Appauvrissement des sols, standardisation des cultures, aliments ultra-transformés : l’agriculture intensive et l’agro-industrie fragilisent la biodiversité et, par ricochet, notre santé. En réduisant la diversité biologique, elles entretiennent un recours massif aux intrants chimiques et favorisent une alimentation pauvre en nutriments, qui contribue à l’effondrement de notre microbiote intestinal et à la progression des maladies chroniques. Restaurer la biodiversité, du champ à l’assiette, apparaît aujourd’hui comme un levier majeur pour réconcilier qualité environnementale et qualité nutritionnelle.
La perte de biodiversité dans les sols, dans les plantes et les paysages, génère un besoin élevé en engrais et pesticides de synthèse souvent nocifs pour l’environnement et notre santé. Elle est aussi associée à une faible diversité de productions agricoles et réduit la densité nutritionnelle des produits. Ces problèmes interreliés sont en outre entretenus ou amplifiés par l’agro-industrie dont certains procédés physicochimiques réduisent encore la valeur santé de nombreux aliments. Il en résulte une offre alimentaire favorisant la « malbouffe », réduisant la diversité de notre microbiote intestinal et augmentant ainsi le risque de maladies chroniques.
Restaurer la biodiversité dans les sols, les plantes et les paysages, constitue la première étape pour rétablir l’équilibre de notre microbiote intestinal. La deuxième consiste à améliorer la transformation des matières premières en éliminant les procédés industriels les plus nocifs, et à privilégier des choix alimentaires favorables à la santé. Mais les politiques publiques, loin d’inverser les travers des pratiques actuelles, souvent les soutiennent.

L’agriculture spécialisée intensive entraine une baisse de la biodiversité, dégradant la qualité de l’offre alimentaire et l’environnement, tout en perpétuant le modèle agricole sous-jacent
La spécialisation des régions et des exploitations agricoles, avec un nombre limité de productions végétales ou animales, associée à la simplification des paysages (grandes
parcelles, peu de haies) a permis d’atteindre de hauts rendements agricoles mais nécessite des quantités importantes d’intrants de synthèse. La biomasse produite sert avant tout à l’alimentation des animaux d’élevage (près de 3/4 des surfaces) ainsi qu’aux exportations (de céréales principalement), et à la production d’agrocarburants.
Mais ce mode de production, minier car dépendant des énergies fossiles et réduisant la matière organique des sols, génère d’importants impacts environnementaux locaux (pollutions de l’eau et de l’air) et globaux (dérèglement climatique). Par ailleurs, le développement important d’élevages spécialisés, sans lien au sol (beaucoup de terres arables utilisées pour les ruminants en sus des prairies), ou en trop forte densité (trop de déjections par rapport aux possibilités d’épandage), associé à une consommation importante de viandes et de produits laitiers, génère la majeure partie des impacts environnementaux de l’agriculture.
Ces pratiques conduisent à un appauvrissement de la diversité biologique dans les sols, les plantes et les paysages, et par cascade à des inconvénients majeurs pour la santé de l’environnement et la nôtre :
– Perturbations des cycles de l’eau (moins d’eau retenue dans le sol et restituée aux cultures), de l’azote (plus d’émissions de nitrates dans l’eau et d’ammoniac dans l’air),
et du carbone (plus d’émissions de gaz à effet de serre et moins de carbone séquestré dans les sols) ;
– Pollution durable des sols et de l’eau par des résidus de pesticides et des métaux lourds (cadmium des engrais phosphatés) ;
– Réduction de la densité nutritionnelle des produits agricoles et résidus de pesticides dans les aliments.
En outre, cette faible diversité biologique entretient un besoin élevé en intrants de synthèse du fait de la perte de régulations biologiques dans le sol, entre plantes cultivées, et entre cultures et infrastructures écologiques (haies…). De plus, les pratiques intensives et les états de sol induits génèrent des plantes et des animaux anormalement chargés en radicaux libres oxygénés, ce qui fragilise leur métabolisme. Le maintien de leur apparente bonne santé repose alors sur l’usage intensif de pesticides et de médicaments.
La malbouffe provoque un effondrement de la biodiversité dans notre intestin, augmentant le risque de maladies chroniques
Les maladies chroniques (diabète, cancers, maladies cardiovasculaires et neuro-dégénératives, certaines dépressions…) sont en augmentation. Sans avoir une cause unique, elles ont majoritairement une origine inflammatoire et résultent de l’appauvrissement de notre microbiote intestinal c.-à-d. d’une dysbiose qui s’accroît au fil des générations. La malbouffe, caractéristique du régime alimentaire occidental, contribue à appauvrir notre microbiote intestinal et ses fonctionnalités. Ce régime se caractérise par un manque de fibres que l’on trouve dans les céréales complètes, fruits, légumes et légumineuses, d’antioxydants contenus surtout dans la diversité des fruits et légumes, et d’omega-3 que l’on trouve dans les poissons gras mais aussi tous les produits animaux ayant une alimentation adaptée. Il correspond aussi à un excès de consommation d’aliments ultra-transformés, trop riches en acides gras saturés, sucres rapides et sel, et contenant certains additifs nocifs, et à une exposition trop importante à des contaminants, notamment les résidus de pesticides. En outre, la pollution de l’eau et de l’air, qu’elle provienne de l’agriculture, de l’industrie ou d’autres secteurs d’activités, concourt aussi à ces effets.
Actuellement, 20% des Français sont atteints de maladies chroniques, et 40% des personnes en bonne santé auraient un microbiote intestinal appauvri (pré-dysbiose) sans pour autant être malade. Cette pré-dysbiose peut conduire un basculement brutal en dysbiose suite à des changements des conditions de vie (alimentation, virus,
stress…). Dès lors, adopter une hygiène de vie permettant d’augmenter la diversité du microbiote, notamment par une alimentation saine à tous les âges, et tout particulièrement pour les 1000 premiers jours, est maintenant un enjeu de santé publique.
La diversité de l’offre en aliments sains et durables diminue du fait des logiques économiques de l’agro-industrie et de la distribution
L’agro-industrie est le principal acheteur des matières premières agricoles qu’elle transforme. Alors qu’une transformation minimale pour conserver les produits ou en améliorer la valeur santé est pertinente, l’ultra-transformation est critiquable car les produits sont souvent nocifs pour la santé, notamment via l’affaiblissement de la diversité de notre microbiote intestinal.
Elle conduit à d’importants changements physiques, chimiques ou biologiques via des procédés industriels (fractionnement des aliments, cuisson-extrusion, soufflage, fritures industrielles, etc.), ainsi qu’à l’ajout d’additifs ou d’ingrédients cosmétiques (huiles hydrogénées, émulsifiants, maltodextrine, sirop de glucose, amidons modifiés…) pour modifier la texture, le goût ou encore la couleur ou l’arôme des aliments.
Par ailleurs, l’agro-industrie, de par sa logique économique de réduction des coûts via des économies d’échelle, tend à soutenir une agriculture spécialisée intensive. Elle est peu ouverte aux pratiques agricoles comme la diversification des cultures, les mélanges de cultures ou de variétés qui conduisent à une diversité de produits ne répondant pas aux petits nombres de standard imposés par les grandes chaines de distribution.
Bien que la distribution en grande surface ( 75% du marché ) offre une gamme considérable de produits alimentaires, la plus grande partie de l’offre industrielle (70%) correspond à des aliments ultra-transformés. En outre, ces produits plus promotionnés que les autres, orientent fortement le choix des consommateurs.
Au final, l’agriculture dominante et les canaux majoritaires de transformation et de distribution des aliments, aboutissent à n’offrir aux consommateurs qu’une faible diversité d’aliments sains et durables.
Restaurer la biodiversité dans les agroécosystèmes comme dans nos intestins exige des changements transformateurs du champ à l’assiette
Les coûts cachés du système alimentaire générés par les systèmes dominants de production agricole et transformation alimentaire sont estimés à 170Mds d’euros, selon la FAO. Inverser les tendances délétères pour notre santé et pour l’environnement suppose d’agir du champ à l’assiette, et de mettre la biodiversité au cœur de ces changements.
En agriculture, accroître la biodiversité dans les agroécosystèmes est incontournable pour réduire les impacts environnementaux de l’agriculture tout en améliorant la viabilité économique des exploitations, et pour fournir une grande diversité de productions agricoles riches en micro-nutriments et pauvres en contaminants.
Pour les productions végétales, il s’agit d’augmenter la diversité des espèces cultivées et des espèces non cultivés (haies, bandes fleuries et enherbées, prairies de longue durée etc.) en combinaison à des pratiques restaurant la santé du sol comme le non labour et la restitution de résidus organiques. Le développement de la biodiversité dans les sols et les paysages, c.-à-d. de l’agroécologie ou d’agriculture régénératrice, permet de remplacer tout ou partie des intrants de synthèse.
Pour l’élevage, des changements plus radicaux sont à opérer. Il s’agit de réorienter les élevages en donnant une plus grande place aux prairies pour alimenter les ruminants, essentiellement les vaches, et de fournir une alimentation plus diversifiée aux porcs et aux volailles de façon à augmenter la valeur santé des produits. Il s’agit aussi de réviser profondément l’utilisation des terres. Allouer moins de terres arables à l’élevage dont la production doit être ajustée aux recommandations pour une alimentation saine et durable, sans pour autant importer des produits animaux, permettrait de libérer des terres et de les utiliser pour ce dont nous manquons cruellement : des légumineuses, fruits et légumes.
Accroître la diversité de notre microbiote intestinal nécessite une alimentation comprenant moins d’aliments ultra-transformés, plus végétalisée, bien plus variée et issue d’une agriculture agroécologique. A cette fin, les chaines de valeur doivent être profondément révisées, en particulier celles qui reposent sur des changements du champ à l’assiette. Il importe de soutenir des Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) ambitieux qui peuvent jouer un rôle essentiel pour le bien manger en restauration collective, et favoriser des modes de production agroécologiques et de la petite transformation, notamment pour les fruits et légumes. Pour les filières longues, des coalitions entre acteurs de l’agro-industrie, voire de la santé comme dans l’association Bleu Blanc Cœur, peuvent soutenir une diversification des cultures et une alimentation saine et durable si le nécessaire est fait pour sortir de l’ultra-transformation. Les initiatives pour une sécurité sociale de l’alimentation vont aussi dans le même sens.
Quelles politiques publiques pour rompre avec le statu quo ?
Une première mesure est de fortement réduire les soutiens publics au système alimentaire dominant dont nous avons rappelé les externalités négatives pour l’environnement et la santé, via des exonérations fiscales et de cotisations sociales, des subventions aux collectivités territoriales ainsi que des aides de l’Europe, le tout estimé à 48Mds d’euros !
En contrepartie, un deuxième ensemble de mesures consisterait à soutenir des mesures à impacts positifs. Si de nombreux succès sont observés à une échelle locale tant en agriculture qu’en alimentation, cela change très peu la donne au niveau national. Un objectif des politiques publiques serait déjà de les visibiliser et de les coordonner. En effet, de nombreuses initiatives éparses portent sur l’agriculture ou l’alimentation mais sans prise en compte de la nécessaire cohérence des changements à opérer du champ à l’assiette. Enfin, les grandes entreprises agroalimentaires et de la distribution, par lesquelles transite l’essentiel des productions agricoles et des produits alimentaires, devraient être fortement incitées à contribuer aux nécessaires transformations du système alimentaire.
Les politiques publiques devraient fixer des feuilles de route pour : (i) la valeur santé des produits, au champ et dans l’assiette, et des promotions associées ; (ii) le partage de la valeur avec les agriculteurs, notamment pour les productions dont notre alimentation est très déficitaire ; (iii) la réorientation de l’agriculture tant pour les pratiques que pour l’utilisation des terres.
En amont de l’établissement de normes et de scores, et de la création éventuelle de taxes, des alliances public-privé dans les territoires seraient à développer pour créer des synergies entre activités ou financements. A cette fin, il importerait d’écrire un récit fédérateur, montrant comment un objet le plus souvent abstrait et peu visible voire invisible, la biodiversité, est un maillon incontournable à restaurer pour notre santé, via la qualité et la santé tant de notre agriculture que de celle de l’environnement.
Michel Duru, Anthony Fardet, Olivier Therond (chercheurs à Inrae)
et Jean-Pierre Sarthou (Enseignant à Ensat)







