter une startup du numérique (Melty). Et une autre erreur symbolique de taille, celle du Fouquet’s. Et dans le détail : il n’y avait pas un seul jeune entrepreneur parmi les invités !
– Une instabilité chronique de la fiscalité entretenue par le gouvernement, Bercy comme par les députés et sénateurs pendant le quinquennat Sarkozy. Les changements de la loi TEPA-ISF ont généré un yoyo permanent des flux financiers qui aboutissent dans les startups. Et rappelons-nous l’épisode du rognage du statut JEI en 2011 ! Tout ça pour gagner 50m€ de dépenses fiscales !
– Un grand emprunt lancé dans la hâte en 2009 et qui est dans les faits devenu une véritable usine à gaz difficilement accessible aux startups. Avec neuf priorités dans le numérique !
– Le funeste amendement du 14 décembre 2010 à la PLF 2011 voté subrepticement en commission paritaire Assemblée/Sénat juste avant le vote final de la PLF2011 qui saborda sans que cela ne fasse vraiment broncher le financement des startups par des fonds ISF et des SIBA, les sociétés d’investissement des business angels. On a coupé un système qui commençait à peine à se mettre en place en leur imposant d’avoir deux salariés ! Avec d’autres réductions des exonérations fiscales liées à l’ISF, la droite à elle seule a divisé par deux l’investissement privé qui allait dans les startups en phase d’amorçage entre 2009 et 2012. L’origine de l’amendement ? Des députés et des sénateurs (de droite) qui voulaient lutter contre une dérive de la loi TEPA-ISF. Il paraissait que certaines personnes créaient de fausses sociétés pour gérer leur cave à vin ! On n’a jamais su combien de telles dérives avaient été observées et on a jeté le bébé avec l’eau du bain !
Certains se gaussaient de ce qui aurait pu arriver au rapport de Louis Gallois sur la compétitivité. Allant à l’encontre d’une bonne part du logiciel idéologique des socialistes, il n’était pas près d’être appliqué et notamment dans sa mesure principale qui revient à restaurer la TVA sociale qui vient d’être supprimée avant d’être appliquée. Cela aurait pu être un réplicat parfait de ce qui était arrivé au rapport des deux commissions Attali sous Sarkozy. Les réformes difficiles sont toujours mises de côté, et le courage politique avec ! Les rapports, ils ne manquent pas ! Ni les tiroirs et les placards pour les ranger ! Mais finalement, le gouvernement Ayrault a un peu mangé son chapeau et finalement ajusté, légèrement, la TVA, pour financer pour moitié la baisse du coût du travail à hauteur de 20 Md€ en année pleine à partir de 2014. Mais le rapport Gallois n’est pas bien radical, beaucoup moins courageux que ne l’était celui d’Attali. On sent la patte prudente de l’Inspecteur des Finances. Et cela manque d’éléments symboliques forts. L’annonce en était le reflet : très froide et technocratique et faisant la part belle au ‘tout Etat’ et aux « filières » dans une vision très 19ième siècle des processus d’innovation !
Cette vision très étatique du fonctionnement du pays est alimentée par les grands corps (de l’ENA et de Polytechnique). On la retrouve avec la faible proportion d’entrepreneurs chez nos élus, surtout à gauche, elle-même explicable par le fameux cumul des mandats. Ce n’était pas bien brillant sous Sarkozy mais avec Hollande, on est revenu à des élus et à un gouvernement où dominent les fonctionnaires et les enseignants. Dans le numérique, Laure de la Raudière et Lionel Tardy sont de rares députés anciennement entrepreneurs. Tous les deux à l’UMP. Où sont les députés de gauche, entrepreneurs du numérique ?
Le pire est que dans l’actuel comme dans le précédent gouvernement, certains médias crient au scandale du conflit d’intérêt dès que quelqu’un issu du privé atterri dans un cabinet ministériel. Il y a eu aussi l’affaire Banque Lazard / Pigasse / Pulvar qui était un peu trop montée en épingle dans la mesure où dans ce petit monde, tout le monde connait tout le monde ! Et les services rendus sont légion mais … bien plus discrètement.
Il n’est pas étonnant que nos politiques raisonnent encore avec une idéologie dépassée : la vie des entreprises leur est grandement étrangère. Quand ils sont à droite, ils s’arquent-boutent sur un jacobinisme gaullien dépassé et quand ils sont à gauche, c’est la lutte des classes qui reprend du galon. Comme cet affligeant Emmanuel Maurel, de la gauche du PS, interviewé dans l’Humanité et qui parle d’un « quarteron de millionnaires » au sujet des Pigeons et manipule l’amalgame comme les enfants étalent le Nutella sur leur tartine. Pas étonnant, un enseignant en Droit Constitutionnel à Science Po ne doit pas connaitre grand chose des startups ! Et les extrêmes gauche et droite ? C’est encore pire !
Bêtises et paradoxes économiques
Le contexte dans lequel cette histoire des pigeons est intervenue n’est pas anodin. La crise financière a entrainé tout un tas d’amalgames et de mécompréhensions sur l’économie de la part des politiques et des médias qui leurs servent de caisse de résonnance.
En voici quelques illustrations récentes. C’est un peu un bric à brac, qui consolide une revue d’actualité dans la durée.
L’analyse de la faiblesse de nos exportations
On entend souvent les économistes expliquer qu’elles sont dues à la « mauvaise qualité » des produits français. Si c’est peut-être vrai pour nos automobiles, est-ce extrapolable aux autres industries ? Il y a certes un déficit d’investissements en R&D dans certains domaines. Mais est-il venu à l’idée de ces économistes que le déficit se situe aussi dans d’autres dimensions : dans le marketing, dans le design, dans la volonté et la capacité à exporter, et aussi plus prosaïquement dans notre pratique moyenne du travail en équipe sans compter la maitrise déficiente de l’anglais ? Les lacunes du travail en équipe expliquent les méventes récentes de nos centrales nucléaires face aux coréens. Sans compter le lobbying où l’on se fait régulièrement battre par les américains, chinois et autres. Est-ce que le Rafale, le A380 ou le TGV sont des produits de mauvaise qualité ?
Bien non. Nos problèmes sont aussi ailleurs ! Un positionnement trop bas de gamme ? Cela dépend des industries. On a à la fois du très haut de gamme (transports, luxe, militaire), du classique (énergie, banque), et du plus traditionnel (agro-alimentaire, tourisme, artisanat). Et on n’est pas assez présent dans les technologies vendues en volume, ayant laissé les américains et les asiatiques s’emparer de ces marchés, et les allemands de l’outillage pour tout construire. Nombre de PME créent des produits plutôt haut de gamme mais tellement haut de gamme qu’elles n’arrivent pas à les vendre en volume et leur activité relève alors de l’artisanat industriel, ce qui est une forme de contre-sens. Ce n’est pas une question de qualité, mais de positionnement ! Prenez le Consumer Electronic Show de Las Vegas que je parcours chaque année : à peine une quarantaine de sociétés présentes sur 3300 exposants !
Il y a un cas où la qualité pose problème mais c’est de services qu’il s’agit : le tourisme. Nous sommes bien la première destination au monde, mais la qualité d’accueil et la valorisation du patrimoine sont encore bien moyennes. Combien de musées proposent des explications dans une autre langue que le français ? Comment les technologies sont-elles utilisées pour améliorer les parcours des touristes ? Est-ce que le Wi-fi est généralisé ? Et puis, on pourrait gagner quelques % de chiffre d’affaire en envoyant pas mal de monde dans des formations sur la relation client. Ne serait-ce que les cafetiers à Paris ! Quelques sourires en plus pourraient bien améliorer la balance commerciale !
Enfin, dans le numérique, on pâti non pas de problème de qualité de nos produits mais de la difficulté à en créer dans l’absolu. La France du numérique est surtout dominée par son industrie des services ! Comme est a du mal à structurer sa R&D pour créer des produits vendus en volume, elle se rabat sur le service. C’est d’ailleurs le cas de l’industrie du logiciel open source qui, lorsqu’elle est basée en France, reste très orientée « services ». Seuls les français de l’open source qui sont partis aux USA ont réussi à adopter une approche produit et volume, comme Talend qui est l’éditeur de logiciel français qui a levé le plus ces deux dernières décennies avec plus de $60m.
Les entreprises devraient aussi certainement balayer devant leur porte. Les problèmes de compétitivité ne sont pas juste liés à la malchance, aux concurrents implacables où à la règlementation et à la fiscalité. Il y a aussi de piètres managers non sanctionnés, des erreurs de stratégie non assumées et des organisations qui étouffent la créativité ! La Dilbertisation de nos entreprises est une véritable plaie ! Imaginez une France sans ces managers qui font que leurs collaborateurs arrivent au travail la peur au ventre tous les matins ! Une France où les grandes entreprises paieraient dans les temps leurs sous-traitants. Ca aussi, ce sont des problèmes de ‘qualité’.
Les usines « rentables »
On avait eu droit en février 2012 à une proposition de loi, cosignée par François Hollande sur la reprise de sites genre Florange : les sociétés qui s’en désengageraient auraient obligation de vendre ces sites aux plus offrants, sous contrôle des Tribunaux de Commerce. La proposition, a été reprise à son compte par le gouvernement et le tonitruant Arnaud Montebourg. Elle réagissait à quelques cas identifiés d’usines que leur propriétaire, souvent étranger, ne souhaitait pas forcément revendre. Dans la pratique, ces cas particuliers pouvaient être réglés sans créer de loi, ou difficile à régler même avec une loi.
Dans le cas de Florange, l’arrêt du haut fourneau était justifié par Arcelor-Mittal par la décrue du marché européen. Je me demande bien qui pourrait être intéressé à racheter un tel outil industriel en pareilles circonstances. Va vendre de l’acier avec une vieille aciérie dans laquelle il faut réinvestir énormément et dans un marché contrôlé par quelques oligopoles !
En fait, les usines ne sont jamais rentables en soi, ce sont les business qui le sont ! Un business comprend en amont de la R&D, puis de la production puis de la commercialisation et se situe dans un marché. Celui-ci est mouvant et demande une adaptation permanente. La concurrence concerne à la fois les produits et l’allocation des capitaux au sein de l’entreprise. Si le marché n’est pas là, que la commercialisation patine, l’usine pose problème ! Même dans un grand groupe. Après, on passe dans un autre registre, celui de l’entreprise « citoyenne » qui prend en compte son rôle dans sa région et choisit d’y rester et de renouveler son outil de production. Mais ceci ne peut fonctionner que si le marché est en croissance.
R&D et innovation
Pour les élus et les décideurs politiques, l’innovation est essentiellement la conséquence des investissements en R&D. Avec une vision très linéaire de l’innovation : on fait de la recherche, puis on la valorise avec des brevets, puis on créé des startups (ou pas), puis on vend le résultat. Cette démarche d’innovation est à rebrousse-poil du sens même de l’innovation qui est de répondre à des besoins existants ou latents de clients potentiels. Avec une expérimentation qui n’est pas que technique mais relève surtout de la confrontation au marché.
Tant que l’on n’a pas compris cela, rien ne peut avancer dans l’innovation. Et on met donc de l’argent public en palettes dans la R&D, avec le CIR, le grand emprunt et tout le toutim. C’est peut-être bien, mais c’est largement insuffisant. Ce n’est pas dans la R&D que la France ne va pas mais dans l’aval de l’innovation : le marketing, l’orientation client, l’ambition et l’ouverture sur le monde !
On retrouve cette incompréhension dans les changements de priorité incessants sur la taille des entreprises à aider ! Sous Sarkozy, le mot avait était passé aux Ministères concernés d’aider les PME à devenir des ETI. En conséquence de quoi les crédits, notamment chez Oséo Innovation, qui étaient destinés aux startups en phase de démarrage et d’amorçage avaient été rognés. C’est encore le cas aujourd’hui.
Pourtant, l’innovation est un problème de plomberie suffisamment simple : il faut alimenter de manière continue un tuyau en amont avec des projets et des startups, et en aval, en récupérer le fruit avec des sorties industrielles ou des startups devenues des ETI voire plus. Si on coupe le robinet à l’entrée du tuyau, ou que l’on réduit son débit par une régulation tatillonne ou pas manque de financements, et bien, quelques années plus tard, il ne sort plus rien du tuyau ! Fred Montagnon en donne un bon exemple en faisant la comparaison entre l’industrie automobile en France il y a plus d’un siècle et le numérique aujourd’hui.
A droite comme à gauche, on passe aussi son temps à taper sur les grands groupes et leur faible taux d’imposition. Comme on a peu d’ETI (entreprises de taille intermédiaires), on se tire une autre balle dans le pied ! Nos grands groupes et notamment ceux qui exportent beaucoup (L’Oréal, l’Air Liquide, Total, etc) sont des atouts économiques pour la France. Ils ont un faible taux d’imposition par rapport aux PME parce qu’une grande partie de leur activité et de leurs plus-value économiques sont situées hors de France. Et aussi, certes, parce qu’ils font de l’optimisation fiscale. Comme celle que l’on reproche à Google ! Leurs profits en France sont faibles car le marché français est particulièrement atone ! Les PME sont plus imposées car elles exportent moins. On va donc pénaliser ceux qui exportent plus ? Au lieu de pousser ceux qui exportent moins à s’internationaliser ?
Madame Michu est une spéculatrice !
Prenons l’exemple du Livret A qui est le véhicule d’investissement le plus populaire en France. Il y en a 46 millions répartis sur 37 millions de titulaires, soient 57% des français toutes classes d’âges confondues. Il est actuellement rémunéré à 2,25% avec un encours de plus de 200 milliards d’Euros début 2012.
Depuis son origine, le Livret A sert à financer des projets d’intérêt général et notamment dans l’habitat (HLM), qui représentent un peu plus de la moitié de l’encours. Comme ces investissements ne sont pas du tout rentables, l’autre moitié qui doit rapporter au moins 4,5% est investie « dans les marchés ». Où ça ? On trouve 11 Md€ en dette de la zone Euro notée entre AAA et BBB (ben oui, on ne va pas risquer de prêter aux grecs…) et 20 Md€ de dette française. Il y a aussi environ 47Md€ en obligations, dont le rendement provient des dividendes distribuées par les entreprises, grandes pour la plupart ! Celles du CAC 40 notamment !
Sans le savoir, Madame Michu se rémunère sur le dos… d’elle-même puisque le rendement des obligations d’Etat provient du remboursement de la dette par les impôts, dont la TVA qui est la première source de financement de l’Etat. Quand certains politiques, surtout de gauche, réclament une augmentation de l’impôt sur les entreprises du CAC 40, cela revient à se tirer une balle dans le pied puisque ces dividendes alimentent notamment le Livret A mais aussi l’Assurance Vie avec son encours de près de 1400 Md€ ! Imaginons la cascade d’événements : si vous diminuez le rendement des entreprises cotées, vous allez générer des transferts d’investissement vers des investissements plus rentables. Où trouver mieux que les obligations dont les dividendes sont alimentés par ceux des grandes entreprises ? Et bien… dans la spéculation et dans de la dette plus mal notée comme celle de l’Espagne ou de la Grèce. Eh oui, l’économie est un grand jeu de vases communicants !
Fonds de pension et hedge funds
Il était fréquent de dénoncer les rendements que les « fons de pension » attendaient de leurs investissement, « de l’ordre de 15% », ce qui expliquait les « licenciements financiers ». Alors que le rendement des fonds de pension ne dépasse généralement pas les 5 à 7%. Ils recherchent un investissement à rendement garanti car ils financent les retraites du public et du privé dans les pays anglo-saxons avec des versements réguliers. On ne peut pas avoir un rendement garanti et 15% dans la durée. C’est incompatible. C’est un fantasme.
Et les encours des fonds de pension sont bien plus importants en volume que ceux des hedge funds. Seuls ces derniers recherchent des rendements élevés. Petits ordres de grandeur : les fonds de pension gèreraient $20 000B d’actifs (20 trillions de dollars) soit environ 10 fois plus que les hedge funds !
Exilés fiscaux
Intégrons au passage l’argumentaire de bien mauvaise foi sur l’inutilité du bouclier fiscal « qui n’a pas fait revenir en France d’exilés fiscaux ». L’histoire a montré que ces exilés fiscaux avaient bien raison de ne pas bouger ! Et pour cause, c’est à la fois le niveau comme la forme de la taxation (IR + ISF) et surtout son instabilité chronique qui dissuadent les exilés de revenir.
Sans compter que l’on ne change pas de vie comme on change de chemise en fonction d’une simple loi de finances (celles de 2008 en l’occurrence, avec le fameux bouclier fiscal à 50%). Et ceux qui sont très mobiles peuvent repartir aussitôt que le temps (fiscal) se couvre, ce qui n’est pas l’effet de long-terme recherché !
L’Etat, répartiteur de la valeur dans le privé !
Plus récemment, nous avons aussi eu cette proposition de taxer Google pour financer la presse écrite sous prétexte que Google leur « prend » de la valeur. Belle incompréhension de la chaine de valeur alimentée par les syndicats de la presse écrite et cette fois-ci, pas par nos énarques de Bercy !
Quand on y regarde de plus près…
Google News ne publie que les titres et les premières lignes des articles des sites de news, en utilisant le droit à la citation et génère des liens entrants vers les sites. Il en va de même du lecteur de flux RSS Google Reader, qui permet de consulter le contenu des articles qui sont publiés à la norme RSS par les sites. C’est le choix des sites de diffuser l’intégralité ou pas de leurs articles dans leurs flux RSS.
Dans les deux cas, Google apporte du trafic aux sites de news. Il n’y a pas de publicité sur Google News (à ce jour) et il y en a sur les sites de news qui bénéficient donc de ces liens. La presse voudrait donc être payée par Google alors que c’est Google qui lui génère du trafic ? On marche sur la tête !
Les deux tiers du chiffre d’affaire de Google proviennent des AdWords. Ceux-ci sont générés par des publicités contextuelles placées sur nos résultats de recherche. Or ces publicités ont plus de chances d’apparaitre et d’avoir de la valeur lorsque les termes de la recherche correspondent à des marques, des services ou des produits qu’à des événements couverts par la presse. En d’autres termes, les news génèrent peu d’opportunités publicitaires de type AdWords. C’est très bien expliqué par Frédéric Filloux dans Monday Note.
Le dernier tiers du CA de Google provient de AdSense, sa régie publicitaire qui place des annonces dans des sites tiers. Mais rarement dans les grands médias qui passent par d’autres agences de publicité commercialisant des bannières dites « premium », bien plus chères que les annonces diffusées via Google AdSense.
Alors, à qui Google prend-il de la valeur avec ses AdWords ? Il la capte surtout aux annuaires à l’ancienne type « Pages Jaunes ». Il a contribué à faire grandir ce marché par son côté générique, instantané et transnational.
Et la perte de valeur économique liée au passage au numérique a affecté tous les médias et pas seulement la presse écrite ! Demandez aux industries de la musique ! C’est vrai aussi de la télévision : les sites en ligne avec la TV de rattrapage sont bien moins monétisables que la pub classique à la TV. Google n’y est pour rien même si YouTube capte aussi du temps utilisateur.
La force de Google vient de ce que les pubs liées à AdWords sont les plus contextuelles : elles sont basées sur la demande de l’utilisateur. Pour toutes les autres pubs, les sites et régies publicitaires cherchent à deviner les besoins de l’utilisateur. Cela explique pourquoi le revenu par utilisateur de Google (supérieur à $30/u/mois) est environ dix fois plus élevé que le revenu par utilisateur de tout autre site web financé par la publicité. Facebook est à environ $5.
Le gouvernement français souhaite donc « partager la valeur » dans la création de contenus. Un peu comme quand, à droite, on taxait les opérateurs télécoms pour financer l’arrêt de la publicité en prime time sur France Télévisions. Bref, la redistribution en France consiste à financer des choux avec des carottes ! Ce n’est pas la création d’un nouveau « droit voisin » qui est réclamée mais plutôt celle d’un « droit éloigné »… ! Tant qu’on y est, on pourrait aussi demander à Google de financer les photographes professionnels qui crèvent la dalle ! Bien oui, Google Image leur fait tant de mal ! Mais leurs syndicats professionnels sont moins puissants que ceux de la presse…
On pourrait dans la même veine aussi taxer les éditeurs de logiciels pour financer les sociétés de services en informatique. En effet, les premières qui vont bien ont un résultat net supérieur à 20% de leur CA tandis que les secondes atteignent difficilement la moitié. Elles ne pleurent pas pour autant car elles sont en général profitables. Bien oui, les plateformes sont toujours plus profitable que les applications et les contenus. Et depuis des décennies ! Et on est bien faible en création de plateformes en France, c’est là le nœud du problème !
Le comble est que cette histoire est allègrement mélangée avec la question de l’évasion fiscale de Google vers l’Irlande, qui concerne de nombreuses sociétés américaines. C’est une question qui n’a rien à voir avec celle de la répartition de la valeur avec la presse écrite ! Que Bercy fasse son boulot pour taxer ces boites convenablement sans pour autant les faire fuir de France !
Que faire ?
Comment changer la donne ? Comment faire comprendre que les emplois ne sont pas créés par les politiques ni ne naissent dans les choux ? Comment montrer que ceux-ci dépendent avant tout d’entrepreneurs qui prennent des risques et pas d’une finance invisible et rapace ? Que l’innovation ne passe pas par le « tout Etat » ?
Le débogage de l’économie française commence très en amont, au niveau de l’enseignement primaire et secondaire. Aujourd’hui encore, l’économie y est présentée sous l’angle de la lutte des classes et des travailleurs contre le grand capital. C’est toujours Germinal ! Le sujet est généralement traité en creux. Pour ne prendre qu’un exemple, Edison y est plus facilement présenté comme un inventeur que comme un entrepreneur, à l’origine d’une petite entreprise qui s’appelle General Electric ! Il n’est pas étonnant que les jeunes soient démotivés : l’enseignement leur apprend à quel point le statut de salarié est aliénant – ce qui n’est pas faux – mais ne les encourage pas pour autant à entreprendre ! Et on est le pays où l’on a le plus de jeunes qui aspirent à devenir fonctionnaires. Heureusement, il existe des initiatives comme « 100000 entrepreneurs » qui font le lien entre le secondaire et les entreprises. La même question se pose pour les sciences, bien délaissées par les jeunes, comme l’explique si bien André Brahic dans « La science, une ambition pour la France ».
Il faudrait aussi que nos énarques et politiques passent plus de temps dans les entreprises, petites comme grandes. Pour y arriver, il faudrait sérieusement réformer le système et notamment réduire intelligemment le cumul des mandats. On pourrait permettre aux salariés et cadres de faire de la politique au même titre qu’ils peuvent être syndicalistes. Avec une sorte de mi-temps ou de « congé d’élu » (surtout national) ? Et dans le même temps, réduire cette sécurité abusive de l’emploi qui protège les membres de ces grands Corps de l’Etat. Cette sécurité explique pourquoi tant de nos ténors politiques sont énarques ! Quand ils perdent les élections, ils retournent dans leur Corps d’origine et sont payés même s’ils n’ont pas de véritable emploi. Ce serait plus fort qu’un simple stage en entreprise dans la formation de l’ENA.
Les médias « chauds » (radio, télévision) devraient aussi poursuivre le développement de l’usage du fact-checking face aux inepties économiques des uns et des autres. On en est encore loin. Les débats d’une émission comme « C’est dans l’air » de Yves Calvi sont bien trop marginaux. J’ai vu que ce fact-checking avait aussi court dans « C politique », une autre émission de France 5. Fleur Pellerin l’a expérimenté lors de son intervention du dimanche 4 novembre 2012 au sujet du coût du travail en Europe.
Enfin, d’une manière générale, nos élites devraient s’ouvrir un peu plus sur le monde. Le benchmarking quali et quanti reste une bonne méthode pour s’améliorer, même si l’on ne peut pas tout reprendre des politiques économiques de chaque pays. Les USA ne sont par exemple pas une référence en terme de politique de santé publique.
La révolte des pigeons n’est que la face émergée d’un gros iceberg sur l’incompréhension entre les sphères économiques et les sphères politico-médiatiques. Il est temps que cela change !
L’histoire pourrait-elle se répéter ? Nous sommes à la fois en 1981 et en 1983. En 1981 du fait de l’idéologie du moment en vigueur au gouvernement et surtout à l’Elysée. Mais en 1983 car sous l’effet d’une rigueur et d’une dévaluation … cette fois-ci fiscale, comme décrite par quatre économistes dont Phlippe Aghion et Elie Cohen. Nous pourrions être d’ici moins de deux ans ans, comme en 1985, avec un gouvernement qui redorera le blason des entrepreneurs comme l’avait fait Mitterrand en son temps.
Rêvons un peu…
(Olivier Ezratty – Blog Opinions libres)
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