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nanotechnologies

Nanoproduits : comment éclairer les consommateurs ?

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Plus de 1 600 produits de consommation contenant des nanomatériaux ou nanotechnologies ont été commercialisés à l’échelle mondiale, près de 500 sur le marché européen. Le nanomatériau le plus utilisé est le nano-argent, suivi du dioxyde de titane et des nanotubes de carbone. Pour le consommateur, le moyen le plus direct d’identifier la présence de nanomatériaux est l’étiquette des emballages. Or la réglementation n’impose la mention [nano] que pour les cosmétiques et les biocides, et pour les aliments à partir de décembre 2014. 

Le seuil imposant cette mention exclut les matériaux de plus de 100 nanomètres. Dans ce contexte, comment le consommateur peut-il s’y retrouver ? Quel est l’effet des étiquettes [nano] sur le choix des produits ? Par quelles informations compléter cet étiquetage ? Que pourrait signifier l’étiquetage [No nano] ? Quelles sont les pistes pour mieux informer les citoyens ? Le dernier forum NanoResp a tenté de répondre à ces questions, avant le prochain qui aura lieu lundi 17 novembre.

Pour répopndre, le Forum NanoResp de septembre 2014 accueillait :

– Mathieu Brugidou, Groupe de Recherche Energie Technologie et Société – ICAME, EDF R&D
– Dominique Gombert, Directeur de l’évaluation des risques, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)
– Camille Helmer, Responsable Affaires réglementaires/ Etiquetage Service Qualité et Nutrition de l’Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA)
– Olivier Toma, président du Comité pour le Développement Durable en Santé (C2DS)
– Jean-Michel Bérard (en remplacement d’Alain Elie), Association de défense, d’éducation et d’information du consommateur (ADEIC)

et Dorothée Browaeys, rédactrice en chef adjointe de UP’ Magazine, anciennement fondatrice et dirigeante de VivAgora.

Le forum NanoRESP est né des activités de l’association VivAgora, notamment du NanoForum souhaité par William Dab, alors directeur général de la santé, et mené au CNAM entre 2007 et 2009. Suite au débat national organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP), le gouvernement a tardé à donner un cap pour mettre en route un agenda de discussion avec la société et les parties prenantes sur les nanotechnologies. Il avait cependant, à l’époque, émis deux souhaits : informer les parties prenantes, et mettre en place un forum permanent pour à la fois faire passer l’information et rendre les filières robustes en remettant de la confiance dans le jeu entre acteurs. Cette double perspective n’a
pas été suivie d’effet.
De son côté, l’association VivAgora a développé certaines actions à petite échelle comme un dialogue citoyens-entreprises sur le plateau de Saclay ou un dialogue avec le groupe L’Oréal sur les produits solaires contenant du nanotitane. 

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Aujourd’hui, le forum NanoRESP est adossé à l’idée, qui avait été discutée au sein de l’Agence française de normalisation (Afnor), d’une « vigilance coopérative » sur les nanotechnologies posant entre autres la perspective d’une « norme nano ». Jean-Marc Aublant, du Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE), suit ce référentiel en cours de mise au point.
NanoRESP, c’est d’abord une série de rencontres régulières soutenues par une alliance d’acteurs qui pensent qu’il est utile d’avoir un dialogue permanent sur nos compétences, nos connaissances, nos incertitudes. On voit bien par exemple son importance dans le secteur du bâtiment. L’alliance est composée, avec le soutien de l’association Entreprises pour l’environnement (EpE), de plusieurs acteurs privés : BASF France, la Fédération française du bâtiment (FFB), l’Association technique de l’industrie des liants hydrauliques (ATILH), la fondation SMABTP, EDF R&D et depuis peu le LNE. Le comité de pilotage comprend certains membres de l’alliance et des acteurs d’associations, d’organismes de recherche comme l’Ineris, des journalistes.

Le forum est expérimental : ce type de dialogue porté par des acteurs privés qui s’intéressent à l’intérêt général n’est en effet pas habituel. Le contexte de NanoRESP, c’est un espace public plein d’incertitude, de décisions en méconnaissance de cause, où nous devons nous identifier dans nos responsabilités respectives. C’est pourquoi il est utile, par rapport à la question posée de l’information du consommateur, de l’opinion publique, de commencer par bien définir ce qu’est cet espace public.

Mathieu Brugidou, EDF R&D, membre du Copil de NanoRESP, démarre ce forum par une intervention préliminaire :
« EDF travaille sur les applications possibles des nanotechnologies pour l’énergie. Depuis les années 1980, il existe à EDF R&D, un groupe des sciences humaines et sociales, qui s’intéresse aux interactions science, technologie, société. Parler de l’opinion publique, c’est effectivement parler d’un espace public constitué par les médias notamment. Ainsi, si l’on s’intéresse au nombre de publications consacrées aux nanotechnologies dans la presse anglophone depuis les années 1990, on constate une nette progression dans les années 2000, adossée à des événements tels que le lancement de programmes de recherche aux  Etats-Unis et en Europe, les premières alertes, ou la constitution d’un problème public autour des nanotechnologies en Europe. En France, la presse s’y est aussi intéressée ; c’est ce que mettent en évidence les travaux du sociologue Francis Chateauraynaud, à travers les dispositifs de participation consacrés aux nanotechnologies. Car l’espace public, c’est aussi une série de débats et de sites internet traitant de ces questions, qui se sont multipliés au début des années 2000. 

Si l’on fait maintenant un état des lieux de l’opinion publique au sens des sondages, le constat est simple : il n’y a pas à proprement parler d’opinion publique sur ce sujet ! En 2010, seulement 46 % des Européens avaient entendu parler des nanotechnologies. Parmi ceux qui avaient une opinion, ils ne s’accordaient ni sur l’existence des risques pour les générations futures, ni sur la présence de risques sanitaires et environnementaux. La
proportion de ceux qui estimaient que les nanotechnologies auront un impact négatif avait doublé en cinq ans était de 5 à 10 %, mais 41 % pensaient que ces impacts seront positifs.
L’iniquité de la distribution des risques et des bénéfices leur semblaient manifestes. Globalement, la perception des bénéfices et des risques variait assez fortement selon les secteurs d’application (santé, électronique, énergie ; alimentation et cosmétique). Cette distribution des risques est liée au sentiment que l’on peut avoir de maîtrise personnelle et collective des risques en fonction de facteurs socioculturels, de la confiance accordée aux
autorités et de la perception de la véracité des informations.

Une autre « opinion publique », peut-être plus importante pour ce qui nous occupe, est celle qui perçue par les acteurs économiques. Ceux-ci anticipent les perceptions du public, notamment ses réactions négatives. Selon le rapport interministériel de 2013, le faible investissement privé en France traduirait « une inquiétude des investisseurs spécifique à la France dans le domaine des nanotechnologies (…) » (1). Le précédent OGM les influence.
Pourtant, ce n’est pas si simple. En 2001, la sociologue Claire Marris a comparé les représentations des OGM par les citoyens ordinaires et par les acteurs économiques. Ces derniers se représentent souvent un public portant un regard teinté de méfiance et d’irrationalité sur la science et la technologie, un public qui voudrait un risque zéro. Or les groupes de discussion réalisés avec le public montrent que la situation est bien plus
nuancée. Il est assez récurrent en sciences sociales de mesurer que les profanes en situation de discussion ont des opinions bien plus balancées que celles qui sont anticipées par les acteurs économiques. Je ne pense pas que les nanotechnologies dérogent à cela.

Pour résumer, il existe donc de la part du public une grande diversité de perceptions des nanomatériaux selon leurs champs d’applications, et de la part des acteurs économiques une perception de risques de développement des nanomatériaux liée à l’idée qu’ils se font de l’opinion publique (« risques réputationnnels »). La « construction » des publics fait ainsi partie des programmes de développement des nanotechnologies (travaux de Brice Laurent, 2011, 2013 (2). Mais l’opinion se crée surtout autour des crises et des controverses, et du travail effectué par les corps intermédiaires pour en rendre compte. Les questions de la gouvernance et de la confiance entre acteurs sont donc centrales pour réduire les incertitudes réglementaires, sanitaires, économiques et politiques.

Dominique Gombert de l’ ANSES intervient à son tour :

« En France, l’information sur les nanomatériaux provient aujourd’hui en particulier des rapports issus de la déclaration obligatoire des substances à l’état nanoparticulaire (3).
Le premier exercice de la déclaration, dont le bilan a été publié en novembre 2013, était un exercice pilote et pionnier, avec 3 500 déclarations réalisées par un petit millier de déclarants. Entre 240 et 410 substances (identifiées par un numéro de classification CAS (4) ou par un nom chimique) ont été déclarées. Quatre grandes familles de nanomatériaux, en termes de tonnage, apparaissaient : noir de carbone, silice, dioxyde de titane et carbonate de calcium, avec de grandes catégories d’usages : peintures, agriculture, cosmétiques, alimentation, revêtements, etc. Cette déclaration a exercé une certaine capacité d’entraînement en Europe, la Belgique et d’autres pays membres de l’UE réfléchissant au
déploiement d’une telle déclaration. En France, on va affiner vraisemblablement la description du marché avec la déclaration 2014. Du point de vue de l’évaluation des risques, la vision s’est précisée mais reste largement à affiner : nous avons besoin d’informations précises sur les dangers associés aux substances et sur les activités qui exposent la population générale ou la population professionnelle.

En revanche, vis-à-vis de l’information des consommateurs, cette déclaration reste imparfaite car elle ne donne pas une liste d’articles ou de produits dans lesquels on trouverait des nanomatériaux. C’est plus le télescope de Galilée que le télescope Hubble : on a les grandes lignes des types de matériaux et des usages. Plus généralement, pour la distribution de produits tels que les cosmétiques ou bientôt les produits alimentaires, se pose la question de savoir ce que veut dire pour un consommateur de voir sur un emballage une étiquette « nanos ». Est-ce une information ? Quel message veut-on faire passer ? On peut supposer que ce qui est sur le marché ne présente pas de risques ; oui mais est-ce toujours
le cas, compte tenu des incertitudes ? Ces questions sont compliquées à traiter. Il faut aussi noter qu’un nanomatériau échappe au radar de la déclaration : le nanoargent, qui entre vraisemblablement dans des articles déjà mis sur le marché. On travaille actuellement sur cette question avec le ministère de l’écologie – un rapport sur le nanoargent va être prochainement publié par l’Anses –, de même que sur des pistes de progrès pour mieux décrire le marché. En fin d’année, paraîtra aussi une réflexion concernant un outil simplifié d’évaluation des risques. Dernier point : au sein de l’agence, deux expériences de comités de dialogue, qui se réunissent une fois par trimestre, permettent d’échanger sur l’état des connaissances et les programmes de travail.

Camille Helmer, de l’ANIA intervient également :

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« L’ANIA, qui existe depuis 1968, rassemble non des entreprises mais des secteurs d’activités, 21 fédérations régionales et 22 secteurs d’activités. L’industrie agroalimentaire représente le premier secteur industriel en France, avec 160 milliards de chiffre d’affaires environ, 13 000 entreprises, dont 97 % de PME et TPE. C’est également le premier secteur industriel employeur. Le rôle de l’ANIA est de promouvoir, valoriser et informer autour de six grandes thématiques, dont la qualité et la nutrition, représentant la chaîne alimentaire située entre l’agriculture et la distribution.
Dans le domaine « nano », c’est la complexité de la réglementation qui frappe, s’ajoutant à une législation agroalimentaire déjà assez touffue. Ainsi, l’étiquetage des nanomatériaux devient obligatoire dans l’alimentation à partir de décembre 2014. Mais la nouvelle Commission européenne, qui se met en place, doit travailler à une proposition de définition des matériaux concernés. Il est peu probable qu’avant décembre 2014, on dispose d’une
nouvelle définition des nanomatériaux comme cela était prévu. D’où une situation très inconfortable des opérateurs sur le terrain.

La première définition appliquée sur l’étiquetage des nano-ingrédients a été adoptée en 2011, dans le cadre du règlement (UE) n° 1169/2011 qui réforme les règles d’étiquetage des denrées alimentaires. Il y avait en effet précédemment deux directives européennes (étiquetage général et étiquetage nutritionnel) qui ont été fusionnées en un seul règlement afin de faciliter la vie des professionnels. Le cœur du règlement était l’étiquetage nutritionnel obligatoire, et l’étiquetage de l’origine. Les « nanos » sont venus se greffer au cours des discussions. Ce texte a apporté une définition des nanomatériaux imposant un étiquetage obligatoire. Or, cette définition est technique et floue à la fois, elle peut donc laisser les
professionnels perplexes. C’est le cas aussi de nos autorités de contrôle. On relève que la définition vise « tout matériau produit intentionnellement ». Bien sûr, on comprend l’objectif qui était d’exclure des produits pouvant contenir naturellement des nanomatériaux, mais bien
de s’appliquer aux produits issus de nouvelles techniques produisant des matériaux de 100 nanomètres ou moins et ayant des propriétés typiques de la nanoéchelle. Mais concrètement les « propriétés typiques de la nanoéchelle » représentent-elles un critère pertinent ? Le titane à l’échelle normale est blanc, et utilisé pour cela comme couvrant. A la nanoéchelle, il devient transparent. Dans ce cas, on comprend bien la notion de « propriétés typiques de la nanoéchelle », mais ce critère est-il applicable et pertinent dans tous les cas ? La taille « en dessous de 100 nm » ne suffirait-elle pas à qualifier le matériau ? Cette définition pose donc beaucoup de questions aux professionnels et aux institutionnels, d’où sa révision à venir.
Sur recommandation du centre technique de la Commission européenne, celle-ci a proposé une définition en 2011. La Commission évoquait alors le seuil de 50 %, en soulignant qu’il pourrait toutefois être modifié en fonction des secteurs d’activité. Aujourd’hui, la Commission pourrait s’inspirer de sa recommandation de 2011 lorsqu’elle fera sa nouvelle proposition de définition de « nano à étiqueter ».
On est donc dans un entre-deux, avec une définition à appliquer mais mal comprise, et une définition à venir à une date non précisée. C’est un problème pour les entreprises qui doivent préparer les étiquettes. Pour l’industrie agroalimentaire, il y a un autre projet de définition. Donc au total pour l’agroalimentaire, au niveau européen, on compte une définition dans une recommandation européenne pour tout secteur d’activité, une définition dans un règlement européen et une définition « à venir » pour se substituer à cette définition actuelle.
A tout cela vient s’ajouter le dispositif français pour la déclaration de substances à l’état nanoparticulaire. Avec des notions difficilement compréhensibles telles que « substances à l’état nanoparticulaire », « substances à l’état nanoparticulaire contenues dans un mélange sans y être liées » ; ou « matériaux destinés à rejeter de telles substances dans des conditions normales ou raisonnablement prévisibles d’utilisation ». La complexité de la règlementation et de son évolution compliquent la vie des entreprises. Elles doivent se tourner vers leurs fournisseurs, les autorités et les agences scientifiques pour avoir des réponses aux questions techniques qui s’accumulent.

On nous demande souvent si la réglementation agroalimentaire couvre les nanomatériaux. Oui, grâce au cadre réglementaire très riche qui couvre notre secteur : le cadre général sur la sécurité du consommateur ; la réglementation sur l’innovation et les aliments nouveaux avec la prise en compte de l’aspect « nano » (texte en révision) ; la règlementation sur les additifs avec un règlement de 2008 qui précise que tout nouvel additif
faisant intervenir des nanotechnologies ou réduisant la taille des ingrédients doit faire l’objet d’’une nouvelle autorisation ; le règlement sur l’étiquetage ; le règlement sur les emballages avec la question des nano-objets présents dans ces matériaux.
Au quotidien, ce sont les obligations réglementaires et la sécurité des denrées qui priment. La question nano est secondaire. Quant à la déclaration nationale obligatoire, elle pose des questions spécifiques : qui doit déclarer ? Le cas de la silice, un additif utilisé par l’industrie agroalimentaire, est régulièrement cité. Il s’agit surtout de dioxyde de silicone (SiO2) fabriqué intentionnellement, qui a été examiné par plusieurs organismes scientifiques avant d’autoriser son utilisation en tant qu’additif alimentaire. C’est une poudre mise sur le marché en tant qu’ensemble d’agglomérats de taille micrométrique, dont la structure interne est de taille nanométrique ; soit des gros grains constitués de grains minuscules. Pour l’ANIA, la question posée aujourd’hui est de savoir comment cette poudre vient s’intégrer dans les définitions actuelles.

En conclusion, l’ANIA n’est pas un organisme d’experts scientifiques. La question qui la préoccupe aujourd’hui est de savoir comment comprendre les définitions existantes et comment respecter les obligations qui en découlent. Sur la question plus globale de l’information « nano », nous nous interrogeons : comment le consommateur accueillera-t-il un tel étiquetage ? Que va-t-il comprendre si on appose l’étiquette « nano-additif » alors qu’il s’agit d’un additif non « innovant », utilisé et évalué depuis des dizaines d’années ? Ira-t-on vers un rejet général ? Un nouveau cas OGM ?

Dorothée Benoit Browaeys : Quel sera l’impact de la règlementation pour l’industrie de produits bio ? Ceux qui veulent manger bio pourraient vouloir un étiquetage « no nano ».

Camille Helmer : Il n’y a pas de distinction à avoir entre bio et non bio : tous les aliments doivent respecter les mêmes conditions de production et de sécurité vis-à-vis du consommateur, le bio ayant des contraintes supplémentaires en termes d’environnement. C’est une aberration de vouloir
un étiquetage « no nano » au regard des définitions actuelles.

Dorothée Benoit Browaeys : Quelle était la proportion de nanomatériaux déclarés dans le domaine agroalimentaire ?

Dominique Gombert : Le rapport 2013 avait identifié 83 types d’usages. La fabrication de produits alimentaires représentait 2,6 % des usages déclarés pour l’ensemble des déclarations de 2013. Mais il faudra attendre quelques années pour voir, selon l’évolution des déclarations, quels sont les types d’usages les plus significatifs et ceux dont la proportion évolue.

Christophe Bressot, Ineris : Je comprends l’inquiétude des professionnels de l’industrie agroalimentaire au niveau de l’étiquetage. Mais cette industrie a la chance de passer, si je puis dire, après les cosmétiques. Or je ne crois pas qu’il y ait eu une panique générale à ce sujet dans ce
secteur. Bon nombre de produits sont étiquetés « nanos » sans problème particulier. Dans l’industrie agroalimentaire, vous pouvez donc être sereins sur ce plan.

Camille Helmer : Je n’irais pas dans votre sens. Les historiens et les sociologues expliquent que les consommateurs n’ont pas le même rapport à ce qu’ils mettent sur leur peau et à ce qu’ils ingèrent. Ils sont moins attentifs à l’étiquetage d’une crème solaire qu’à l’étiquette d’un aliment. Le rapport « charnel » avec l’aliment reste très fort.

Olivier Toma, C2DS : Le C2DS est une association d’hôpitaux, de cliniques et de maisons de retraite, c’est-à-dire d’établissements sanitaires et médico-sociaux en lien avec toute une série d’entreprises travaillant dans le bâtiment, la restauration, le tourisme, etc. Je préside cette association
après avoir dirigé plusieurs établissements. Sur la question « nano », nous sommes préoccupés, et ce pour deux raisons. Premièrement, nous achetons à notre insu des produits qui contiennent des nanoparticules sans savoir quels sont les risques pour nos patients et nos personnels. Deuxièmement, nous avons vocation d’exemplarité et de pédagogie par rapport aux gens que nous accueillons ; quand on distribue des produits et
des services dont on n’est pas sûr, on est dans une position délicate. Pour ces raisons, nous avons envoyé récemment au ministère de la santé, au ministère de l’écologie et à la présidence de la république des préconisations sur le Plan national santé environnement (3) (PNSE3), dans lequel un chapitre est dédié à ces sujets.
Les risques ont plusieurs origines. D’abord, les matériaux de construction, puisque nos établissements représentent 100 millions de mètres carrés en France : on trouve beaucoup de produits à base de nanoparticules qui posent problème, soit durant leur fabrication, soit lors de leur pose par d’autres salariés, qui n’ont pas forcément les bonnes préconisations de protection, soit au moment de leur fin de vie et de leur retraitement dans des filières spécifiques type amiante, pour lesquelles nous avons très peu d’informations.
Deuxième source de risques, la rénovation et la maintenance, qui représentent 90 % du temps d’un directeur d’établissement. Nous sommes harcelés par quantité d’industriels qui vendent des produits contenant des nanomatériaux, avec des allégations trompeuses et insupportables du type « carrelage autonettoyant ». La photocatalyse autonettoyante, ça marche en laboratoire sur de petites surfaces, mais dans la vraie vie d’un hôpital ça n’a aucun impact sur le nettoyage, on l’a testé.
On nous vend aussi des appareils à traitement d’air pour améliorer la qualité de l’air intérieur. A ce sujet, je déplore que le ministère de l’écologie vienne de revenir sur une mesure phare issue du Grenelle de l’environnement qui prévoyait l’obligation de mesure des COV (composés organiques volatils) dans les écoles au 1er janvier 2015. Or ces COV sont un véritable fléau, un risque invisible majeur. Nous avons participé à l’étude de la qualité de l’air intérieur d’une cinquantaine de bâtiments recevant du public. Or on ne peut même pas publier les résultats étant donné la quantité et la condensation de polluants détectés, dont certains cancérigènes et reprotoxiques, et d’autres avec des nanoparticules.
La troisième source de risques est l’alimentation puisque nos établissements servent plusieurs millions de repas par jour. Les nanomatériaux se retrouvent dans les emballages de produits alimentaires et sous forme d’additifs (dioxyde de titane, oxyde de silice, E551).
Le quatrième axe est le textile, avec des tissus et vêtements professionnels « sans taches », « sans nettoyage », ce qui pour nous est totalement fallacieux quand on sait que les nanoparticules partent rapidement au lavage.
Un dernier axe de préoccupation est représenté par les cosmétiques, en particulier pour les maternités où les conseils aux mamans peuvent proposer des crèmes contenant des nanoparticules. Au final, l’hôpital, au sens large, comme le reste de la société est très touché par des produits dont on n’a pas la preuve de l’innocuité. On demande donc que le PNSE mette en place une autorisation de mise sur le marché de ces produits pour savoir si on peut les utiliser et les détruire sans risques. Pour l’instant, nous n’avons pas reçu de réponse officielle à cette demande.

Dorothée Benoit Browaeys : On peut être étonné de votre côté alarmiste. Les nanoproduits n’ont-ils pas aussi des avantages ?

Olivier Toma : En effet, en quelques minutes, mon analyse peut donner cette impression. Certains nanomatériaux peuvent avoir des avantages pour soigner des maladies, notamment, mais il ne sert à rien et il est dangereux de diffuser en masse dans le grand public des produits
contenant des nanoparticules dont on ne connaît pas la toxicité. Des marques distribuent ainsi des chaussettes qui, soi-disant, ne se salissent pas. C’est de l’escroquerie puisque les nanoparticules se retrouvent dans l’eau et l’eau de boisson. Il faut s’attendre à un retour de bâton !

Jean-Michel Bérard, Adeic : Je me permets d’excuser Alain Elie qui ne pouvait être là comme prévu. A l’ADEIC, notre point de départ pour analyser la situation des nanomatériaux est le rapport et l’avis du Conseil national de la consommation (CNC) de juin 2010 (5). Nous sommes frappés par le fait que, sur la plupart des questions et recommandations posées dans ces textes, nous n’ayons que très peu de retours d’informations sur les suites qui y ont été données. De façon générale, les résultats obtenus sont peu connus et diffusés, y compris pour nous, l’ADEIC.
La lecture du rapport est pourtant impressionnante : à l’époque, il paraissait essentiel de gérer les risques de façon à avoir « une réelle maîtrise des expositions » – on vient de voir qu’à l’hôpital ce n’est pas le cas ; d’avoir des « moyens de prévention adaptés mis en œuvre par les entreprises » : pour faire de la prévention, encore faudrait-il connaître les dangers. Le « traçage », via un observatoire de santé publique, des dommages imputables aux nanotechnologies était supposé nécessaire.
Il nous semble que certains progrès ont été faits mais que beaucoup reste à faire, notamment en matière d’information des consommateurs : il faudrait savoir nommer, décrire et spécifier, mieux qualifier les risques pour chaque type de nanoproduit. Par ailleurs, en tant que physicien, je ne suis pas sûr que la définition des nanomatériaux doive se faire selon leurs dimensions, puisque ce sont les propriétés qui importent.
Que faisons-nous à l’Adeic ? L’association est membre de la commission de l’Afnor sur les nanotechnologies, mais c’est à peu près tout. Que pourrions-nous faire ? Ce serait forcément en relation avec les autres associations puisque les nanotechnologies sont un champ industriel capital qui concerne beaucoup de monde. L’ADEIC et d’autres associations demandent aux pouvoirs publics de prendre en charge – en mettant en place les moyens nécessaires, et en concertation avec les associations (dont l’ADEIC) – la rédaction de fiches pédagogiques à destination des consommateurs et une éducation à la consommation dans les écoles, les collèges et les lycées. Le niveau de culture scientifique et technique est globalement assez faible dans la population, cette culture étant d’ailleurs peu reconnue comme essentielle par des responsables politiques dont la culture n’est pas meilleure. La définition du « citoyen éclairé » est une question complexe à laquelle nous devrions tous collaborer pour que chacun soit à même de participer aux débats publics sur les sujets complexes.

Dorothée Benoit Browaeys : Je relève un point sur lequel il serait intéressant de discuter : la taille, et non pas les propriétés et les fonctions, est-elle le critère pertinent de définition des nanomatériaux ? Serait-il possible de changer de cap du point de vue du référentiel, quitter ce niveau des
100 nanomètres pour l’élargir et considérer toutes les particules qui peuvent poser problème ?

Dominique Gombert : C’est effectivement un point important. Nous avons évoqué les uns et les autres l’existence d’un certain nombre de référentiels réglementaires. Ainsi, les définitions des nanomatériaux proviennent de consensus dans différents cercles, et elles continuent de faire
débat. Mais pour l’évaluation des risques, c’est encore plus complexe : il faut se rendre compte que c’est un ensemble de paramètres qui nous déterminent, car c’est cet ensemble qui permet de référencer précisément un nanomatériau. En effet, dans la même famille de composés, les dioxydes de titane par exemple, des nanomatériaux peuvent avoir des comportements très différents. C’est un enjeu complexe : au-delà de l’étiquetage, l’évaluation de risques est confrontée à un univers très large de comportements des nanomatériaux.

Dorothée Benoit Browaeys : L’autre versant de la caractérisation, ce sont les avantages apportés par tel ou tel nanomatériau en termes d’usages. En ne précisant pas la nouveauté, le bénéfice, on brouille la lecture de ce que représente le nanomatériau pour la société.

Dominique Gombert : On parle d’abord des risques car c’est ce qu’on attend de nous en tant qu’agence d’évaluation des risques. Et les dernières années ont permis de mieux identifier les matériaux qui soulèvent le plus de risques. Pour autant, je pense effectivement qu’une recommandation utile est de poser la question des usages et de l’intérêt des nanomatériaux.
L’exemple des chaussettes sans odeur est souvent cité et on nous le reproche, mais il est indicatif de la pertinence de la notion d’usage. N’aura-t-on pas de regrets à l’avenir à n’avoir pas suffisamment caractérisé les usages qui sont vraiment nécessaires ?

Hadrien Lepage, Nanothinking : Pour moi, l’exemple des chaussettes à nanoargent n’est pas pertinent. Le nanoargent est
avant tout utilisé pour les propriétés bactéricides de l’argent, et pas pour ses propriétés nanométriques. On le reprend systématiquement mais à tort à mon avis, d’autant qu’il représente un faible volume.

Dominique Gombert : On le reprend parce qu’il est symbolique de la pertinence des usages. Vous dites que le nanoargent n’est pas important en termes de volume. En fait, on n’en sait rien. De plus, c’est un produit dont on fait miroiter des qualités bactéricides alors que l’on sait qu’elles vont
disparaître dans l’environnement. C’est typiquement un des exemples qui doit nous inciter à réfléchir collectivement. Tout un tas de gens importent des textiles antibactériens à nanoargent sans savoir qu’ils en contiennent. Les producteurs commencent d’ailleurs à ne
plus trop revendiquer cette présence. Je ne dis pas que c’est bien ou que c’est mal, mais que cet exemple pose la question des usages pertinents et des regrets qu’on risque d’avoir en n’ayant pas résolu cette question.

Caroline Pétigny, BASF France, membre du Copil de NanoRESP : La notion de manque de culture scientifique rapportée par M. Bérard me semble
importante. Ce serait plus simple effectivement si tout le monde avait un bon niveau de base et une vision rationnelle des problèmes. Le problème est aussi celui du langage : on utilise le terme « nano » à tort et à travers. J’étais étonnée des propos d’Olivier Toma sur l’envahissement de notre société par les nanoparticules. En effet, dans les nanomatériaux, il y a généralement peu de nanoparticules mais surtout des agglomérats. La vraie question est de savoir comment gérer la complexité du sujet, informer le consommateur avec des informations pertinentes et justes. A quoi sert d’avoir le terme « nano » sur une étiquette s’il est mal défini ou systématiquement identifié à un danger ? Le consommateur veut d’abord savoir si le produit est sûr.

Dorothée Benoit Browaeys : On a progressé dans le volume d’informations disponible depuis 10 ans. Mais au bout de la chaîne, le consommateur et les utilisateurs professionnels bénéficient-ils de toute cette traçabilité. Sert-elle à quelque chose ?

Mathieu Brugidou : Je voudrais rebondir sur la question de la rationalité du public. C’est un débat sans fin car il n’y a pas beaucoup de questions qui échappent à cela : il faudrait que l’on soit de très bons scientifiques, de très bons économistes, d’excellents sociologues, etc., pour bien
comprendre ce qui se passe dans la société. C’est une donnée de départ du débat public que l’on ne peut pas s’intéresser, en tant que citoyen, à toutes les questions techniques complexes qui se posent. Si l’on est concerné directement, on peut certes monter en compétences en s’y intéressant de plus près. Mais la plupart des gens, y compris les scientifiques hors de leurs champs de compétences, s’en remettent à des institutions
publiques ou associatives qui sont chargées de faire le travail d’élucidation. C’est entre autres pour cela que la question de la confiance est essentielle.

Jean-Michel Bérard : Je ne pense pas être tout à fait d’accord avec vous. Cela rejoint des débats à l’Education nationale sur le socle commun de connaissances. Certains disent qu’il n’est plus besoin d’apprendre car on trouve tout sur Internet. Je plaide pour ma part pour une culture générale
où l’on apprendrait des points d’ancrage, des grands principes (la conservation de l’énergie, par exemple) qui permettraient ensuite de se repérer et d’agréger des choses nouvelles tout au long de la vie en sachant où les situer. J’affirme que cette culture scientifique de base n’existe pas dans la population française.

Jean-Marc Aublant, LNE : Je voudrais revenir sur l’état de l’art, notamment au niveau de la définition des nanomatériaux. La taille indiquée jusqu’à « approximativement 100 nanomètres » permet de nommer un produit en le qualifiant de « nano ». Une fois nommé, il peut et doit être
caractérisé par huit caractéristiques ou propriétés, qui sont maintenant admises comme telles et résultat d’un consensus entre physiciens et toxicologues. On notera toutefois que les moyens instrumentaux appropriés pour les caractériser sont encore à une phase de balbutiement. On utilise ces nanomatériaux pour leurs propriétés et celles-ci sont beaucoup mieux connues en termes de bénéfices potentiels qu’en termes de risques. On découvre seulement depuis peu de temps les propriétés toxicologiques que certains de ces nanomatériaux peuvent présenter au long du cycle de vie. Mais on est encore loin du compte car analyser le risque demanderait de pouvoir disposer de toutes les données de base pour
chaque type de nanomatériau.
Pour ce qui est des normes volontaires (6), elles n’ont d’autre objet – et cela a été un consensus de tous les pays qui ont travaillé sur ce point au sein de l’ISO TC 229 Nanotechnologies – que de donner au consommateur le choix : vous n’avez rien contre le « nano » ? Eh bien achetez-le ; sinon, achetez autre chose. On ne peut guère faire plus pour le moment, comme c’est le cas pour les réglementations européennes dédiées aux
cosmétiques et au domaine agro-alimentaire.

Serge Sebestyen : Je suis étonné que l’on n’évoque pas certains dangers connus comme ceux des nanotubes de carbone, qui risquent de causer une nouvelle affaire de l’amiante. N’est-il pas absurde, au-delà de l’exemple des chaussettes au nanoargent, de lancer des matériaux qui ne servent à rien ou presque alors que le risque n’est pas établi ? Certains nanomatériaux sont utiles notamment en médecine. Mais mettre sur le marché des produits qui ne sont que du marketing n’a pas de sens. L’information satisfaisante pour les consommateurs, ce serait de leur dire « ceci est utile, cela ne l’est pas », en expliquant pourquoi.

Fernand Dorodit, membre du Copil de NanoResp : Je voulais revenir sur la question du choix laissée au consommateur, évoquée par Jean-Marc Aublant. Le problème n’est-il pas plutôt la responsabilité de ce que l’on met sur le marché ?
Il ne faut pas se leurrer sur le degré de conscience que les consommateurs profanes pourraient avoir sur un qualificatif « nano » apporté sur un emballage. Je suis déjà frappé de l’état de dissensus d’une assemblée comme la nôtre, composée de gens qui s’intéressent pourtant aux nanomatériaux.
Hormis pour des enjeux de traçabilité je ne vois pas du tout l’intérêt de l’étiquetage nano.
Sur le fond, je m’étonne qu’il y ait tant de discussion sur les définitions, qui sont globalement convergentes. Je suis aussi étonné que dans le domaine agroalimentaire on dise il n’y a pas d’avancée technologique. C’est faux : il y a une multiplicité de projets dans le domaine.

Caroline Pétigny : Le débat sur les définitions vient du fait que pour une entreprise gérer des réglementations reposant sur des définitions différentes est très compliqué.

Fernand Doridot : Oui, mais la définition européenne et la définition française sont globalement concordantes.

Caroline Pétigny : En fait non, car le périmètre d’application est différent. La liste des produits concernés varie selon la définition utilisée. Finalement, c’est contreproductif si l’on veut informer le consommateur. Pour revenir à ce que vous disiez, M. Sebestyen, votre questionnement sur les innovations utiles ou pas concernait-il les nanos spécifiquement, ou se voulait-il plus général ? Beaucoup de produits du marché peuvent ne pas être utiles.

Serge Sebestyen : Mon constat est effectivement valable pour beaucoup de produits. Mais savoir si on utilise des propriétés parce que ça permet de lancer un produit ou si c’est réellement utile pour la société est tout de même un problème particulièrement fort dans le cas des nanomatériaux.
En 2006, on se bagarrait déjà sur la définition. Je comprends que ce soit un casse-tête pour une entreprise, mais pour le consommateur ce n’est pas le point important.

Daniel Bernard : Je suis conseiller scientifique de la Plate-forme Nanosécurité du CEA, à Grenoble, président de la commission nanotechnologies des ingénieurs scientifiques de France et en même temps conseiller scientifique de la Commission européenne pour le programme sur les nanotechnologies et les matériaux avancés. Premier point : aucun industriel ne mettra sur le marché, par éthique et respect de la réglementation, un produit dangereux. Il le commercialisera en fonction des connaissances qu’il a de ces dangers. Ces connaissances peuvent évoluer.

Fernand Doridot : Pour l’amiante, on a vu ce que ça a donné…

Daniel Bernard : On savait parfaitement que l’amiante était dangereuse dès 1976. On aurait pu l’arrêter dès cette époque. L’amiante, c’est un problème de transmission des connaissances scientifiques des universitaires vers les instances gouvernementales et de décision politique trop tardive. Pour répondre sur les nanotubes de carbone toxiques, en réalité, deux familles de nanotubes sont toxiques, et deux ne le sont pas. Cela dépend de la structure : les longs et rigides sont dangereux, les flexibles sont éliminés par les macrophages. Or les bénéfices sociaux de ces nanomatériaux sont très clairs : par exemple, Sony les utilise depuis 1991 dans ses batteries lithium-ion pour les téléphones cellulaires. Sans ces nanotubes, vos téléphones n’auraient pu être miniaturisés.

Dorothée Benoit Browaeys : On voit bien la difficulté du choix des consommateurs pour une même dénomination.

Nicolas Feltin, LNE : Pour un physicien, la définition en fonction de la taille n’est pas satisfaisante. Le problème essentiel est qu’on a une réglementation européenne sur la question mais pas de métrologie pour essayer d’y coller. Par exemple, aller chercher 50 % de nanoparticules en taille relève de l’impossible, car on n’a pas les instruments pour cela. On est aussi dans l’incapacité de définir des grandes familles de nanoparticules. Parfois, ce sont des propriétés de surface qui jouent, parfois des propriétés de taille, de forme. Il est plus facile de définir une molécule chimique car trois paramètres suffisent, alors que pour une nanoparticule huit ou neuf paramètres sont nécessaires ; de plus, ils ne sont pas obligatoirement intrinsèques mais dépendent de l’environnement, par exemple pour déterminer l’état d’agglomération des nanoparticules. Une fois ces propriétés identifiées, il faut déterminer des propriétés toxiques.
Or c’est compliqué. Un article de 2013 sur la silice amorphe recensant 25 années d’études toxicologiques montrait que l’on ne peut pas conclure sur sa toxicité. Par ailleurs, dire qu’il n’y a pas de problème dans l’alimentation me paraît hasardeux surtout quand on sait que des particules de silice se trouvent dans les yaourts pour les rendre plus brillants. Ou que, dans des M&M’s, le dioxyde de titane forme la coquille blanche qui permet de donner au bonbon une couleur attractive. Moi en tant que consommateur, je préférerais savoir où sont les nanoparticules et à quoi elles servent !

Didier Noël, EDF R&D :  Dans le domaine des nanotechnologies, il y a une explosion des savoirs et des manières de faire par rapport aux décennies précédentes. Dans cette explosion, ce qui me frappe, c’est l’infinité des possibilités qui va bien au-delà de ce que l’on peut juger aujourd’hui utile ou pas. C’est seulement quand on aura avancé sur les processus d’innovation que l’on saura si tel matériau peut être réellement utile. De plus, le délai entre le moment où l’on pose la question de la toxicité et la réponse est forcément long. Tous les toxicologues du monde ne suffiraient pas à répondre à toutes les questions posées actuellement. Ce sera encore plus le cas à l’avenir.

Yves Genthon, FFB : En tant que consommateur architecte de la Fédération du bâtiment, qui consomme et prescrit des nanoproduits, le fait qu’on me dise qu’un produit est « nano » m’intéresse, ne serait-ce que pour pouvoir en informer mes clients, la directrice de l’école que je construis,
etc. L’étiquetage peut donc avoir du sens.

(1) Le déploiement industriel des nanotechnologies et de la biologie de synthèse sur les territoires, précurseur des manufactures du futur, décembre 2013, page 18. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/144000176/0000.pdf

(2) Laurent B., 2011, Technologies of Democracy: Experiments and Demonstrations, Science and Engineering Ethics, 17, (4), p.649-666.
Laurent B., 2013, Nanomaterials in Political Life: In the Democracies of Nanotechnology, in Brayner R., Fiévet F., Coradin T., (ed.), Nanomaterials: A Danger or a Promise? A Chemical and Biological Perspective, London, Springer, p.379-399.

(3) Voir https://www.r-nano.fr/ 

(4) Chemical Abstract Service, une division de l’American Chemical Society. 

(5) Rapport relatif à l’information des consommateurs sur la présence de nanomatériaux dans les produits de consommation : http://www.economie.gouv.fr/files/directions_services/cnc/avis/2010/140610rapport_nanotechnologies.pdf Avis relatif à l’information des consommateurs sur la présence de nanomatériaux dans les produits de consommation : http://www.economie.gouv.fr/files/directions_services/cnc/avis/2010/140610avis_nanomateriaux.pdf 

(6)NF CEN ISO/TS 13830 Nanotechnologies – Lignes directrices pour l’étiquetage des produits de consommation contenant des nano-objects manufacturés. 

 

 

 

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