Les nanotechnologies recouvrent l’ensemble des techniques, outils et procédés qui permettent de manipuler la matière à une échelle en dessous de la centaine de nanomètres (1 nanomètre = 1 milliardième de mètre), d’élaborer de nouveaux matériaux et composants toujours plus petits, de construire atome par atome de nouvelles molécules et d’exploiter leurs propriétés en vue de nouvelles applications. Comme tout objet physique, nous sommes constitués d’atomes, unités de base de la matière. Comme une poupée russe, notre matière est composée de briques qui s’assemblent. Les atomes s’assemblent en molécules. Ces molécules s’organisent pour créer les cellules, à partir desquelles les organes dont nous sommes constitués sont construits. Entre l’atome et nous, il y a plusieurs niveaux d’organisation.
L’impact des nanotechnologies sur l’économie est très prometteur, car les applications industrielles seront nombreuses et concerneront des domaines très variés. Les nanotechnologies devraient constituer dans les prochaines années un marché considérable. À l’horizon 2015, 15% de l’activité manufacturière mondiale serait concernée par des dispositifs ou des matériaux utilisant des avancées issues des nanotechnologies.
Au plan scientifique, certains y voient un tournant majeur, d’autres une continuité. Une chose est sûre, l’émergence du nanomonde amorce une nouvelle révolution technologique, dont les impacts vont influencer largement la société… Au même titre que l’arrivée du numérique a modifié les modes de vie.
Les nano, un enjeu économique
Le marché mondial des nanotechnologies, encore dans ses prémices en 2001, était déjà estimé à 40 milliards d’euros. Aujourd’hui, avec l’engagement massif des budgets de recherche et développement pour l’accélération de l’innovation, les estimations s’affolent : un marché de plusieurs centaines de milliards de dollars annuels s’est ouvert depuis 2010.
En 2008, le montant du marché mondial est estimé à 500 milliards de dollars et pourrait doubler en 2015, selon la National science foundation. Le développement des nanotechnologies pourrait générer l’emploi direct de plus de 2 millions de personnes.
Notamment, l’investissement massif dans les matières premières telles que les métaux ou les céramiques sera en baisse, grâce au développement de nanomatériaux nouveaux, ainsi qu’à une nouvelle approche de fabrication des objets atome par atome (« bottom up »), qui pourrait réduire les quantités de résidus.
Autre aspect, l’économie d’énergie via l’optique par exemple. Des réductions de consommation de 50% de l’éclairage public sont attendues dans les prochaines années. Des émetteurs à très haut rendement seront vingt fois plus efficaces que les ampoules actuelles qui restituent en lumière seulement 3 à 4% de l’énergie (le reste se disperse en chaleur). Déjà, un record a été établi au Laboratoire de physique de la matière condensée de Palaiseau : des diodes électroluminescentes fournissent 28% de lumière. Leur objectif : restituer jusqu’à 70% de lumière.
Dans cette course économique effrénée, de lourds investissements préalables s’imposent. Si le prix d’un composant électronique baisse, les financements nécessaires pour sa fabrication ne vont cesser d’augmenter. Avec le rythme de renouvellement des techniques imposé par la miniaturisation des composants et des structures, le coût de mise en œuvre des procédés double tous les trente six mois. Il représente déjà cinq à six milliards de dollars chaque année à travers le monde.
Le boom industriel
Cette révolution de la taille des composants et de la structure des matériaux aura un impact dans les domaines manufacturés les plus divers, dont la production actuelle est réalisée à la précision du micromètre : l’électronique, l’aéronautique, la défense, l’environnement ou les matériaux de construction par exemple. En jeu, des propriétés mécaniques, électroniques, thermiques, magnétiques et catalytiques nouvelles à exploiter.
Entre autres avancées majeures pour l’industrie : l’amélioration de la catalyse. Cette réaction chimique accélère déjà les processus de fabrication des matériaux, sans les modifier. Ses performances vont rapidement évoluer : les nanopoudres remplacent les poudres actuelles de métaux lourds rares tels que le platine ou le palladium. Avec davantage de surface, elles les rendent plus efficaces en consommant moins de matière. Mieux, à l’échelle nano, des métaux tels que l’or, inertes à l’état macroscopique, deviennent très réactifs.
Ces nanoparticules pourraient permettre à l’industrie de s’affranchir des producteurs de matières rares et coûteuses. Les métaux, les polymères et les céramiques seront de moins en moins utilisés. Idem pour l’aluminium et le plastique présents dans les objets du quotidien. L’industrie automobile est visée, notamment. Ces nouvelles catalyses amélioreront le filtrage des pots d’échappement en attirant davantage de molécules indésirables d’hydrocarbure, d’oxydes d’azote ou de carbone, sur une surface d’agrégats d’atomes qui les emprisonnera.
Les nanosciences dans les produits de grande consommation
En prévision, la fabrication de transistors jusqu’à 500 fois plus petits que ceux commercialisés aujourd’hui, grâce notamment à des systèmes de gravure sur silicium dessinant sur les puces des lignes de moins de 10 nm de large, contre 65 actuellement. D’autres architectures de circuits intégrés sont à l’étude, sur de nouveaux supports plastiques plutôt que du silicium (on parle alors de lithographie molle). Et à terme, la microélectronique sera remplacée par l’optique : plus rapides que les connections électriques, les transmissions laser évitent les déperditions d’énergie.
Des applications à s’approprier
Le développement du nanomonde a un impact fort sur le rapport de la société aux technologies, car ses applications s’immiscent déjà dans notre quotidien. Ces objets « nano » sont, pour certains, invisibles à l’œil nu, pour d’autres mêlant inerte et vivant. Le lien de l’utilisateur à la machine semble alors parfois modifié.
Déjà, certains nanomatériaux ou objets sont là. L’industrie des loisirs profite des premières avancées des nanotubes de carbone pour alléger les raquettes de tennis, clubs de golf et autres équipements sportifs. Quant à l’industrie cosmétique, elle intègre des nanoparticules de titane ou d’oxyde de zinc dans les crèmes solaires pour filtrer les rayons UV. Sans parler des nanopuces pour le diagnostic médical du diabète. L’industrie de la microélectronique n’est pas en reste : nanolasers dans les lecteurs de DVD, capteurs, batteries, écrans….
En électronique, les capacités de stockage d’information, d’autonomie énergétique et de communication vont intensifier l’interface entre l’Homme et son environnement via des capteurs et autres actionneurs interconnectés ou appareils portables peu gourmands en électricité (énergie nomade). Les nouveaux téléphones et écrans plats – formés de nanoélectrodes, stimulées par une matrice de canons à électrons en nanotubes de carbone – sont en plein essor. La route vers un ordinateur quantique, qui effectuerait des millions d’opérations en exploitant le principe de superposition quantique, n’est plus très longue. Quant aux systèmes de surveillance nanométrique, ils permettent l’identification et la localisation, c’est-à-dire la traçabilité des produits, la sécurisation des modes de paiement ou l’échange d’informations en ligne.
En santé, prothèses, implants cochléaires ou valves cardiaques en nanomatériaux biocompatibles voient déjà le jour. Des nanosphères jusqu’à 70 fois plus petites qu’un globule rouge, sont utilisées pour transporter un principe actif au cœur de l’organe à soigner. Fini alors les effets secondaires dans les autres parties du corps, comme c’est le cas avec les traitements contre le sida, les maladies hépatiques ou certains cancers, notamment. Des laboratoires de diagnostic de la taille d’une puce existent déjà, pour des résultats médicaux à moindre coût, plus rapides et plus précis que ceux obtenus à l’aide d’une prise de sang.
Un monde déroutant
Le Nanomonde est un univers avec ses propres lois : la miniaturisation a toujours été une des priorités des sciences et des techniques. En entrant dans le Nanomonde, on ne change pas seulement d’échelle : ce sont d’autres lois qui le gouvernent. Au pays des atomes, les forces qui dominent notre vie comme la gravité sont pratiquement sans importance.
Les lois de la physique classique laissent la place à celles de la physique quantique.
Le nanomonde est souvent déroutant car les phénomènes qui y deviennent prépondérants ne sont pas perceptibles à notre échelle. La physique quantique décrit les lois qui régissent les nano-objets, trop petits pour être visibles à l’oeil nu et de ce fait parfois inquiétants. Une réflexion éthique est nécessaire pour faire la part entre fantasme et crainte légitime.
Ces nanotechnologies suscitent donc des inquiétudes. Manipuler la matière à l’échelle moléculaire et interférer avec le monde du vivant soulève des questions éthiques et sanitaires qui devront être prises en considération par les pouvoirs publics et les acteurs concernés. Il s’agit là d’un autre débat…
Photo © Federico Bebber
(Source : CNRS 2014)