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La guerre des métaux rares s’amplifie

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Pour fabriquer un smartphone, il faut extraire les métaux rares d’une tonne de terre environ. Téléphones portables, écrans plats, satellites, turbines d’éoliennes, voitures électriques : dans le monde des hautes technologies elles sont partout – pourtant, on les appelle les « terres rares » : des métaux aux propriétés bien particulières. Pour l’industrie du High Tech, la fête est terminée et les processus d’innovation doivent enfin intégrer le poids des ressources, un très gros coup de frein en perspective, car les métaux rares, indispensables à la haute technologie, sont au cœur de conflits géostratégiques.

Peu de matières premières ont un nom aussi trompeur que « les terres rares ». D’une part, car l’appellation de terres rares désigne en fait dix-sept métaux, dont quinze forment la série des lanthanes, plus le scandium et l’ytrium. L’ytrium justement, dont les propriétés, alors inédites, ont été découvertes par Johan Gadolin dans les années 1790. Il travaillait alors sur des matériaux issus d’un gisement minier suédois. Jusqu’à l’engouement pour la télévision couleur, les terres rares, en l’occurrence de l’europium et du terbium, étaient d’un emploi très marginal. Ainsi, l’adjectif « Rare » est, comme le mot qu’il qualifie, un faux ami hérité de son contexte historique : ce ne sont ni les réserves prouvées de terres rares ni leur répartition à la surface du globe qui pourraient faire craindre une pénurie. Si rareté il y a, c’est celle des pays producteurs : 97% de la production des terres rares se fait aujourd’hui en République populaire de Chine. Or, depuis la massification des postes de TV couleurs, les terres rares sont devenues indispensables aux filières de fabrication d’objets high-tech et de production d’énergie renouvelable – écrans à cristaux liquides, tablettes, ampoules basse consommation, batteries de voiture électrique ou hybride, comme la fameuse Toyota Prius. Bref, aux industries dites d’avenir.

Sans parler de leur utilisation stratégique dans les industries dites de défense, c’est-à-dire dans la production d’armes et d’objets militaires : missiles de croisières, munitions guidées, radars, équipements de visions nocturnes, satellites… Le quasi-monopole de la Chine sur l’exploitation des terres rares a donc transformé une question géologique, minière et industrielle en quasi-crise géopolitique.

La problématique de la compétition mondiale autour des matières premières stratégiques est aux dires des grands consultants l’une des clés du développement, tant économiquement que géopolitiquement parlant ce qui n’est pas sans poser quelques questions graves sur le plan de l’approvisionnement futur des grands groupes français et européens.

La Chine en situation d’oligopole

La Chine produit 85 % de ces éléments indispensables à la transition énergétique. Depuis mars 2018, quand Donald Trump décidait d’augmenter les droits de douane des importations chinoises, le monde assistait, incrédule, à une folle poussée de fièvre entre deux superpuissances, la Chine et les Etats-Unis. En toile de fond, le leadership mondial ; sur scène et dans la lumière, une partie de bras de fer comme les aimait l’ex-président américain, celles où l’on bombe le torse et profère haut et fort menaces et rodomontades. Côté cour de ce théâtre, des fantassins glorieux : Huawei, Google, Intel, Qualcomm. Côté jardin, une communauté internationale spectatrice impuissante et comme prise en otage.

Des métaux rares, extraordinairement difficiles à extraire de leurs gangues de roches. Ces métaux existent partout sur la planète mais leur extraction a un coût colossal et inacceptable : pollution et atteinte à la santé des travailleurs. Nos sociétés occidentales ont donc depuis des décennies abandonné l’extraction de ces précieux métaux. La Chine quasiment seule s’y est intéressée, moins regardante que nous sur les questions écologiques. Résultat, l’empire du Milieu détient jusqu’à 99 % du marché des métaux rares. Et peut y faire souffler la tempête. Quand la Chine le voudra, nous pourrions être privés, du jour au lendemain d’appareils électroniques.

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Scandium, Yttrium, Lanthane, Cérium, Praséodyme, Néodyme, Prométhium, Samarium, Europium, Gadolinium, Terbium, Dysprosium, Holmium, Erbium, Thulium, Ytterbium, Lutécium… Vous en voulez d’autres ? Voici Antimoine, Tungstène, Thorium, Silicium… Ces métaux rares forment un ensemble cohérent d’une trentaine de matières premières dont la caractéristique géologique est d’être associés, dans la nature, à des roches et métaux très abondants. Comme leur nom l’indique, ces métaux sont extraordinairement rares. Pour en extraire un gramme, il faut purifier des tonnes et des tonnes de roches. Si vous voulez obtenir un sachet d’un kilo de gallium, il vous faudra manipuler cinquante tonnes de rochers. Pour certains métaux comme le lutécium, c’est mille deux-cents tonnes de roches qu’il faudra purifier avant d’obtenir un kilo de matière précieuse.

Le nec plus ultra

Pourquoi aller chercher ces matières si rares et difficiles à extraire ? Parce qu’elles sont le nec plus ultra de ce que peut nous offrir les milliards d’années d’évolution de la Terre. Une infime dose de ces métaux peut ainsi, par exemple, émettre un champ magnétique sans commune mesure avec celui produit par du charbon ou du pétrole. Leur qualité est dès lors évidente : ils n’émettent quasiment pas de CO2 et séduisent donc toutes les industries dites « vertes ». Des métaux devenus centraux, non seulement à l’industrie électronique mais aussi à la transition écologique et énergétique.

Toutefois, dire ceci, c’est oublier ou feindre d’oublier que la production de ces métaux rares est des plus polluantes qui soit. Pour extraire les métaux rares de leur gangue de roche, il faut mettre en œuvre un processus de raffinage qui n’a rien de raffiné. Il faut broyer des tonnes de cailloux, employer une kyrielle de produits chimiques hautement agressifs comme les acides sulfuriques et nitriques. Un process long et répétitif avant d’obtenir un concentré pur à près de 100 %. Pour y parvenir, inutile de préciser que les répercussions sur l’environnement sont catastrophiques : rejets, empoisonnement des eaux, contamination des terres, etc. Ceux qui vivent à proximité de ces mines et industries d’extraction souffrent de pathologies sévères, de cancers, de fertilité, de malformations…

Nos contrées occidentales possèdent dans leurs sols des métaux rares. Parfois en abondance. En France, plusieurs mines existaient au siècle dernier. Comme ailleurs, elles ont fermé. La pression des organisations écologiques a conduit une à une à la fermeture de ces mines, partout en Europe et aux Etats-Unis.

« Pour faire du propre, il faut faire du sale »

Les conséquences écologiques de l’extraction des métaux rares jettent une ombre sur les technologies vertes et numériques dont nous sommes si fiers. Car loin d’être inoffensives, ces technologies contribuent, très en amont, à polluer les hommes et la planète. « Pour faire du propre, il faut faire du sale » écrit Guillaume Pitron dans son remarquable livre enquête, La guerre des métaux rares. Selon lui, la transition énergétique et numérique est une transition pour les riches. Elle dépollue les centres-villes en se délestant sur des zones plus miséreuses, lointaines et surtout éloignées de nos regards. C’est pourquoi l’Occident a préféré transférer la production des métaux rares – et leur pollution – ailleurs, loin, très loin.

La Chine est loin. Et elle n’est pas très regardante sur la pollution. Certes, elle est en train de changer et tend à devenir la première puissance verte, mais est-ce pour de bonnes raisons ? Toujours est-il que depuis quelques décennies, l’empire du Milieu s’est mis à extraire des terres et métaux rares. La Chine l’a fait si bien, mobilisant des moyens humains qu’elle seule est capable de mettre en œuvre, qu’elle est devenue rapidement la première puissance mondiale dans l’extraction de ces matières premières vitales. Elle en a les moyens car la seule mine de Baotou, située en Mongolie-Intérieure, recèle près de 40 % des réserves mondiales de terres rares.

Elle en a aussi la volonté. Sortie de décennies de marasme, la Chine a voulu, sous l’impulsion de Deng Xiaoping, prendre sa part du gâteau de la mondialisation. Elle met alors en œuvre, dès la fin des années 1970, une vaste politique de dumping social et environnemental pour générer des avantages compétitifs par rapport aux pays occidentaux.

Les résultats de cette politique, on les connait. La Chine est devenue l’usine du monde et fabrique, à petits prix, tous les produits de consommation dont l’Occident a besoin. Mais surtout, la Chine devient le premier producteur de minerais que le monde globalisé exige pour soutenir sa croissance économique.

Avec l’ère du numérique et de la transition énergétique, la Chine se retrouve assise sur un filon, qu’elle seule est en mesure d’exploiter. Avec les terres et métaux rares, elle détient aujourd’hui jusqu’à 99 % d’un marché que les puissances occidentales lui ont toutes abandonné.

Que font les Etats-Unis et l’Europe ?

Face à la suprématie de la Chine, les États-Unis ont lancé un vaste plan visant à assurer leur souveraineté. En mars 2021, ils ont relancé la production en rouvrant la mine de Mountain Pass en Californie, après avoir été abandonnée dans les années 2000 pour faillite. Quand le site tournera à plein régime, il devrait représenter 16 % de la production mondiale, permettant d’alimenter en métaux essentiels les moteurs des voitures électriques, l’industrie de l’armement ou la tech.

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Mountain Pass en Californie – Photo Reuters

L’Europe aussi est extrêmement dépendante des importations étrangères et principalement chinoises. Le continent se met donc à explorer son potentiel minier. Signe encourageant, la découverte d’importantes ressources de lithium au Portugal et de tungstène en France, en Ariège. Des ressources dont l’extraction posera d’immenses questions environnementales.

En septembre dernier, le vice-président Maroš Šefčovič et le commissaire Thierry Breton ont annoncé la création de l’Alliance européenne des matières premières dans le but de connecter les acteurs industriels, les États membres et la société civile afin de renforcer la résilience et l’autonomie stratégique des chaînes de valeur des terres rares et des aimants en Europe, notamment des métaux stratégiques essentiels à la transition énergétique comme le cobalt ou le lithium. Cette Alliance vise aussi à identifier les obstacles, opportunités et possibilités d’investissement à toutes les étapes de la chaîne de valeur des matières premières, de l’exploitation minière à la valorisation des déchets, tout en abordant en même temps la durabilité et les impacts sociaux.

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime qu’avec le développement des énergies renouvelables et de la voiture électrique, d’ici 2040, le monde consommera 40 fois plus de lithium, 20 fois plus de nickel et 7 fois plus de manganèse.

La transition énergétique, favorisée par les énergies renouvelables doit en théorie permettre aux États d’être « moins dépendants d’un cercle restreint de pourvoyeurs de ressources ». Dans les faits, l’accélération de la transition vers un système énergétique bas carbone s’accompagne de nouvelles vulnérabilités liées à la disponibilité de ressources dites « critiques » (1). Il resterait dans le monde, en l’état actuel des réserves, 18 ans de chrome, 20 ans d’étain, 30 ans de nickel, 33 ans de manganèse, 38 ans de cuivre, 60 ans de cobalt… L’offre n’étant pas extensible à l’infini, leur rareté interroge sur la dépendance à venir de certains pans de notre économie, et de notre pays en général, surtout depuis la crise des terres rares, en 2011, qui a réveillé cette conscience.

 (1) Etude « La transition énergétique face au défi des métaux critiques «  de Gilles Lepesant, directeur de recherche au CNRS, chercheur associé au CERI et à l’Asian Energy Studies Centre (Hong Kong Baptist University)

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julien.fumanti@***
3 années

Quid des roches dans l’espace !

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