Selon l’étude « Rebuilding Europe » du cabinet d’audit EY, la crise du Covid-19 a créé une véritable catastrophe culturelle. C’est le deuxième secteur le plus affecté par la crise sanitaire, juste derrière l’industrie aéronautique, mais avant le tourisme. Vincent Villard, enseignant, conférencier en formations artistiques, est aussi le co-fondateur de L’ECOLE D’ART à Montreuil (1). Pour lui, il est essentiel de recentrer le débat sur un secteur qui est quasiment en arrêt total depuis un an. Malgré les dispositifs, ce sont des millions d’emplois qui ont été directement impactés, sans compter les impacts indirects sur la population, sans accès aux lieux de culture, principale source de loisirs. Rencontre.
Le secteur de la culture a apporté 700 000 nouveaux emplois ces six dernières années, faisant de ce secteur un des plus dynamiques en Europe. Mais les mesures de lutte contre l’épidémie de Covid-19 ont mis quasiment à l’arrêt le secteur de la culture en France. « Le Sénat a publié un rapport mi-mai sur les pertes accusées par le secteur depuis un an. Pour le spectacle vivant, elles s’élèvent 2,3 milliards d’euros, avec une activité qui a chuté de 84%. Pour le cinéma, c’est un milliard d’euros de pertes, et une fréquentation en baisse de 70%. Même ordre de grandeur dans les musées, avec 72% de visiteurs en moins et des pertes de 217 millions d’euros », selon France TV info. Et malgré les 11 milliards d’euros apportés depuis mars 2020 pour soutenir le secteur, il faudra une enveloppe supplémentaire de 148 millions d’euros.
UP’ : A combien s’élève le manque à gagner pour les établissements de culture (cinéma, théâtre, musées, galeries d’exposition, …) ?
Vincent Villard : La pandémie due au Covid-19 a inévitablement créé une situation économique parfois catastrophique pour les établissements culturels. Cinémas, théâtres, musées, galeries, foires, salles de spectacle, sont fermés depuis 6 mois et avaient déjà subis une longue période de fermeture lors du premier confinement au printemps 2020. Difficile dans cette situation de gagner le moindre euro. Le manque à gagner est donc énorme avec par exemple 90% de chute pour le théâtre et le spectacle vivant en 2020.
En Europe le secteur culturel était pourtant en plein essor avec plus de 700 000 nouveaux emplois créés ces six dernières années. La progression économique étant remarquable dans les secteurs du jeu vidéo ou de la musique, mais aussi très significative dans le spectacle vivant, l’édition ou les arts visuels. En Europe, la culture a perdu sur son chiffre d’affaires en comparaison à 2019, près de 200 milliards d’euros.
UP’ : Savez-vous de quel pourcentage le marché de la culture a-t-il été impacté ?
VV : En France, l’impact de la crise du Covid-19 se traduit par une baisse moyenne de chiffre d’affaires de 25 % en 2020 par rapport à 2019 (22,3 milliards d’euros). L’effet sera le plus important sur le secteur du spectacle vivant (-72 %), du patrimoine (-36 %), des arts visuels (-31 %) et de l’architecture (-28 %).
UP’ : Les métiers d’art font-ils toujours rêver ?
VV : Parmi les métiers artistiques ou créatifs qui font rêver le plus de Français, arrive en tête photographe suivi des métiers de styliste et de décorateur d’intérieur.
Les métiers d’art font toujours rêver des dizaines de milliers d’étudiants chaque année, et ce depuis longtemps. Les chiffres sont plutôt stables depuis dix ans mais une progression est attendue pour les prochaines années. En effet, si la crise du Covid-19 a contraint des millions de français à rester chez soi, elle a aussi, et c’est l’un des rares bénéfices de cette crise, permis à une part non négligeable de la population de se recentrer, de trouver de nouvelles occupations, de consacrer du temps à des passions inassouvies, ou pour d’autres de se lancer dans une nouvelle vie avec plus de sens. Finalement de se réaliser et de s’apercevoir que l’art, qu’il soit plastique, appliqué, musical ou culinaire était indispensable à la vie.
En ce qui concerne directement les métiers d’art, nombreux sont celles et ceux qui se sont essayés à la peinture, la sculpture, au design, à la menuiserie ou la ferronnerie en ayant la volonté d’améliorer leur espace de vie, parfois portés par l’idée de la transmission d’un savoir-faire aux plus jeunes générations.
Les métiers d’arts, à une époque où le travail et l’enseignement à distance ont montré leurs limites, sont des voies qui permettent aux lycéens et étudiants de se projeter visuellement et intellectuellement vers des professions avec pour objectif d’être eux-mêmes.
UP’ : Comment réagissent aujourd’hui les étudiants des écoles d’art ? Comment ont-ils vécu la crise sanitaire ? A-t-elle modifié la façon d’envisager l’activité de ces professionnels de demain ?
VV : Les étudiants en école d’art sont plus impliqués dans leur pratique artistique. Mais c’est surtout à travers les sujets et thématiques qui sont traités que les réactions se font sentir. Les étudiants traitent de sujets personnels, qui sont en lien directement avec leur personnalité, leur intimité. On remarque un besoin de parler d’eux, de leur environnement et d’une manière générale de sujets sociétaux. Peu sont ceux qui parlent directement de la pandémie et de ces conséquences. Ils ont plus que hâte que cette crise s’arrête et parler d’autre chose dans leur travail est aussi salvateur. Tout comme la pratique artistique. Utiliser des matériaux et des techniques est un besoin. Avoir une pratique manuelle, faire est essentiel pour eux parfois après de trop longs moments passés derrière des écrans. N’oublions pas que l’enseignement artistique à distance est pratiquement impossible. Outre des cours d’histoire de l’art, les autres enseignements ne peuvent se faire qu’en présentiel. Qu’il s’agisse de cours de dessin, de peinture, de gravure, de volume, de céramique, de photo ou de sérigraphie, seul l’échange et la pratique avec un professionnel porte ses fruits. Les étudiants ont soif de réalité et de vérité.
UP’ : Combien gagne un artiste aujourd’hui ?
VV : Les revenus des artistes varient selon les métiers exercés, l’âge, la cote, la renommée. Il n’existe donc pas une seule réponse. Les artistes sont aujourd’hui majoritairement pluridisciplinaires. Peu ne sont que peintres, que sculpteurs, que dessinateurs, la plupart ont une pratique transversale et aiment à mélanger les techniques. Les artistes sont également très sollicités par de grandes enseignes de luxe, de sport ou de prêt-à-porter, et d’une manière générale par de nombreuses marques afin d’exprimer leurs talents. Ces collaborations permettent aux artistes, tout comme l’enseignement, de s’assurer un revenu relativement stable et leur permet en parallèle de poursuivre une pratique artistique moins rémunératrice et plus personnelle. D’une manière générale, il est important de comprendre que la rémunération d’un artiste n’est pas linéaire, certaines années pouvant être plus fastes que d’autres.
On estime qu’un jeune artiste diplômé d’une école supérieure d’art comme les Beaux-Arts de Paris, gagne, au bout d’une année, entre 1500 et 2000€ bruts par mois, tout comme un jeune designer ou graphiste. Leur rémunération peut rapidement évoluer en fonction des projets et des opportunités.
D’autres artistes, représentés par des galeries ou dont la côte est déterminée par leur passage en maison de vente, peuvent très bien gagner leur vie avec des rémunérations de 20 à 50 000€ par an en moyenne. Les artistes contemporains les plus cotés et les plus célèbres gagnent quant à eux plusieurs millions par an.
UP’ : Quelles pertes pour les artistes depuis 7 mois ?
VV : Pour les artistes plasticiens les pertes peuvent être de 100% s’ils n’ont aucune autre activité et ne sont pas diffusés par des marchands ou des éditeurs.
UP’ : Quels sont les autres métiers directement impactés ?
VV : Les métiers directement impactés par la crise sont essentiellement ceux liés à l’événementiel, au patrimoine, à l’architecture, au livre, à la publicité, au cinéma et à la musique. La liste est malheureusement longue.
Les galeries d’art ont également subi une chute de 45% de leur chiffre d’affaires sur l’année 2020 et de 91% en période de confinement. En ce qui concerne la mode et le design, on note une baisse de 25% en 2020 vs 2019 avec des creux à -60% en confinement.
UP’ : Pensez-vous que cette période va permettre l’incitation à de nouvelles formes d’expression culturelle ? Via le numérique, notamment …
On parle actuellement de token et de blockchain. Une œuvre numérique vient d’être vendue prêt de 70 millions de dollars chez Christies. Il s’agit de fichiers numériques, réputés uniques payés en crypto-monnaie. Qu’il s’agisse de ce que l’on achète et comment, tout reste virtuel. Il ne s’agit pas d’une œuvre physique que l’on va pouvoir admirer, avec laquelle on va pouvoir vivre et partager avec d’autres, mais d’un système de spéculation. Je ne pense pas que cette période favorise les œuvres virtuelles de la sorte, au contraire.
UP’ : Que pensez-vous du projet de « concerts-test » prévu courant mai ?
VV : Les concerts-test sont une bonne initiative s’il s’agit du meilleur moyen pour garantir le retour à une vie normale le plus rapidement possible. Malgré tout, les conditions d’organisation imposées aux participants freinent les candidats volontaires et donc ralentissent la réouverture des salles de concerts.
UP’ : Que pensez-vous des aides et soutiens mis en place par le Gouvernement aux professionnels du monde de la culture ?
VV : Le fond de solidarité et les autres aides ont permis à de nombreux artistes d’être soutenus et de passer cette période avec moins de difficultés. Néanmoins ces aides ont tardé à venir contrairement à l’Allemagne qui a immédiatement mis en place des aides importantes pour les artistes. Il est particulièrement important que le gouvernement poursuive ces aides après la crise. En effet, plusieurs mois seront nécessaires avant un retour à la normale. N’oublions pas que le secteur artistique en France pèse plus que le secteur automobile.
Propos recueillis par Fabienne Marion, rédactrice en chef UP’ Magazine
(1) Vincent Villard, diplômé de l’ENSAD, est enseignant, conférencier en formations artistiques, collectionneur d’art et artiste. Il est le co-fondateur de L’ECOLE D’ART.
Il dirige également HYPERBIEN, éditeur et diffuseur de la jeune création au travers d’œuvres multiples, éditions limitées, objets dérivés et culturels et participe à des manifestations artistiques en France et à l’étranger.
Pour aller plus loin :
- Guide de réflexion de l’UNESCO « La culture en crise : Guide de politiques pour un secteur créatif résilient »
- Livre « Désaccords artistiques » – Essai sur l’origine des désaccords politiques et esthétiques sur l’art de Laurent Denave – Editions L’Harmattan, décembre 2020
- Livre « Majeur/mineur – Vers une déhiérarchisation de la culture » – Collectif – Editions FRAC et l’Atelier contemporain, février 2021
Juste dommage de titrer cet artîcle: « le Covid19 responsable… » alors que ce sont les mesures politico-sanitaires prises qui sont la cause de cette catastrophe pour les milieux culturels…