Tout ne vas pas au ralenti dans notre système de santé et dans la recherche. Une importante révolution scientifique est en marche pour bouleverser la mortalité des cancers : les tests de dépistage précoces. Ils vont se généraliser d’ici cinq ans et, telle une simple prise de sang, permettront de détecter les tout premiers symptômes avant l’apparition de tumeur. La France a développé une compétence mondialement reconnue et déterminante dans la prévention et la lutte contre le cancer, même si comme le prévient l’OMS, le nombre de cas pourrait augmenter de 60 % dans les deux prochaines décennies, avec les pays en développement comme principales sources de nouveaux cas (1). Explications.
Même si ce fait va à l’encontre de bien des idées reçues, la mortalité réelle par cancer, si l’on tient compte de l’augmentation du vieillissement de la population, ne cesse de diminuer depuis une trentaine d’années, que ce soit au niveau mondial, européen ou national. Il y a seulement 50 ans, à peine plus d’un malade du cancer sur cinq guérissait. À la fin du siècle dernier, c’était quatre malades sur 10 qui pouvaient être sauvés. Aujourd’hui, ce taux de guérison est de l’ordre de 45 % au niveau mondial et il atteint, tous cancers confondus, presque 60 % en France, avec, il est vrai, de grandes disparités dans les taux de survie, en fonction du type de cancer.
Cette évolution très positive, qui résulte des progrès conjoints de la prévention, de la détection et des traitements, s’est poursuivie récemment : la mortalité par cancer dans l’Union européenne a ainsi diminué de 6 % chez les hommes et de 3,6 % chez les femmes entre 2014 et 2019.
En France, le nombre de nouveaux cas a augmenté de 65 % chez l’homme et de 93 % chez la femme, au cours de ces 30 dernières années. Mais il faut rappeler que l’augmentation de ce nombre de nouveaux cas est liée essentiellement à l’augmentation de la population (20 %) et à son vieillissement (39 %), tandis que la part attribuable à l’accroissement du risque intrinsèque de cancer n’a été que de 6 % sur cette période. Au final, la mortalité réelle « nette » par cancer, s’est réduite en France de 54 % pour les hommes et de 25 % pour les femmes depuis 1990, ce qui constitue un progrès tout à fait significatif, bien que peu perceptible par le grand public, car étalé dans le temps.
Il y a trois ans, une vaste étude du Centre Britannique du Cancer a prédit une baisse de 15 %, au niveau européen, du taux de mortalité liée au cancer au cours des deux prochaines décennies. Le Docteur Harpal Kumar, Directeur du Cancer Research UK, prévoit que 75 % des personnes diagnostiquées en 2034 devraient survivre à leur cancer pendant au moins dix ans.
Mais depuis quelques mois, une nouvelle révolution scientifique est en marche, qui pourrait bien venir bouleverser ces prévisions et accélérer considérablement cette baisse globale tendancielle de la mortalité par cancer, que l’on observe maintenant depuis plus de trois décennies dans tous les grands pays développés.
Cette rupture scientifique et médicale majeure est celle des tests sanguins de dépistage précoce qui vont, d’ici cinq ans, se généraliser et devenir des outils routiniers. Ces tests permettront de détecter de manière rapide et précise, à partir d’une simple prise de sang, la plupart des cancers, avant même l’apparition des tout premiers symptômes, et parfois avant que la tumeur ne soit décelable, même avec les outils de diagnostic les plus sophistiqués.
En France, le Professeur Patrizia Paterlini-Bréchot, une scientifique de renommée internationale, a mis au point, après plus de vingt ans de recherche, un nouveau type de test qui permet de détecter par nanofiltration, avec une sensibilité extrême, les cellules tumorales circulantes cancéreuses (CTC) ou précancéreuses (pré-CTC). Ce test, baptisé Iset, est capable d’isoler, à partir de 10 millilitres de sang, jusqu’à une seule CTC parmi 100 millions de globules blancs et 50 milliards de globules rouges !
Des études récentes ont montré, pour certains cancers, l’extraordinaire efficacité de ce test en matière de diagnostic précoce et de diminution de la mortalité. Dans un essai réalisé sous la conduite de Professeurs Hofman et Marquette, à Nice, sur 168 patients, fumeurs à risque de développer un cancer du poumon, Iset a détecté un cancer précoce un à quatre ans avant l’imagerie chez cinq patients. Ceux-ci ont pu se faire opérer immédiatement et, à ce jour, ces patients sont toujours en bonne santé et la maladie n’est pas réapparue.
Une autre étude a été réalisée en Australie chez 265 patients à risque de divers cancers. Dans ce travail, Iset a détecté des CTC ou des pré-CTC chez 132 d’entre eux (24 sont traités, les autres sont surveillés). Pour certains patients pour lesquels le test a permis de détecter des cellules pré-CTC, les médecins ont réussi à éliminer ces cellules malignes à l’aide de traitements immunothérapiques qui réveillent les défenses naturelles de l’organisme. Cette étude a permis de confirmer qu’il est relativement facile d’éliminer complètement, et sans doute définitivement, un cancer, lorsque celui-ci est détecté à un stade extrêmement précoce.
En octobre dernier, à l’occasion du congrès de la société européenne d’oncologie médicale, qui a eu lieu à Barcelone, des chercheurs américains de l’école de médecine d’Harvard ont annoncé qu’ils travaillaient sur un autre test sanguin qui devrait permettre, d’ici 5 à 7 ans, de dépister de façon précoce pas moins d’une vingtaine de cancers parmi lesquels le cancer du sein, du côlon, du poumon, du pancréas et des ovaires.
Les chercheurs ont analysé 3 600 échantillons de sang, dont un tiers prélevé sur des patients atteints de cancer. Ils ont développé une méthode novatrice qui permet de repérer un dysfonctionnement de la régulation de l’expression génétique appelé méthylation anormale, un facteur qui intervient dans le déclenchement de plusieurs cancers. Ces recherches ont montré que ce nouvel outil s’avérait plus sensible et plus puissant que les méthodes conventionnelles de séquençage de l’ADN pour détecter plusieurs formes de cancers. Pour l’instant, ce test permet de détecter la maladie dans 76 % des cas, avec moins de 1 % de « faux positif », ce qui est déjà remarquable.
La sensibilité de ce test, qui varie de 32 % à 96 %, selon le stade, doit encore être améliorée. Mais, comme le précise le Docteur Geoffrey Oxnard qui conduit ces recherches, « La détection précoce, même modeste, des cancers les plus courants pourrait se traduire par le fait que de nombreux patients pourraient bénéficier d’un traitement plus efficace plus rapidement ».
Une autre avancée concerne le cancer du sein, qui est à la fois le cancer le plus fréquent et le plus mortel chez la femme, mais peut être guéri dans plus de 9 cas sur 10 quand il est détecté tôt. Actuellement, la mammographie et la radiographie restent les principales options de dépistage pour les femmes, en particulier chez celles ayant plus de 50 ans.
Mais cette situation pourrait changer, grâce à une autre avancée présentée en novembre 2019 à la conférence du National Cancer Research Institute, qui s’est déroulée à Glasgow. Il s’agit d’un test mis au point par des chercheurs de l’Université de Nottingham, à partir d’une simple prise de sang. Celui-ci sera disponible dans environ cinq ans et pourra détecter le cancer du sein jusqu’à cinq ans avant l’apparition des signes cliniques en identifiant la réponse immunitaire de l’organisme face aux substances produites par les cellules tumorales. Selon ces chercheurs, ce test sanguin pour la détection précoce du cancer du sein devrait permettre, dans les pays à revenus faibles, une détection précoce, massive et peu coûteuse de ce cancer très répandu.
En avril dernier, une équipe internationale de chercheurs conduite par le Dana-Farber Cancer Institute et la clinique Mayo a présenté une étude scientifique portant sur plusieurs milliers de personnes qui ont bénéficié d’un nouveau test sanguin conçu pour pouvoir localiser précisément plus de 50 types de cancer.
Les scientifiques ont travaillé sur 6 689 échantillons de sang, dont 2 482 de personnes diagnostiquées avec un cancer et 4 207 de personnes sans cancer. Les échantillons de patients malades représentaient plus de 50 types de cancer, comme le cancer du sein, le cancer colorectal et la leucémie lymphoïde. Ce test expérimental a permis, dans plus de 90 % des cas où un cancer était détecté, de localiser précisément l’organe ou le tissu touché par le cancer.
Il y a deux mois, c’est un autre test, baptisé CancerSEEK, qui a été présenté à la communauté scientifique internationale. Destiné à la détection des cancers féminins, ce test a été évalué dans le cadre de l’essai DETECT-A (Detecting cancers Earlier Through Elective mutation-based blood Collection and Testing) auprès de près de 10.000 femmes en bonne santé, âgées de 65 à 75 ans sans antécédents de cancer. CancerSEEK, qui vise à détecter des cancers féminins difficile à repérer par d’autres moyens de dépistage, a permis de diagnostiquer 96 cancers sur un suivi de 12 mois.
Citons enfin une dernière étude publiée il y a quelques jours, concernant un test sanguin baptisé « PanSeer ». Ce test, mis au point par une équipe de scientifiques chinois et américains, permet de détecter un cancer de manière non invasive jusqu’à quatre ans avant les méthodes de diagnostic actuelles. Il a permis de déceler cinq types de cancer : cancer de l’estomac, de l’œsophage, du côlon, du poumon et du foie. « Pour la première fois, nous avons pu montrer que, plusieurs années avant que les gens n’entrent à l’hôpital, il y a déjà des signes dans leur sang montrant qu’ils ont un cancer », souligne Kun Zhang, bioingénieur à l’Université de Californie et co-auteur de l’étude.
Les chercheurs expliquent que leur nouveau test est basé sur une technique appelée « analyse de la méthylation de l’ADN », qui recherche des signatures ADN spécifiques aux différents cancers. Pour mettre au point ce test, ces scientifiques ont travaillé sur des échantillons de plasma sanguin prélevés sur plus de 600 individus en Chine durant plusieurs années, entre 2007 et 2014, dans le cadre d’une étude plus large menée par l’Université de Fudan.
A l’issue de cette étude, le test PanSeer a réussi à détecter un cancer dans 91 % des échantillons d’individus qui étaient asymptomatiques lors du prélèvement et qui n’ont reçu un diagnostic de cancer qu’un à quatre ans plus tard. Le test a également été utilisé avec des prélèvements de sang de patients déjà diagnostiqués pour un cancer, avec, dans ce cas de figure, une précision un peu inférieure mais néanmoins très satisfaisante, 88 %. « A terme, nous souhaitons pouvoir effectuer régulièrement des tests sanguins comme celui-ci lors des bilans de santé annuels, mais l’objectif immédiat est de tester les personnes à risque plus élevé, en fonction des antécédents familiaux, de l’âge ou d’autres facteurs de risque connus » souligne Kun Zhang.
La généralisation de ces tests au cours de ces prochaines années pourrait permettre, selon certains spécialistes, de diminuer de 30 % d’ici 20 ans, la mortalité réelle par cancer, ce qui est considérable. Il faut en effet savoir que la grande majorité des décès par cancer n’est pas provoquée par les cancers les plus graves, qui sont heureusement le plus souvent les moins fréquents, mais par des cancers répandus qui sont souvent détectés trop tardivement – en l’absence de symptômes ressentis par le malade – et ont eu le temps de se disséminer dans l’organisme, ce qui rend leurs traitements beaucoup plus difficiles. Mais si la quasi-totalité des cancers pouvaient être détectés de manière très précoce, ils pourraient être guéris ou contrôlés, avec des traitements bien moins lourds et pénibles pour le malade, dans plus de 90 % des cas, et cela changerait tout !
Bien entendu, il ne s’agit pas de tester l’ensemble de la population, ce qui ne serait ni souhaitable, ni efficace, mais de faire bénéficier de ces tests sanguins, qui vont devenir de plus en plus fiables et bon marché, tous les patients « à risque », c’est-à-dire ceux présentant des facteurs objectivement reconnus pour accroître les risques de développer un cancer : âge, surpoids, consommation de tabac, d’alcool, exposition à certaines substances chimiques, prédispositions génétiques… A cet égard, on peut notamment imaginer, qu’avec la généralisation du séquençage complet du génome de chaque individu, il sera possible, d’ici quelques années, de proposer systématiquement et régulièrement ces tests aux personnes présentant des caractéristiques et mutations génétiques augmentant intrinsèquement leurs risques de cancer.
Notre pays, qui a développé dans ce domaine de recherche stratégique des tests sanguins précoces une compétence reconnue dans le monde entier, doit absolument intensifier ses efforts pour rester à la pointe de l’excellence scientifique car, demain, ces nouveaux outils de détection deviendront absolument irremplaçables et déterminants dans la prévention et la lutte contre le cancer, mais aussi dans l’évaluation et la correction en temps réel des stratégies thérapeutiques complexes mises en œuvre pour chaque patient. La généralisation de ces tests sanguins devrait également contribuer à mieux maîtriser, sans altérer la qualité des soins, le coût global de prise en charge des cancers, qui est train d’exploser, avec des immunothérapies qui peuvent coûter jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’euros par patient.
L’avancée scientifique majeure que représente l’arrivée prochaine de ces tests sanguins de détection précoce du cancer confirme enfin la nécessité de mieux articuler et fédérer, au travers d’ambitieux projets de recherche, l’ensemble des disciplines scientifiques, biologie, physique, informatique, chimie, matériaux, pour permettre de véritables ruptures dans la prévention et la lutte contre les trois grands défis médicaux et sociaux de ce siècle : cancer, maladies cardio-vasculaires et maladies neurodégénératives.
René TRÉGOUËT, Sénateur honoraire – Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
L’original de cet article est paru dans la lettre d’information RT Flash
(1) https://www.who.int/news/item/04-02-2020-who-outlines-steps-to-save-7-million-lives-from-cancer