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Le graphène, nanomatériau du futur ?

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Isolé en 2004 par Andre Geim et Konstantin Novoselov, le graphène est un nanomatériau exceptionnel, qualifié de « matériau du XXIe siècle » (projet Graphene Flagship européen doté d’un milliard d’euros sur 10 ans). Très léger, imperméable, inerte chimiquement, transparent, flexible mais extrêmement résistant et excellent conducteur de chaleur et d’électricité, ses propriétés modulables semblent ouvrir de multiples possibilités dans quasiment tous les secteurs industriels. La 16e séance en février dernier du Forum NanoRESP, était consacrée à un état des lieux sur le graphène, ses implications technologiques, économiques, sanitaires et sociales.
A quoi tiennent les propriétés du graphène ? Quelles sont les applications expérimentées ? Quel est le positionnement de la France et de l’Europe dans ce domaine ? A-t-on identifié des risques d’utilisation ?
 
Le scotch, fameux ruban adhésif, a bien des vertus. La moins banale, peut-être, est d’avoir permis la découverte, en 2004, d’un nanomatériau aux propriétés exceptionnelles, le graphène. Il s’agit d’un nanomatériau constitué d’un seul plan d’atomes de carbone, soit une épaisseur d’un dixième de nanomètre. Il a été isolé à partir du graphite, le constituant des mines de crayon.
 
 
Ce dernier est formé d’un empilement de plans d’atomes de carbone organisés aux sommets d’un réseau hexagonal. Ces plans sont liés par des liaisons faibles dites de Van der Waals, ce qui rend le matériau friable, exfoliable (on peut le « peler »). En 2004, deux chercheurs de l’Université de Manchester, André Geim et Konstantin Novoselov, ont réussi pour la première fois à l’exfolier. Leur technique, simplissime, faisait appel à… un ruban de scotch ! Le scotch arrache des feuillets que l’on reporte sur un substrat d’oxyde de silicium. Certains fragments sont des monofeuillets, du graphène donc. Ils peuvent être repérés au microscope optique par leurs nuances de gris, ce que confirme la microscopie à force atomique. Cette technique d’exfoliation, associée à la mesure des propriétés électriques du graphène, a valu le prix Nobel de physique 2010 aux deux chercheurs (1).
 

Le premier cristal 2D

Le graphène est ainsi le premier cristal à deux dimensions jamais obtenu, explique Annick Loiseau, spécialiste des nanomatériaux carbonés au Laboratoire d’étude des microstructures (LEM, UMR 104 Onera-CNRS), à Châtillon. Ses propriétés mécaniques, électroniques, électriques, thermiques et optiques sont exceptionnelles. Sans entrer trop dans les détails de la physique, résumons-les :
– Mécaniques : dans le graphite, les plans de carbone sont faiblement liés entre eux. Dans chaque plan de graphène, en revanche, les atomes de carbone sont reliés par des liaisons extrêmement solides (il faut chauffer à très haute température pour les casser). En conséquence, le matériau est très résistant mécaniquement dans le plan (100 fois plus qu’un acier de même épaisseur), tout en étant déformable. Combiné à un matériau qui absorbe les chocs il peut former des matériaux souples très solides.
– Électroniques et électriques : les électrons qui se déplacent dans le plan sont caractérisés par des « cônes de Dirac », c’est à dire des énergies au comportement semblable à celui de la lumière. Leur vitesse de déplacement est très importante à température ambiante, supérieure à celle des semiconducteurs classiques, ce qui assure une forte conductivité électrique.
– Thermiques : excellente conductivité thermique, 10 fois supérieure à celle du cuivre, 20 fois supérieure à celle de l’aluminium
– Optiques : le graphène forme une membrane ultratransparente (absorbant très peu de photons), ce qui est propice à la fabrication d’électrodes transparentes flexibles.
 
La nouveauté des dernières années, ce sont les matériaux qui peuvent être dérivés du graphène comme l’oxyde de graphène et le graphane (chaque atome de carbone y est associé à un atome d’hydrogène). Le graphène a surtout amené le concept d’hétérostructures : des plans de graphène et d’autres matériaux sont combinés afin d’obtenir de nouvelles propriétés. Parmi ces derniers, le nitrure de bore et la famille des dichalcogénures de métaux de transition (TMD) tels que le disulfure de molybdène (MoS2), le disulfure de tungstène (WS2), le diséléniure de molybdène (MoSe2) ou le diséléniure de tungstène (WSe2) sont les plus utilisés pour leurs propriétés électroniques et optoélectroniques. Tout un champ de découvertes s’est ouvert depuis car les hétérostructures fonctionnelles potentielles sont nombreuses.
A quoi servent-elles ? Les domaines d’application sont très nombreux : membranes filtrantes, capteurs chimiques et biologiques, capteurs de pression, matériaux composites, encres conductrices, électronique (transistors, capteurs), dispositifs flexibles et transparents (écrans souples, conducteurs transparents), énergie photovoltaïque, etc.
 
 
Pour cela il faut synthétiser du graphène en quantité industrielle. La technique d’exfoliation par arrachage de plans n’est pas réalisable à cette échelle. En revanche, l’exfoliation en masse du graphite est possible si on disperse le graphite dans un solvant (« voie liquide »). On peut alors séparer les feuillets de graphène à l’aide d’une source d’énergie, notamment des ultrasons (sonication). La voie majeure pour obtenir du graphène de très bonne qualité et de grande surface (de l’ordre du mètre carré) est la technique de déposition chimique en phase vapeur (CVD, Chemical Vapour Deposition) utilisée depuis longtemps pour obtenir des tubes de carbone. A une température de 500 à 1 000 °C, un gaz hydrocarboné tel que du méthane est décomposé à la surface d’un substrat métallique catalytique comme le cuivre. Le carbone issu de la décomposition du gaz se réorganise pour former du graphène.
 
Une autre technique, dite d’épitaxie ou de graphitisation thermique, a été développée en 2004 parallèlement à l’exfoliation mécanique par Claire Berger et ses collègues (groupe de Walt de Heer à l’Institut de Technologie d’Atlanta). Elle utilise une propriété singulière du carbure de silicium. Ce semi-conducteur, quand on le chauffe à plus de 1 000 °C ou sous la pression d’un flux d’argon, s’enrichit en carbone à sa surface : les atomes de silicium s’évaporent (sublimation) tandis que les atomes de carbone se réarrangent pour former une ou plusieurs couches de graphène.
Suivant les procédés de synthèse utilisés, on obtient des graphènes de qualité diverse, plus ou moins sans défaut, et pour des coûts variables, la méthode de synthèse la moins coûteuse étant l’exfoliation de graphite en solution tandis que l’épitaxie est la plus onéreuse. Selon A. Loiseau, tout le jeu est d’adapter le procédé en fonction de ce que l’on veut faire du graphène. Par exemple pour une norme de conduction d’électricité, du graphène de qualité moyenne suffit. Des systèmes intégrés permettant à la fois la synthèse par CVD et le report du graphène sur des films ont été élaborés en Corée du Sud. En Europe, les entreprises spécialisées cherchent plutôt à synthétiser le graphène puis à le reporter par des techniques de transfert en voie sèche ou humide sur des substrats spécifiques qui sont ensuite introduits dans des dispositifs fonctionnels. La synthèse d’hétérostructures, plus compliquée, n’est pas encore au stade industriel mais fait l’objet d’intenses recherches.
 

Des fonctions potentielles multiples

En raison de l’arrangement des atomes de carbone dans un seul plan et de la très grande surface spécifique ainsi créée (2 630 m² par gramme !), le graphène peut être modifié en surface en créant des liaisons chimiques avec divers composés. Cette fonctionnalisation permet soit de modifier les propriétés du graphène, soit d’incorporer en surface (c’est-à-dire adsorber) du graphène des nanomatériaux actifs tels que des catalyseurs (pour détruire des polluants, par exemple), des protéines, des médicaments, des molécules fluorescentes, des nanoparticules métalliques, etc.
 
La fonctionnalisation sans doute la plus utile actuellement, a expliqué Stéphane Campidelli, du Laboratoire d’Innovation en Chimie des Surfaces et Nanosciences (LICSEN), au CEA-Saclay, est l’ajout de groupements oxygénés sur les plans de graphène du graphite. Le graphite peut être alors assez facilement exfolié pour donner des feuillets d’oxyde de graphène en suspension. Ce composé – qui est isolant, contrairement au graphène – est beaucoup moins coûteux à obtenir que le graphène. La relative facilité de l’exfoliation permet d’obtenir des feuillets de plus grande surface que par l’exfoliation directe du graphite. L’oxyde de graphène peut alors être désoxygéné (réduit) pour donner des feuillets de graphène conducteur de grande surface.
 
 
Au-delà de l’oxygénation, un grand nombre de groupements chimiques peuvent être ajoutés, en théorie, au graphène, en recourant aux principales méthodes de fonctionnalisation développées entre 2000 et 2005 pour les nanotubes de carbone. On utilise deux méthodes : la fonctionnalisation covalente, par des liaisons chimiques fortes, ou la fonctionnalisation non covalente, par des interactions faibles telles que les forces électrostatiques. La première, nommée aussi « chimisorption », a l’avantage de produire des assemblages stables et faciles à manipuler, mais l’inconvénient (ou l’avantage, selon le but recherché) d’introduire des irrégularités dans le réseau de carbone, ce qui altère ses propriétés optiques et électriques. La seconde, ou « physisorption », est plus facile à réaliser par dépôt d’une solution contenant les molécules d’intérêt sur du graphène ; elle n’affecte pas ses propriétés électriques et optiques mais donne des assemblages instables ; ce sont des assemblages « supramoléculaires ». Après plusieurs années d’expérimentation, les chimistes disposent aujourd’hui en laboratoire d’un arsenal de possibilités pour « améliorer » le graphène. En revanche, le développement des plates-formes de fonctionnalisation à des fins industrielles n’en est qu’à ses débuts.
 

Les supercondensateurs

C’est du côté des applications énergétiques que le graphène semble le plus avancé. Des industriels l’utilisent notamment dans des dispositifs promis à un grand avenir dans les véhicules électriques, les supercondensateurs (supercapacitors en anglais), a exposé Paolo Bondavalli, du laboratoire Thalès Recherche et Technologie à Palaiseau. Ces dispositifs ont l’intérêt d’avoir 7 une forte « densité de puissance », c’est-à-dire qu’ils se chargent et se déchargent en quelques minutes sans s’épuiser si bien qu’on peut les charger-décharger jusqu’à un million de fois sans diminution de leurs capacités. En revanche, ils stockent beaucoup moins d’énergie que les batteries (3 à 4 wattheures par kg, contre 30 à 40 Wh/kg pour une batterie). Ces caractéristiques de « sprinter énergétique » – les batteries étant comparables à un coureur de marathon – les font déjà employer dans plusieurs flottes de bus ou de bateaux électriques, en Chine pour commencer mais aussi En Europe (dont à Paris) plus récemment. Ces véhicules se rechargent aux stations d’arrêt, pendant que les passagers en montent et en descendent, chaque charge permettant de faire plusieurs kilomètres jusqu’à la prochaine station. Ils peuvent aussi se recharger pendant le freinage du véhicule ou, pour un téléphérique, à sa descente. Ils sont aussi utilisés pour les opérations demandant une décharge rapide de puissance électrique telles que l’ouverture de portes d’avion ou la montée-descente d’un chariot élévateur.
 
Techniquement, les supercondensateurs ont été inventés par la société japonaise NEC en 1971. Sous le terme de condensateur électrique double couche (Electrical Double Layer Capacitor, EDLC). Ils sont en effet constitués de deux collecteurs métalliques de courant, d’électrodes en carbone (charbon actif) imprégnées d’un électrolyte, et d’un séparateur qui isole les électrodes l’une de l’autre. Il existe aussi des condensateurs hybrides dans lesquels des matériaux ajoutés aux électrodes donnent un profil de densité de puissance et densité d’énergie intermédiaire entre ceux des supercondensateurs et des batteries. Outre les véhicules électriques, l’un des marchés prometteurs pour les supercondensateurs est la recharge de téléphones portables. Une société, Zap and Go, a déjà commercialisé un supercondensateur à base de graphène qui se charge en 5 minutes, ce qui correspond à une capacité de 2 kilowatts par kilogramme de matériau d’électrodes. Par rapport au charbon actif utilisé dans les électrodes, le graphène a l’avantage de laisser passer davantage de charges, c’est-à-dire que sa résistance est moindre, a expliqué Paolo Bondavalli. L’équipe de Thalès travaille sur des méthodes de synthèse de tels composites dans lesquels des nanotubes de carbone viennent s’intercaler entre les couches de graphène, ce qui maintient la structure du composite et améliore sa conductivité.
 
Par exemple, un composite de 75 % de graphène mélangé à des nanofibres augmente la conductivité et la puissance électriques d’un facteur 4 par rapport à du charbon actif. L’inconvénient du graphène est sa méthode de préparation en solution, qui utiliser des solvants toxiques. Pour éliminer cet inconvénient et pouvoir passer à un procédé industriel, les chercheurs optent désormais pour l’oxyde de graphène, moins coûteux et qui est très stable dans l’eau. Des tests ont montré qu’une proportion de 90 % d’oxyde de graphène et de 10 % de nanotubes multiparois permet d’optimiser le stockage des charges. Un tel composite, d’une densité de puissance de 30 kilowatts par kilo, aurait besoin de 20 secondes pour être rechargé. Reste donc à passer à l’échelle industrielle…
 

Un nanomatériau biocompatible et biostimulant

Plus surprenant encore, des chercheurs ont découvert depuis 2012 que le graphène est biocompatible, c’est-à-dire que des cellules tolèrent parfaitement son contact. Plus encore, détaille Vincent Bouchiat, physicien de l’Institut Néel à Grenoble, des expériences ont montré qu’il stimule la croissance de cellules vivantes sans altérer leurs propriétés et leur fonctionnement. On n’en connaît pas la raison, mais ce pourrait être parce que le graphène a la même rigidité que les cellules, si bien qu’elles épousent alors étroitement sa surface. Ces découvertes ont ouvert de nouvelles perspectives biomédicales.
 
L’équipe de Vincent Bouchiat a ainsi exploré dans quelle mesure une monocouche de graphène obtenue par déposition en phase vapeur, et reportée ensuite sur un substrat isolant, peut servir de plateforme pour la croissance de neurones. Elle a montré que du graphène, pour peu qu’il soit de très bonne qualité, permet une parfaite adhérence de neurones en croissance à sa surface et que la structure des neurones adultes, au bout de trois semaines de culture, est meilleure que celle que l’on obtient sur des supports biocompatibles classiques comme le verre enduit d’une couche de protéines idoines.
 L’intérêt est d’utiliser alors la sensibilité aux charges électriques statiques et dynamiques du graphène pour mesurer des phénomènes cellulaires électriques et réaliser une interface bio-électronique plus sensible et plus durable qu’avec une électronique à base de matériaux plus classiques tels que des métaux ou des semi-conducteurs.
Effectivement, d’autres expériences ont montré que des transistors à effet de champ à base de graphène (graphene field effect transistors, G-FETs) peuvent détecter l’activité électrique de neurones, ce qui ouvre la voie à de nouveaux dispositifs de mesure. Biocompatible et biostimulant : voilà deux propriétés qui ont titillé l’imagination des chercheurs.
Et si l’on utilisait le graphène pour activer la cicatrisation ? Vincent Bouchiat s’est ainsi intéressé aux plaies chroniques et aux ulcérations qui touchent par exemple les diabétiques et les personnes âgées, au point de conduire parfois à l’amputation. Au sein d’une spin-off de l’Institut Néel, GRAPHEAL, il teste actuellement l’intégration de graphène dans un pansement applicable directement sur les plaies (2). Des essais cliniques sont en cours. L’objectif serait à terme, en profitant des propriétés électriques du graphène, de créer des « pansements intelligents » de nouvelle génération capable de fournir des données diagnostiques, relatives à une infection par exemple, et d’induire par électrostimulation une croissance plus rapide des cellules souches qui cicatrisent la plaie.
 
 
La biocompatibilité du graphène signifie-t-elle pour autant que le graphène ne pose aucun problème de toxicité ? Emmanuel Flahaut, du CIRIMAT à Toulouse (Université de Toulouse, CNRS, INPT) (3) , en collaboration avec l’équipe de Laury Gauthier (ECOLAB, Toulouse), a fait le point sur cette question importante mais émergente. Emmanuel Flahaut a rappelé les deux justifications des études portant sur l’impact santé et l’impact environnemental des nanomatériaux carbonés produits à une échelle industrielle, les nanotubes de carbone et le graphène notamment : d’une part des travailleurs, dont les chercheurs, manipulent les particules brutes ; d’autre part, les particules se retrouvent par des mécanismes d’usure des matériaux dans l’environnement et particulièrement dans les espaces aquatiques qui finissent pas accumuler tous les polluants.
 
Le problème, dont le forum NanoRESP a souvent fait état, est que la toxicité et l’écotoxicité fait intervenir beaucoup de paramètres qu’il est difficile de sérier : les dimensions des nanomatériaux leur forme, leur surface d’interaction (surface spécifique en mètre carré par gramme), leur charge électrique de surface peuvent être très variables, ainsi que les molécules qui y sont adsorbées. De ce point de vue, il existe non pas un graphène, mais des graphènes.
Globalement, a rappelé E. Flahaut (4), on admet que « plus c’est petit plus ça transite », et que plus la surface spécifique est grande, plus les interactions biologiques sont importantes. Les publications sur la toxicité des nanoparticules carbonées mettent en évidence des perturbations multiples sur les organismes aquatiques tels que le xénope, un amphibien modèle très utilisé, ou la diatomée Nitzschia palea. Ces organismes se contaminent par ingestion ou par contact de leurs branchies avec les nanoparticules en suspension dans l’eau (5).
 
Cependant, ces résultats sont assez éloignés de la réalité environnementale car obtenus avec des doses de nanoparticules de plusieurs milligrammes par litre, plus de 1 000 fois supérieures à leurs concentrations potentielles prédites dans l’environnement.
Des prédictions de concentrations réalisées en particulier en Suisse par le groupe de Bernd Nowak pour des nanotubes de carbone, sur la base des quantités produites et des échanges entre milieux, parviennent à une concentration dans les eaux de surface de l’ordre de 0,6 nanogramme par litre actuellement. On peut néanmoins tabler sur son augmentation au fur et à mesure de la production industrielle.
Quelques points ressortent des études menées, résume E. Flahaut : plus le matériau est porteur de groupements oxygénés, plus il a d’impact. L’oxyde de graphène est ainsi plus toxique que le graphène pur ; il est notamment toxique pour l’ADN (génotoxicité) alors que le graphène ne l’est pas quelle que soit sa concentration. Cela tient sans doute à la plus grande réactivité chimique et à la plus facile dispersion dans l’eau des nanomatériaux oxydés.
Deuxième conclusion, fondée sur la comparaison des nanomatériaux carbonés : la surface spécifique est le meilleur paramètre d’étude de la toxicité tandis que la concentration (masse par litre) n’est guère pertinente. De ce point de vue, la grande surface spécifique des feuilles de graphène peut poser question, notamment quand il s’agit d’oxyde de graphène. Que fera-ton demain de ces études d’impacts ? Ne peut-on craindre qu’elles ne pèsent guère dans la balance face aux énormes potentialités du graphène illustrées au fil de ce forum ? Il faudrait sans doute commencer par multiplier les études d’impacts à des concentrations de nanomatériaux carbonés réalistes. Peut-on écoconcevoir du graphène et de l’oxyde de graphène « safe(r) by design » ? Les chercheurs et des groupes de travail en parlent, des articles scientifiques l’évoquent (6) , mais y a-t-il réellement des moyens financiers aptes à transformer ce slogan en réalité dans les différents domaines industriels concernés ?
 

Conclusion 

A moins d’être physicien, il était difficile d’entrer dans les arcanes quantiques du graphène pour comprendre l’origine de ses propriétés insolites. Cependant, tout le monde a pu en percevoir les énormes enjeux économiques tant les applications actuelles et potentielles du graphène sont variées. Par exemple, les supercondensateurs sont une mine énergétique étonnante. Resterait sur ce plan à comparer plus précisément les avantages du graphène par rapport à d’autres matériaux.
Au passage, nous avons pu constater une fois de plus comment la recherche fondamentale nourrit la recherche appliquée. Dans le concert international, si l’on en croit le « vaisseau amiral » européen, la France se distingue par l’engagement timide de ses entreprises. Est-ce le contexte des risques associés aux nanomatériaux qui pèse sur leurs stratégies ? Le forum n’a pas pu l’analyser mais on peut penser que d’autres facteurs plus structurels et culturels jouent ici.
Enfin, comme pour l’ensemble des nanomatériaux, l’analyse des risques liés à la fabrication et à l’emploi du graphène et de ses différentes formes semble s’organiser sans grands moyens, tandis que l’écoconception « safe(r) by design » a du mal à percer.
Dans une société qui se veut gestionnaire des risques, cette question transversale ne devrait-elle pas être intégrée à la base de tout projet ?
 
L’original de cet article a érté publié sur le site de NanoRESP – Avec nos remerciements aux auteurs.
 
(1) The Royal Swedish Academy of Sciences. « Scientific background on the Nobel Prize in physics 2010: Graphene », 5 octobre 2010. http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/physics/laureates/2010/advanced-physicsprize2010.pdf
(2) https://www.linksium.fr/projet/grapheal/ http://www.grapheal.fr
(6) Par exemple MVDZ Park et al., Considerations for Safe Innovation : The Case of Graphene, ACS Nano, 2017 Oct 24;11(10):9574-9593.
 
Pour aller plus loin
– Livre « La civilisation des nanoproduits » de Jean-Jacques Perrier – Edition Belin, septembre 2017
 

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