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Le sable nous a filé entre les doigts. Bientôt il n’y en aura plus

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Pour la plupart d’entre nous, le sable fait penser aux vacances, aux plages où l’on aime tant rêvasser, aux châteaux fragiles de notre enfance. Mais l’on oublie que le sable, c’est ce qui fait le béton et le verre ; qu’il est la ressource principale des bâtiments, des maisons, des routes, des ponts… Le sable est partout, même dans les circuits de nos ordinateurs. Il est tellement omniprésent qu’on l’oublie. De fait, le sable est la ressource la plus extraite de la planète, bien plus que les énergies fossiles ou la biomasse. Alors, à force de se servir sans compter dans les réservoirs de la nature, de la piller sans retenue, il advient aujourd’hui l’impensable : le sable va venir à manquer !
 
Le tocsin d’alerte a déjà été sonné par l’ONU dans un rapport publié le 7 mai 2019 : la surexploitation du sable a des conséquences environnementales désastreuses. Une alerte qui vient dans le prolongement de nombreuses autres et notamment celle de chercheurs qui avaient publié une étude approfondie dans la revue Science. Leur conclusion est sans appel : la pénurie de sable commence à se faire sentir et devient « un problème émergent qui a des implications sociopolitiques, économiques et environnementales majeures ».
Le sable est la deuxième ressource naturelle mondiale la plus consommée par l’homme, après l’eau. Les consommations sont impressionnantes (200 tonnes pour une maison, 3000 tonnes pour un hôpital, 30.000 tonnes pour 1 kilomètre d’autoroute, 12.000.000 tonnes pour une centrale nucléaire) et frôlent les 50 milliards de tonnes par an. Partout où le béton est nécessaire, le sable l’est aussi.

Le secteur de la construction est responsable, à lui seul, de 50 % de l’exploitation mondiale des ressources non renouvelables. Le sable est donc au cœur des enjeux économiques actuels.
Mickael Welland, géologue, souligne même que « le sable est le héros invisible de notre époque car il est omniprésent dans notre vie » ; ce dont peu de gens sont conscients. Paradoxalement, les sables du désert, comme à Dubaï, sont impropres à la construction, nécessitant l’importation de sables d’Australie dans les UAE, grands consommateurs.

Entre 1900 et 2010, le volume global des ressources naturelles utilisées dans les bâtiments et les infrastructures de transport a été multiplié par 23. Le sable et le gravier constituent la plus grande partie de ces intrants primaires (79 % ou 28,6 gigatonnes par année en 2010) et constituent le groupe de matières premières le plus extrait au monde, dépassant les combustibles fossiles et la biomasse. Dans la plupart des régions, le sable est une ressource commune, c’est-à-dire une ressource accessible à tous. Une liberté qui s’explique par le fait que la limitation de l’accès au sable ne peut se faire qu’à un coût élevé. En raison de la difficulté de réguler leur consommation, les ressources en commun sont souvent sujettes à ce qui n’est rien d’autre qu’une véritable tragédie : les gens peuvent les extraire de façon égoïste, sans tenir compte des conséquences à long terme, ce qui peut mener à une surexploitation ou à une dégradation. Même lorsque l’exploitation du sable est réglementée, elle fait souvent l’objet d’une exploitation et d’un commerce illégaux, parfois entre les mains de la mafia.  

Le sable, héros invisible

Quand s’agrègent à ce constat la flambée des prix des matériaux qui est en train de toucher la filière du bâtiment, et l’explosion de la demande mondiale pour la fabrication des fioles de vaccin, force est de constater qu’il devient urgent d’entrer dans un nouveau paradigme.

Le sable sera la prochaine bataille mondiale car la ressource se raréfie, les prix flambent, la demande est exacerbée, générant des tensions extrêmes, attisant tous les appétits y compris ceux de la mafia. En Asie, le besoin est tel qu’il fait l’objet d’un trafic ahurissant.

La demande est d’ailleurs tellement forte que l’extraction illicite et le trafic de sable sont un problème mondial. Pour la mafia, donc, c’est un produit présent partout et facile à exploiter, jusque sur les sites touristiques. Cette surexploitation induit des conditions de travail souvent dangereuses, voire nombre d’assassinats pour contrôler les mines, les dépôts de sable à draguer en rivière ou dans les écosystèmes marins et les autres sites potentiels.
Le pillage du sable touche tous les continents et tous les pays. Le sable volé représente 40 à 45 % des côtes, rivières et autres lieux. C’est un désastre écologique sans précédent entraînant instabilité des berges des fleuves, érosion des terres agricoles, altération de l’hydrographie des cours d’eau et impactant la faune et la flore.

La surexploitation de la ressource, les barrages et la mauvaise gestion du littoral feront un cocktail explosif pour les plages de la planète. Ajoutée aux prévisions d’augmentation du niveau de la mer, c’est une catastrophe écologique annoncée s’il n’y a pas de prise de conscience urgente et de solutions techniques immédiates. Ces enjeux sont brillamment exposés par Denis Delestrac dans son documentaire «Sand wars », réalisé en 2013, qui est récemment nominé pour le prix du meilleur film environnemental de la décennie soutenu par Green Film Network.

Les travaux menés dans le cadre de la gouvernance du sable sont formels : cette crise impose de modifier la façon dont nous construisons les villes, en modifiant les filières, en adoptant des matériaux de construction moins nuisibles.
L’expansion urbaine rapide est le principal moteur de l’appropriation croissante du sable, car le sable est un ingrédient clé du béton, de l’asphalte, du verre et de l’électronique. Le développement urbain pèse donc de plus en plus sur le sable, dont la pénurie provoque des conflits dans le monde entier. À cela s’ajoutent d’autres contraintes sur le sable qui résultent des transformations de la lisière terre-mer dues à l’essor des populations côtières, de la rareté des terres et des menaces croissantes liées aux changements climatiques et à l’érosion côtière. Selon le rapport trademachines, en n’agissant pas, d’ici 2100, il n’y aura d’ailleurs plus de plages dans le monde. Nombre d’experts sont persuadés que « le seul moyen de l’éviter passe par une meilleure gouvernance de l’extraction et de l’utilisation du sable ».

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Dans un autre domaine, la fracturation hydraulique fait partie des multiples activités qui exigent l’utilisation de quantités croissantes de sable.

Une ressource non renouvelable

Dans le monde entier, c’est, selon ConsoGlobe, 15 milliards de tonnes de sable qui sont extraites chaque année. Presque deux tonnes par être humain vivant sur cette planète ! Quand on sait que pour construire un kilomètre d’autoroute il faut 30 000 tonnes de sable et que pour édifier une centrale nucléaire, il en faut 12 millions de tonnes, on imagine aisément que l’addition peut s’envoler.
Or, ce que l’on conçoit moins, c’est que le sable est une ressource non renouvelable. Pendant longtemps on a exploité des carrières de sable, mais elles sont vite devenues insuffisantes. On se tourna alors vers le sable des rivières. Partout dans le monde, le moindre cours d’eau devenait une source de sable. Les marchands de sable se souciaient peu des conséquences pour l’environnement. Pourtant elles s’avérèrent catastrophiques : crues et inondations se multiplièrent parce que le remblai naturel des plages des rivières avait été pillé.
 
 
Face à la pénurie, on chercha d’autres endroits où extraire du sable. Le fond de la mer en regorge. Les industriels du sable affrétèrent donc d’immenses navires spécialisés capables d’aspirer jusqu’à 400 000 m3 de sable par jour.  Peu importe si ces dragues engloutissent une matière qui a mis des centaines de milliers d’années à se former. Peu importe si elles perturbent jusqu’à détruire des milliards d’organismes vivants qui sont la base de la chaîne alimentaire de tous les animaux marins. En exploitant le sable sous-marin, on détruit des poissons et, in fine, on affame des hommes. En Indonésie, par exemple, ce sont les ressources de milliers de familles qui ont été sacrifiées sur l’autel du profit. En effet, pour s’étendre, Singapour se construit sur la mer et a des besoins voraces en sable. Il l’achète à l’Indonésie voisine, causant des conséquences irréversibles pour la région.
 
Ce pompage sous-marin du sable perturbe tout l’écosystème. En aspirant du sable à un endroit, la nature ayant horreur du vide, s’empresse de le combler en le charriant à partir de zones voisines. C’est ainsi que se forme le phénomène de l’érosion des plages. 90 % des plages du monde reculent, pas seulement à cause de la montée des eaux, mais surtout à cause de l’aspiration du sable. Les plus belles plages du monde disparaissent quand ce n’est pas des îles entières.

Demande titanesque

Ces « petits » soucis environnementaux ne pèsent guère face à l’appétit des marchands de sable et de leurs clients. Construire et encore construire. Toujours plus haut, toujours plus grand. Des cités entières naissent du sable, à Dubaï ou ailleurs. Le problème est que le sable du désert est impropre à la construction. Ses grains, polis par le vent sont ronds et n’offrent aucune aspérité. Il faut du sable de mer et de rivière. Alors au pays des déserts de sable, on importe du sable. Pour construire des îles artificielles plus délirantes les unes que les autres. Dubaï consommera 150 millions de tonnes de sable pour construire son archipel en forme de palmier et envisage d’en acheter 500 millions supplémentaires pour bâtir The World, ce chapelet d’îles artificielles où loger sa jet set. Le marché du sable brasse des milliards de dollars et se soucie peu de la planète.
 
 
Face à cette demande titanesque, la pénurie s’annonce et les prix s’envolent. Le sable attire ceux qui veulent vite se faire des fortunes et en premier lieu, les mafias du sable.
En Inde, les trafiquants du sable sont les plus nombreux. Ils sont considérés comme l’un des groupes criminels organisés les plus puissants et les plus violents. Ils exploitent 2 milliards de tonnes de sable, en toute illégalité. Au Maroc où la demande de construction explose, 40 % du sable est volé sur les plages.

La tragédie des bancs de sable

Alors comment prévenir ce que les auteurs de l’étude de Science annoncent comme une « tragédie des bancs de sable » ?
Certes, la couverture médiatique de cette question est en augmentation. Mais, d’une façon générale, l’ampleur du problème n’est pas encore bien appréciée. La question du sable et de sa durabilité est rarement abordée dans les forums de recherche scientifiques et politiques. La complexité du problème est sans doute un facteur d’explication. Le sable est une ressource commune, ouverte à tous, difficile à réguler ; nous ne savons que peu de choses sur les véritables coûts globaux de l’extraction et de la consommation du sable. Il n’en demeure pas moins que la demande ne va cesser d’augmenter à mesure que les zones urbaines continueront de croître et que le niveau de la mer augmentera.
 
Les grands accords internationaux tels que l’Agenda pour le développement durable de 2030 et la Convention sur la diversité biologique favorisent une allocation responsable des ressources naturelles, mais il n’existe pas de conventions internationales pour réglementer l’extraction, l’utilisation et le commerce du sable. Or, tant que les règles nationales seront appliquées à la légère, les effets néfastes continueront de se faire sentir.
 
Les auteurs de l’étude de Science pensent que la communauté internationale devrait élaborer une stratégie mondiale pour la gouvernance des sables, ainsi que des budgets mondiaux et régionaux pour les sables. Il est temps de traiter le sable comme une ressource, au même titre que l’air pur, la biodiversité et d’autres ressources naturelles que les nations cherchent à gérer pour l’avenir.

Une prise de conscience mondiale, certes, mais, aussi, nationale, à chaque strate, doit prévaloir. En étant sensibilisés aux enjeux, les utilisateurs et décideurs, pas uniquement politiques mais, d’abord, citoyens consommateurs, doivent pouvoir influer sur cette catastrophe annoncée. Imposer des matériaux recyclés sur les chantiers, limiter l’utilisation de ressources non renouvelables, privilégier les « circuits courts », doit devenir un réflexe acquis dans le monde de la construction de demain, qui verra les villes dans le monde passer de 4,5 à 5,2 milliards d’habitants.

De nouvelles solutions audacieuses et innovantes

Comment franchir aujourd’hui une nouvelle étape pour que le futur de l’industrie de la construction soit plus vertueux et tourné vers le développement durable et l’écoresponsabilité ? L’exemple de l’entreprise familiale MS apporte une réflexion de fond autour de l’exploitation de déblais issus de chantiers du BTP, dans une optique de transformation en sable à forte valeur ajoutée afin de minimiser les prélèvements en milieu naturel. Réemployer les déblais sur l’enceinte d’un chantier, exploiter les « stériles », recycler les déchets du BTP, … autant de savoir-faire nécessitant une haute technologie industrielle. Laver et calibrer les sables en supprimant les impuretés pour atteindre une granulométrie régulière et adaptée, était un postulat concrétisé, entre autres, dans le cadre du Viaduc de Millau pour lequel MS a déposé un brevet pour la correction granulométrique en ligne. Mais le faire en y adjoignant les notions de recyclage de matériaux aléatoires, de diminution de la ressource en eau et de circuit court en installant des usines temporaires de proximité (30 à 40 kms) pour minimiser les déplacements, nécessitait une nouvelle logistique. La production d’un sable de grande qualité contribuant à des constructions plus vertueuses, pourrait ainsi être réalisée tout en préservant les ressources (plages, rivières, …). Une manière d’associer le meilleur de la technologie au service de l’économie circulaire. Avec loyauté, dans une relation vraie et inspirée, avec pour mission de contribuer à des constructions durables toujours créatrices de valeur.

Du déchet vers sa revalorisation, pour une économie circulaire

Actuellement, les stériles de carrières et les déblais issus des chantiers du BTP, de construction ou de démolition, sont pour la plupart considérés comme des déchets. Au sein de l’Union Européenne, les déchets générés par ce secteur d’activité représentent la plus grande filière de résidus. Or, ces déblais sont partiellement constitués par du sable, présent dans les bétons.

Installation pour traiter la boue de forage et les déblais à Paris – chantier Eole pour le RER E ©MS

Si l’Unicem parle d’un taux de recyclage de 80% pour les matériaux inertes, il s’agit, dans la majorité des cas, de remblais et, donc, de faible valeur ajoutée. Le projet national Recybéton est clair : « Au lieu d’utiliser les granulats de bétons recyclés principalement sur des opérations à faible valeur ajoutée (remblais, plates-formes routières…), nous pouvons désormais les valoriser par le haut dans le cadre élargi d’une économie plus circulaire. »
« Nous sommes aujourd’hui en mesure de donner toutes les clés pour mettre en œuvre le recyclage du béton avec la possibilité concrète de réduire, à terme, de 20 à 30 %, notre consommation de granulats naturels. » On peut donc agir en faisant plus et mieux avec moins, ou quand innovation rime avec frugalité et durabilité.

A titre d’exemple, de nombreuses tonnes de sable extraites lors des travaux de construction du Grand Paris Express (initiés en 2016 et comportant 200 km de lignes, 68 nouvelles gares de métro, 7 centres techniques…) peuvent servir sur ce gigantesque chantier à la production de sables recyclés susceptibles d’être exploités dans de nouvelles constructions. Il en sera de même pour le futur métro de Toulouse ou, encore, le canal Seine Nord dont les travaux vont bientôt démarrer…

De même, les remblais issus de la déconstruction d’autoroutes, d’immeubles, de ports, ou de toute autre construction dans laquelle a été employé du béton sont susceptibles d’être valorisés, après transformation, dans un cycle vertueux.

 
 
Image d’en-tête : Elizaveta Galickaia/Shutterstock

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