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Caméléon, le camouflage high-tech de l’Armée

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Camouflage ne veut pas dire invisibilité et c’est pourtant ce à quoi les militaires de tous temps aspirent pour mieux surprendre l’ennemi … En s’inspirant de l’animal au célèbre camouflage, le caméléon, les chercheurs de l’industriel de l’armement Nexter développent une peau hautement technique capable de reproduire les couleurs et textures environnantes, en temps réel, pour échapper à l’œil des technologies de plus en plus invasives. Ce projet à la pointe des technologies de furtivité dont le principe de « peau active », composée de macro-pixels qui changent automatiquement de couleur en fonction de leur environnement, a été breveté par la DGA.
 
De Harry Potter à J’onn J’onzz, on ne compte plus les personnages de fiction qui ont entretenu le rêve de l’invisibilité. Or, dans le secret de leurs laboratoires, il se trouve que des chercheurs travaillent réellement à cette quête … En attendant, aujourd’hui, la question se pose de savoir comment rendre les véhicules militaires plus discrets sur les terrains d’opération. C’est tout l’objectif du projet Caméléon de la direction générale de l’armement (DGA), associant le groupe Nexter et IMT Atlantique dans le cadre du Carnot Télécom & Société numérique (1).

 
Tous les 14 juillet, le défilé des Champs Élysées donne à voir les véhicules militaires français aux couleurs forestières. Nappés de taches noires, vertes et marron, ils sont ainsi équipés d’un camouflage adapté aux paysages arborés d’Europe. Moins fréquemment affichés à la télévision sont les camouflages spécifiques d’autres régions du monde. Aussi les chars Leclerc peuvent-ils également s’habiller de couleurs ocres pour les zones désertiques, ou grises pour les opérations en milieu urbain. Cependant, malgré cette palette de camouflages disponibles, les véhicules militaires ne sont pas toujours bien discrets.
Dans un livre paru en 2014, Ni vu ni connu, l’historienne du MIT Hanna Rose Shell traçait une généalogie culturelle du camouflage, dont les développements sont étroitement liés à l’apparition de la photographie aérienne pendant la Première Guerre mondiale, lorsque le combat prend de la hauteur et que se dérober aux regards adverses devient une question de vie ou de mort. Elle y décrivait cette course-poursuite entre la sophistication grandissante de la reconnaissance aérienne et les techniques vouées à la contrer. Un article de Libération explique qu’aujourd’hui rien n’a changé si ce n’est que, plus que jamais avec l’arrivée des drones, la prolifération des caméras de surveillance, la biométrie, les systèmes de reconnaissance faciale et la traçabilité généralisée, les soldats cherchent encore davantage à passer inaperçus.
Surtout que les environnements des zones de guerre diffèrent d’un point à l’autre de la Terre où les couleurs passe-partout des véhicules manquent souvent d’efficacité avec leur camouflage traditionnel qui est incapable de s’adapter aux environnements variables que nécessite la guerre moderne, par exemple en passant d’un terrain rural à un milieu urbain.

« Au sein d’une même zone géographique, il peut y avoir des variations de terrain importantes qui rendent l’efficacité du camouflage variable » pointe Éric Petitpas, responsable des nouvelles technologies de protection spécialisée dans les systèmes de défense terrestres au sein du groupe Nexter.
Adapter les couleurs en fonction de la mission du jour n’est pas envisageable. Chaque changement de peinture demande en effet une immobilisation du véhicule de plusieurs jours. « C’est un handicap pour avoir une bonne réactivité lorsque l’on veut envoyer les véhicules en opération extérieure » souligne Éric Petitpas.
 
Pour pallier ce manque de flexibilité, Nexter s’est associé avec plusieurs sociétés spécialisées et laboratoires, dont IMT Atlantique, pour participer au développement d’un camouflage dynamique. L’objectif est de pouvoir équiper les véhicules d’une technologie capable de s’adapter en temps réel à l’environnement.
Baptisé Caméléon, ce projet initié par la direction générale de l’armement (DGA) « est un véritable défi scientifique » témoigne Laurent Dupont, chercheur en optique à IMT Atlantique (composante du Carnot Télécom & Société numérique). Pour les scientifiques, le challenge réside d’abord dans la compréhension du problème. La furtivité repose sur la perception par l’ennemi. Elle dépend donc d’aspects techniques (contrastes, couleurs, luminosité, bande spectrale, texture, etc.). « Il nous faut associer plusieurs disciplines, de l’informatique à la colorimétrie, pour comprendre ce qui rendra un camouflage dynamique efficace ou non » poursuit le chercheur.
 

Tuiles furtives

L’approche adoptée par les scientifiques repose sur l’utilisation de tuiles fixées sur les véhicules. Une caméra capture l’environnement, et un algorithme d’analyse d’image identifie les couleurs et les textures représentatives de l’environnement. Un motif et une palette de couleurs adaptés sont alors affichés sur les tuiles qui enveloppent le véhicule afin de reproduire les couleurs et la texture de l’environnement. Dans le cas où le véhicule se situe dans un environnement urbain par exemple, « les tuiles afficheront des couleurs grises, beiges, roses, bleues…avec des textures verticales qui simuleront les bâtiments au loin » illustre Éric Petitpas.
 
Pour adapter la couleur des tuiles, les chercheurs utilisent une technologie de réflectivité spectrale sélective. Contrairement à ce que l’on pourrait s’imaginer, ce n’est pas une image qui est projetée sur la tuile comme s’il s’agissait d’un écran télé. « Les variations de couleur sont basées sur la réflexion de la lumière extérieure, en sélectionnant certaines longueurs d’onde comme on choisirait les couleurs de l’arc-en-ciel à afficher » explique Éric Petitpas. « Nous pouvons choisir sélectivement  quelles couleurs la tuile va réfléchir, et quelles couleurs seront absorbées » précise Laurent Dupont. La combinaison des couleurs réfléchies à un endroit de la tuile donne la couleur perçue par un observateur. Cela lui confère un camouflage hors du commun, capable de tromper à la fois une vision « normale » et une vision thermique.
 
Un prototype du nouveau camouflage « Caméléon » a été présenté lors du 1er Forum Innovation Défense 2018
 
Une démonstration de cette technologie a été réalisée lors du Forum Innovation Défense 2018, le premier salon consacré aux nouvelles technologies pour la défense. Un petit robot de 50 centimètres de long a été présenté, couvert d’une peau en tuiles Caméléon. Le consortium veut désormais passer sur un prototype à l’échelle 1. Outre la montée en maturité, la technologie doit aussi s’adapter à tous les types de véhicules. « Pour l’instant nous effectuons nos développements sur un véhicule à échelle réduite, puis nous passerons à un prototype de 3 m², avant de passer à un véhicule à taille réelle » confie Éric Petitpas. La technologie de camouflage pourrait ainsi être rapidement adaptée à d’autres entités — comme des fantassins, par exemple et, à terme, le système pourrait être décliné sous forme de kits pour les différents types de blindés, ou de bâches. L’entreprise prévoit de développer un système de grande taille dans deux ou trois ans.
 
De nouvelles questions apparaissent à mesure que les prototypes technologiques font leurs preuves, ouvrant de nouvelles perspectives pour approfondir le partenariat entre Nexter et IMT Atlantique amorcée depuis 2012. Caméléon est en effet le deuxième programme d’études amont de la DGA auquel participe IMT Atlantique. Sur l’aspect technique, les chercheurs doivent à présent assurer le passage à l’échelle pour des tuiles capables d’équiper des véhicules de taille réelle. Une ligne pilote de fabrication de ces tuiles, portée par Nexter et la PME brestoise E3S, a été lancée pour répondre aux objectifs du programme. Et l’aspect économique n’est pas à oublier non plus. Un habillage en tuiles sera inévitablement plus coûteux qu’une peinture. Toutefois, la capacité d’adapter le camouflage à tout type d’environnement est un avantage opérationnel important sans immobiliser le véhicule pour le repeindre. Autant de nouveaux défis à relever avant de voir des véhicules furtifs sur le terrain… ou plutôt de ne plus les voir.
 
Hanna Rose Shell avait donc raison lorsqu’elle préconisait que cette impulsion caméléonesque, ce désir utopique d’évanescence visuelle, continuerait de motiver la recherche militaire, avec en ligne de mire des revêtements mi-peau mi-écran sur lesquels projeter l’environnement visuel…

Source : I’MTech, Février 2019
 
 
(1) Le Carnot Télécom & Société numérique (TSN) est le partenaire recherche des entreprises pour développer les innovations numériques depuis 2006. En s’appuyant sur plus de 1 700 chercheurs et 50 plateformes technologiques, il propose une recherche de pointe pour répondre aux problématiques technologiques complexes induites par les transformations numérique, énergétique-écologique et industrielle du tissu productif français. Ses thématiques sont : l’industrie du futur, les réseaux et objets communicants, la ville durable, les mobilités, la santé et la sécurité.
Les composantes du Carnot TSN sont Télécom ParisTech, IMT Atlantique, Télécom SudParis, Institut Mines-Télécom Business School, Eurecom, Télécom Physique Strasbourg, Télécom Saint-Étienne, École Polytechnique (laboratoires Lix et CMAP), Strate École de Design, Femto Engineering.

Pour aller plus loin :
 
– Cécile Coutin, Tromper l’ennemi, éditions Pierre de Taillac, 2015
– Xavier Boissel, Paris est un leurre, éditions Inculte, 2017
– Thomas Seignon, Peintures de guerre, éditions du Barbotin, 2013
 

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