Dans les pays concernés, les trois quarts des pâturages et la moitié des surfaces cultivées sont ainsi menacés, provoquant inévitablement la détérioration des conditions de vie des populations et l’augmentation de la pauvreté.
On sait aujourd’hui que la dégradation des conditions climatiques accroît les risques de dégradation des terres, avec notamment un phénomène de désertification accru : les sécheresses prolongées, des modes d’exploitation des ressources naturelles inadaptés conduisent à leur surexploitation, exacerbent leur fragilité et provoquent des situations d’irréversibilité. Le sol devient incultivable, il n’y a plus de végétation, on ne peut plus vivre dans ces conditions.
Les deux derniers rapports du GIEC prévoient ainsi une recrudescence des sécheresses et des crues, une diminution de l’écoulement des grands fleuves et une progression de la désertification.
Un cercle vicieux
Les pays touchés, au Sahel notamment, tirent généralement leurs revenus de l’exploitation des ressources naturelles renouvelables. Si celles-ci viennent à diminuer, ils vont voir leur PIB chuter, la pauvreté de leur population augmenter et vont entrer dans des « trappes de pauvreté » : sans autres sources de revenus, les agriculteurs et les éleveurs vont augmenter les surfaces cultivées.
S’ils ne modifient pas leurs pratiques, cela conduira à la poursuite de la dégradation des terres et à la désertification, d’où une accentuation de la baisse des revenus, l’affaiblissement des liens sociaux, des migrations forcées.
S’ajoute à cela l’enjeu de la pression démographique : un tiers de la population mondiale vit déjà dans les régions sèches du globe et va donc se retrouver exposée au changement climatique et à la dégradation des sols. En Afrique, par exemple, il va falloir nourrir deux fois plus d’habitants dans les 20 ans qui viennent.
Si l’on ne parvient pas à augmenter suffisamment la productivité agricole pour nourrir ces populations à venir, les migrations au sein des pays (migrations rurales et vers les villes), les migrations régionales et les migrations Sud-Nord s’intensifieront.
Lutter contre la dégradation
Dans les pays touchés, les agriculteurs ont mis en place des méthodes ponctuelles de lutte qui permettent des adaptations réussies aux situations de sécheresse ; et parfois, avec l’appui des scientifiques, des méthodes plus intégrées comme les diguettes de pierres, les dispositifs d’aide à l’infiltration de l’eau, les plantations d’arbres, l’agro-écologie…
Mais il est également indispensable de pallier les carences des sols en nutriments (phosphore et azote). Les statistiques mondiales montrent que la consommation moyenne annuelle d’engrais à l’hectare est, en Afrique, de l’ordre de 10 kg alors qu’en Asie elle est d’environ 60 kg et de plus de 200 kg en Europe. On peut considérer que c’est trop en Europe, mais trop faible en Afrique… or il faut pallier les carences en nutriments si on veut doubler voire tripler les rendements avec des pratiques agroécologiques.
Des travaux de restauration physique et biologique donnent des résultats positifs en Afrique de l’Ouest, en Inde et en Chine. Des analyses ont montré que les investissements nécessaires à la réhabilitation des milieux, avec un apport minimal de fertilisants, se montent à environ 300 à 400 dollars par hectares et par ans pendant trois ou quatre années et qu’ils permettent un doublement des rendements et des taux de retour économique pouvant atteindre 20 % à 30 %. À l’occasion de ses vingt ans, le Comité scientifique français de la désertification (CFSD) a consacré un séminaire à ces questions et propose sur son site de nombreuses ressources à ce propos.
Des investissements agricoles insuffisants
Des études pour évaluer le coût global de la dégradation des sols donnent des estimations comprises entre 1 à 9 % du PIB agricole pour chaque pays concerné. Une évaluation mondiale, réalisée en 1992 et partiellement réévaluée, indique des pertes annuelles de 42 milliards de dollars par an ; ajusté aujourd’hui, cela donne un montant de plus de 80 milliards.
Mais depuis plus de trente ans, les investissements agricoles provenant de l’aide publique au développement (APD) sont en baisse. En Afrique ils se chiffraient en 1981 à 1,9 milliard de dollars, soit 22 % de l’APD ; en 2001, à 0,99 milliard de dollars soit seulement 6 % de l’APD.
Une étude de décembre 2006 montre que la contribution financière à la diminution de la dégradation serait ainsi inférieure aux coûts de la dégradation ; elle suggère que l’APD augmente sa contribution à la gestion durable des terres de 10 à 15 % pendant 10 ans, dégageant ainsi 10 à 12 milliards de dollars par an, ce qui serait suffisant pour renverser le processus de dégradation des terres et procurer des revenus aux plus pauvres.
Des pistes à explorer
Les agriculteurs et les éleveurs des pays touchés sont parmi les plus pauvres et ils ne peuvent investir. Il apparaît essentiel d’envisager d’autres sources, comme l’argent du retour des migrants par exemple, qui pourraient servir de caution à des prêts privés. On doit également garantir de bonnes conditions pour que ces investissements soient économiquement, socialement et environnementalement rentables : politiques publiques stables, garantissant l’accès aux ressources (terre, eau), stabilité des prix agricoles (intrants, récoltes), formation des agriculteurs et des éleveurs, existence de groupements professionnels et d’une société civile capable de dialoguer avec l’État.
Un autre impératif concerne les modalités de l’aide dont il faut veiller qu’elle parvienne bien aux agriculteurs. Enfin, il est important d’établir des priorités dans les investissements : restauration et réhabilitation des milieux dégradés, relèvement de la fertilité des sols ; adoption de systèmes de culture durables répondant au double objectif de production et de protection ; investissement dans le capital humain et le capital sociétal ; promotion de filières d’exportation ; promotion d’activités autres que les activités agricoles.
Tant que les États et l’aide publique au développement n’augmenteront pas leurs efforts financiers, les agriculteurs s’appauvriront et la désertification s’aggravera.
Marc Bied-Charreton, Professeur émérite, agro-économiste et géographe, membre du Comité scientifique français de la désertification (CFSD), Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines – Université Paris-Saclay et Robin Duponnois, Directeur de recherche, microbiologiste, président du Comité scientifique français de la désertification (CFSD), Institut de recherche pour le développement (IRD)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation, partenaire éditorial de UP’ Magazine.
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