Les 28 et 29 février prochains, le Centre des Politiques de la Terre et l’Institut des Études Avancées de Paris (IEA) organisent deux jours d’ateliers de recherches et de conférences pour revendiquer le rôle central des mobilisations sociales, de l’environnementalisme ordinaire et des politiques urbaines dans notre compréhension de la justice climatique – à la fois en tant que cadre théorique et en tant qu’ambition politique.
Au cours des 15 dernières années, la justice climatique a émergé de puissants mouvements de justice environnementale et a revendiqué un rôle crucial dans les politiques climatiques mondiales. En parallèle, elle est devenue un domaine universitaire prolifique avec de nombreuses contributions théoriques importantes nourrissant autant ses fondements que ses implications politiques, ainsi qu’un large éventail d’études de cas empiriques à différentes échelles. Cette littérature académique est souvent basée sur le modèle influent des dimensions de la justice (Scholsberg, 2007 ; 2012) qui comprennent : la justice distributive – Comment les dommages et les risques du changement climatique sont-ils répartis entre les différents groupes sociaux, régions, nations, etc. ? ; la justice procédurale – Qui est autorisé à participer de manière significative à la prise de décision et à l’élaboration de la politique sur le changement climatique ? ; Dans quelle mesure les mécanismes institutionnels permettant une telle participation sont-ils inclusifs et équitables ? ; la reconnaissance – Quels sont les groupes sociaux qui ont une voix, acquis du respect et du pouvoir par rapport aux décisions politiques affectant le changement climatique ?
Parallèlement à ces dimensions, la littérature aborde également les inégales responsabilités face au changement climatique, en y incluant les héritages historiques et coloniaux de l’extraction et des émissions de CO2 – tels qu’incarnés dans la notion de dommages et de pertes et les appels croissants en faveur de réparations climatiques. D’autres, comme Nussbaum (2011), ont également appliqué le cadre des capabilités (Sen, 2010) afin de s’assurer que les individus, et plus largement les êtres vivants, soient capables de mener une « bonne vie » face au changement climatique. Plus récemment, la notion de justice du système Terre a aussi été proposée comme un moyen d’entremêler les sciences naturelles et sociales afin de répondre aux besoins sociaux de l’ensemble de l’humanité tout en respectant les limites planétaires (Gupta et al., 2023).
Tout en reconnaissant l’importance de ces différentes approches (ainsi que le potentiel de leur intégration dans un référentiel d’ensemble) notre workshop cherche à aborder un élément important, trop souvent absent des comptes rendus théoriques sur la justice climatique, et suggère un recadrage des questions de justice climatique autour de trois axes :
De quelles manières les expériences et les émotions des personnes, des communautés et des mouvements sociaux façonnent-elles leurs revendications à propos du changement climatique ? De quelles façons le changement climatique affecte-t-il leur vie, leurs moyens de subsistance et leurs habitats de manière négative, nuisible et blessante ?
De quelles manières les modes de vie (ou/et d’habitation dans des lieux spécifiques) contribuent-ils à la compréhension des questions écologiques c’est-à-dire ce dont il faut prendre soin pour participer à la reproduction de la vie ?
De quelles manières le manque de reconnaissance des capacités des personnes issues des classes populaires à agir sur les questions écologiques constitue-t-il un défi majeur pour la justice environnementale et climatique ?
Il s’agit d’explorer comment une telle approche peut éclairer la compréhension intuitive des injustices associées au changement climatique, qui soit plus globale et transversale, qui traverse de multiples domaines de la vie quotidienne et de multiples échelles des phénomènes humains, sociaux et environnementaux.
L’objectif est de mieux comprendre comment le fait d’habiter des lieux spécifiques contribue à des revendications pour la justice. Il peut s’agir d’expériences corporelles et physiques de privation, de l’aspiration au confort et à la beauté dans l’environnement immédiat, du sentiment de valeur et de sécurité (ou d’absence de sécurité) des différents quartiers et communautés, de l’évolution de la perception de la justice et de l’équité dans la ville, de la préoccupation directe pour l’interface entre les écosystèmes urbains et naturels, de la compréhension de l’écologie en tant qu’élément fondamental de l’expérience humaine et d’un sentiment de souffrance pour les autres êtres vivants et les espèces dans leur diversité.
Cet éventail d’affects et d’expériences peut être considéré comme une source énergisante des pratiques quotidiennes de l’environnementalisme, des mobilisations sociales et des politiques urbaines, alimentant les formes plus reconnues de la politique climatique aux niveaux national et international.
Cela amène à l’autre aspect de l’argument qui sera exploré dans ce workshop et qui est directement lié aux politiques environnementales. En effet, la politique de lutte contre le changement climatique doit s’adapter davantage aux expériences et aux perceptions « ordinaires » et prendre en compte les mobilisations sociales afin d’être non seulement plus inclusive, mais aussi plus fructueuse. Elle doit également dialoguer avec les mouvements de résistance qui entravent sa mise en œuvre (comme les manifestations des Gilets Jaunes en France). In fine, cela signifie que nous devons également combattre l’idée selon laquelle les personnes issues des classes populaires ou des quartiers et régions stigmatisés ne se soucieraient pas du changement climatique ou de ses effets sur leur vie (par exemple, ce qu’elles font n’est pas considéré comme « écologique » par les classes dominantes).
En résumé, l’objectif de ce workshop est d’explorer de nouvelles approches qui comprennent la justice climatique non pas (principalement) comme un cadre théorique, ou un mouvement politique formel, mais comme une gamme d’expériences, d’émotions et d’affects incarnés, ancrés localement, façonnés par ou dirigés vers le climat dans son sens le plus large. Celles-ci, à leur tour, donnent lieu à une série de mobilisations sociales et à de nouvelles formes de politiques urbaines et environnementales, qui doivent être reconnues par les décideurs politiques. De cette manière, la justice climatique pourra alors être récupérée en tant que modalité principale pour des pratiques plus écologiques et démocratiques.
Inscriptions en présentiel ou en visio