L’une des premières mesures prises par Donald Trump après sa prestation de serment en tant que 47e président des États-Unis, le 20 janvier, a été de retirer les États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Trump a entamé le processus de retrait de l’OMS en juillet 2020, au cours de son premier mandat présidentiel. Il a déclaré que l’organisation était trop proche de la Chine et a affirmé, contrairement aux preuves, que l’OMS avait contribué à dissimuler la propagation initiale du COVID-19. La procédure de retrait prenant un an, le président Joe Biden a pu revenir sur cette décision lorsqu’il a pris ses fonctions en janvier 2021. Un départ qui peut s’avérer catastrophique pour la santé mondiale, diminuer l’influence des États-Unis et renforcer le rôle de la Chine, selon les scientifiques.
Aujourd’hui, Trump se sépare de l’agence sanitaire des Nations unies, même si le Congrès pourrait tenter de bloquer cette décision et que des efforts diplomatiques intenses seraient probablement déployés pour maintenir les États-Unis à bord. Une sortie qui prendra effet au plus tôt en janvier 2026. Les États-Unis seraient alors, avec le Liechtenstein, les seuls pays membres de l’ONU à ne pas faire partie de l’OMS.
L’OMS s’est refusée à tout commentaire direct. « De notre côté, nous sommes prêts à travailler ensemble. La relation entre l’OMS et les États-Unis est un bon modèle de partenariat depuis de nombreuses années et nous pensons qu’il en sera de même », a déclaré le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, lors d’une conférence de presse organisée en décembre 2024. « Je crois que les dirigeants américains comprennent que les États-Unis ne peuvent être en sécurité que si le reste du monde l’est aussi. »
Quelles sont les conséquences d’un retrait des États-Unis pour l’OMS ?
Les conséquences pourraient être dramatiques. Au-delà de leurs cotisations, qui s’élèvent à environ 110 millions de dollars par an, les États-Unis sont l’un des principaux donateurs volontaires de l’OMS, avec une contribution de 1,1 milliard de dollars en 2022 et en 2023. Au total, le pays fournit environ un cinquième du budget de l’OMS. D’autres membres pourraient combler une partie de la différence, comme ils l’ont fait lorsque Trump a réduit les contributions des États-Unis au cours de son premier mandat. Mais les pays européens sont confrontés à d’autres défis, tels que la stagnation des économies et la pression pour augmenter les dépenses de défense, explique Ilona Kickbusch, experte en santé mondiale à l’Institut universitaire de hautes études internationales et du développement. Les voix sceptiques à l’égard de l’OMS se multiplient également au sein de l’Union européenne, dit-elle, et pourraient être encouragées à réduire le financement si les États-Unis quittent l’organisation.
Le départ des États-Unis romprait également les liens de l’OMS avec des agences américaines de premier plan, telles que les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) et la Food and Drug Administration (FDA), qui fournissent actuellement des conseils à l’OMS sur toute une série de sujets et reçoivent en retour des informations cruciales. Le fait de quitter l’OMS « isolerait le CDC d’un grand nombre d’informations cruciales pour notre sécurité mondiale », explique la virologue Marion Koopmans, experte en maladies infectieuses émergentes au Centre médical Erasmus, aux Pays-Bas.
Comment les États-Unis pourraient-ils être affectés ?
Ces dernières années, une grande partie de l’argent versé par les États-Unis a servi à répondre aux épidémies et à d’autres situations d’urgence. La perte de ces fonds limiterait la capacité de l’OMS à réagir rapidement, explique Jeremy Konyndyk, président de Refugees International, qui a conseillé l’OMS sur son système de réponse d’urgence après l’épidémie d’Ebola de 2014-16 en Afrique de l’Ouest. Ce serait une mauvaise affaire pour les États-Unis, dit-il, car l’OMS fait un travail qu’aucune autre organisation ne fait actuellement. Il y a eu plusieurs épidémies d’Ebola pendant le premier mandat de Trump, note M. Konyndyk, et parce que l’OMS a activé sa réponse d’urgence, « nous n’avons pas eu besoin de déployer l’armée américaine. Nous n’avons pas eu besoin de dépenser un milliard de dollars de fonds américains pour maîtriser la situation ». M. Koopmans reconnaît qu’un départ rendrait les États-Unis plus vulnérables : « Notre meilleure défense est la collaboration mondiale et le partage des données. »
Quelles seraient les conséquences de cette séparation pour les Américains qui travaillent pour ou avec l’OMS ?
Les citoyens américains employés directement par l’OMS pourraient rester. C’est le cas, par exemple, de l’épidémiologiste Maria van Kerkhove, directrice du département « Préparation et prévention des épidémies et des pandémies » de l’OMS, qui est devenue le visage de l’agence pendant la pandémie de COVID-19. Les citoyens américains pourraient également continuer à siéger dans des conseils consultatifs influents tels que le Groupe consultatif stratégique d’experts sur la vaccination. En revanche, les personnes employées par des agences américaines et détachées auprès de l’OMS devraient très probablement rentrer chez elles. Chaque année, plusieurs dizaines d’employés du CDC, de la FDA et d’autres agences fédérales sont déployées au siège de Genève et dans les zones de crise pour le compte de l’OMS, note Lawrence Gostin, expert en droit national et mondial de la santé à l’université de Georgetown.
On ne sait pas exactement ce qu’il adviendrait des centres de collaboration de l’OMS, dont les États-Unis en hébergent 72, soit plus que tout autre pays. Désignés par l’OMS comme des leaders mondiaux dans leur domaine, ces centres fournissent des analyses et des conseils à l’organisation. (M. Gostin, par exemple, dirige le Centre collaborateur de l’OMS sur le droit national et mondial de la santé). Ils doivent être réautorisés tous les quatre ans par le siège de l’OMS et la Maison-Blanche.
Quelles seraient les conséquences de la décision de Donald Trump sur l’influence des États-Unis en matière de santé mondiale ?
Le pays perdrait son influence à l’Assemblée mondiale de la santé, une réunion annuelle des États membres qui élit le directeur général, examine et approuve le budget de l’OMS et définit des politiques sur des questions telles que l’éradication des maladies, la lutte contre le tabagisme et l’équité en matière de vaccins. Selon M. Konyndyk, la Chine jouerait probablement un rôle beaucoup plus important : « Si votre véritable préoccupation est que l’OMS soit capturée par la Chine, alors le retrait des États-Unis de l’équation ne fait que sceller l’affaire.«
Le Congrès américain pourrait-il bloquer un retrait ?
Les États-Unis ont adhéré à l’OMS par une loi commune du Congrès en 1948. Par conséquent, le Congrès pourrait être amené à se prononcer sur un retrait, explique M. Gostin. « Lorsque le Congrès a adhéré à quelque chose, il est généralement nécessaire qu’il soutienne la décision présidentielle de s’en retirer », explique-t-il. La faible majorité des Républicains dans les deux chambres signifie que quelques dissidents pourraient bloquer l’action de Trump.
L’administration pourrait essayer d’utiliser la menace d’un départ comme monnaie d’échange pour imposer des réformes importantes, dont certaines pourraient être positives, selon M. Gostin : « S’il parvient à un accord pour rendre l’OMS plus résiliente, plus robuste et plus responsable, il rendra service aux États-Unis et au monde entier ». Le fait de rester membre de l’OMS permettrait à Donald Trump de faire pression sur un candidat qu’il apprécie pour succéder à M. Tedros, dont le mandat s’achève en 2027. Si, au contraire, Trump met en œuvre son plan de retrait, M. Gostin estime que « ce serait catastrophique pour les intérêts nationaux et la sécurité des États-Unis ».
Comment réagit l’Europe ?
Les principaux groupes politiques du Parlement européen ont été unanimes dans leur condamnation de la décision de Donald Trump.
« Après avoir nommé un opposant notoire à la vaccination au poste de ministre de la Santé, Donald Trump fait coup double avec une autre décision populiste qui aura des conséquences catastrophiques pour le travail de l’OMS » , a déclaré Manon Aubry, présidente du groupe de la Gauche au Parlement européen.
Vlad Voiculescu, eurodéputé du groupe centriste Renew Europe et ancien ministre roumain de la Santé, a de son côté souligné que l’Union européenne (UE) devrait « intervenir et soutenir l’OMS ».
Avec 14 % du budget de l’OMS, les États-Unis sont le plus grand contributeur financier de l’organisation. Mais selon le président Trump, ces donations sont « largement disproportionnées », notamment par rapport à la Chine.« [La Chine] représente 300 % de la population des États-Unis, mais contribue à 90% de moins à l’OMS », a-t-il expliqué, en annonçant sa volonté de se retirer de l’OMS.
La Commission européenne tente désormais d’étudier comment ce trou financier pourrait être comblé. « Tous les membres de l’OMS [sont invités] à renforcer leurs engagements », explique Eva Hrnčířová, porte-parole de la Commission européenne pour les questions de santé. Mais les experts, les responsables politiques et les ONG doutent que l’OMS puisse remplir ses fonctions vitales sans le soutien des États-Unis.
La coopération scientifique mondiale est-elle mise en danger ?
La coopération mondiale est « vitale pour lutter contre les menaces sanitaires qui touchent tout le monde, y compris les Américains », veut pourtant croire Marc Suzman, directeur général de la Fondation Gates, second donateur de l’organisation après les États-Unis. Il est pourtant peu probable que Bruxelles dispose de l’argent nécessaire pour combler un déficit aussi important. Les États membres ont en effet cherché à réduire le programme de financement de la santé de l’UE en 2025.
Pour l’eurodéputé allemand Tiemo Wölken, membre du groupe des Socialistes et Démocrates européens, la décision du président américain est « imprudente », mais pas surprenante. Selon lui, Donald Trump « ne tient pas compte des faits et de la science ».
Laurent Castillo, eurodéputé Les Républicains du Parti populaire européen (PPE), voit au contraire cette décision comme « une opportunité » pour le continent européen. Les agences et les entreprises pharmaceutiques américaines pourraient désormais de ne pas avoir accès aux données sanitaires clés nécessaires pour développer certains vaccins, comme ceux contre la grippe saisonnière. « Cela pourrait envoyer un message clair : venez innover dans l’UE ! »