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manger bio

Peut-on vraiment affirmer que le bio réduit de 25 % les risques de cancer ?

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L’information a fait le tour des médias : manger bio réduit de 25 % les risques de cancer ! Lancée d’abord par le quotidien Le Monde qui en a fait sa une, la nouvelle a suscité l’engouement des journalistes de la presse écrite comme audiovisuelle, certains allant jusqu’à affirmer que le bio était la « recette miracle » contre le cancer. A l’origine de cette information, une étude française « d’ampleur » publiée dans la prestigieuse revue médicale américaine JAMA. Pourtant, à y regarder de plus près, l’étude à l’origine de cette information présente, de l’aveu même de ses auteurs, plusieurs biais, et nécessite de conforter nombre de ses bases scientifiques. La prendre pour argent comptant et non comme une simple hypothèse pourrait même conduire le public à des pratiques contre-productives.
 
La Une du Monde dans son édition papier datée de ce mercredi 24 octobre est on ne peut plus claire. Le titre s’étale sur quatre colonnes : « L’alimentation bio réduit sensiblement les risques de cancer ». Pas de guillemets ni de conditionnel, l’affirmation du grand quotidien du soir français est sans réserve. Sous le titre, un chapeau formé de quatre points donnant les principaux résultats de l’étude ; le dernier point indiquant toutefois « Même si l’étude ne peut apporter de conclusion définitive, elle vient ‟conforter un édifice de preuves déjà important »
 
 
L’étude en question, publiée le 22 octobre dans JAMA, a été conduite par une équipe de chercheurs français menée par le professeur Julia Baudry, membre du Centre de Recherche Épidémiologie et Statistique Sorbonne Paris Cité, Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), du Conservatoire National des Arts et Métiers et de l’Université Paris 13-Equipe de Recherche en Épidémiologie Nutritionnelle.
 

Méthodologie d’une étude à sensation

Les chercheurs ont travaillé pendant cinq ans sur une cohorte de 68 946 Français adultes volontaires faisant partie de l’étude NutriNet Santé. Il s’agit d’une cohorte prospective en ligne réalisée en France et visant à étudier les associations entre nutrition et santé, ainsi que les déterminants des comportements alimentaires et l’état nutritionnel. Les bénévoles ayant accès à Internet sont recrutés parmi la population générale et remplissent des questionnaires auto-administrés en ligne en utilisant un site web dédié.
 
L’échantillon analysé ne prétend pas à la représentativité exacte puisqu’il est composé à 78,0 % de femmes, d’un âge moyen de 44.2 ans. Chaque participant a déclaré, sur une liste de seize produits (fruits, légumes, produits à base de soja, produits laitiers, viande et poisson, œufs, céréales et légumineuses, pain et céréales, farine, huiles végétales et condiments, plats préparés, café, thé et tisanes, vin, biscuits, chocolat, sucre et marmelade, autres aliments et suppléments nutritionnels), sa fréquence de consommation d’aliments biologiques étiquetés (jamais, occasionnellement ou la plupart du temps). Pour chaque membre du panel, un score a ainsi pu être calculé en fonction de ses habitudes de consommation.
 
Les auteurs de l’étude précisent que sur les 68 946 membres de l’échantillon, 1 340 premiers cas de cancer ont été identifiés au cours du suivi, les plus fréquents étant 459 cancers du sein, 180 cancers de la prostate, 135 cancers de la peau, 99 cancers colorectaux, 47 lymphomes non hodgkiniens et 15 autres lymphomes. Il apparut que ceux à qui avait été attribuée une cote élevée d’alimentation bio présentaient une occurrence réduite de cancer. Les participants dont la fréquence de consommation d’aliments biologiques était la plus élevée présentaient un risque de 25 % moins élevé de recevoir un diagnostic de cancer pendant le suivi que ceux dont la fréquence était la plus faible. Conclusion immédiate des chercheurs : « Une plus grande fréquence de consommation d’aliments biologiques [était] associée à une réduction du risque de cancer. » Ils ajoutent aussitôt : « Bien que les résultats de l’étude doivent être confirmés, la promotion de la consommation d’aliments biologiques dans la population générale pourrait être une stratégie préventive prometteuse contre le cancer. »
 
Pour compléter l’information, les chercheurs expliquent que les scores plus élevés pour les aliments biologiques et les scores faibles de déclaration de cancer étaient associés à plusieurs autres critères : il s’agit majoritairement de femmes, d’un statut professionnel élevé, possédant des revenus supérieurs à la moyenne, exerçant régulièrement une activité physique et ne fumant pas. Leur alimentation est plus saine, riche en fibres, en protéines végétales et en micronutriments ; cette population est aussi caractérisée par une consommation plus élevée de fruits, de légumes, de noix et de légumineuses et par une consommation plus faible de viande transformée, d’autres viandes, de volaille et de lait. En bref, comme l’explique un des auteurs de l’étude au Figaro, « les participants à NutriNet sont des gens volontaires, très intéressés par la nutrition et la santé », autant de sujets déjà moins à risque que la population générale.
 

Corrélations et confusions

L’analyse de la méthodologie de l’étude laisse penser que l’affirmation tendant à dire que ceux qui mangent bio réduisent de 25 % leurs risques d’avoir un cancer est partielle si ce n’est hâtive.  La corrélation entre le bio et l’absence de cancer n’est pas clairement établie. Ce que dit l’étude c’est qu’une alimentation saine à base de produits végétaux, une vie saine sans tabac et avec de l’exercice physique concourent à éviter de déclarer un cancer. L’étude n’établit nullement d’une façon scientifique que les aliments non bio, porteurs de traces de pesticides provoquent le cancer. Il s’agit simplement d’une conclusion de bon sens, que tout le monde peut entendre, mais qui ne repose pas sur des résultats scientifiques établis. Les chercheurs se gardent bien d’assumer cette conclusion que les journalistes ont allègrement développée. Ils disent seulement qu’il s’agit d’une « hypothèse ».
 
La logique de l’équipe de scientifiques du Pr Baudry se fonde sur d’autres études qui établissent que le risque de cancer serait lié à l’exposition aux pesticides. Ils font référence notamment à des recherches antérieures qui concluent que « le rôle des pesticides dans le risque de cancer ne pouvait être mis en doute ». Ils font également référence à des études, notamment celles de l’Autorité européenne de sécurité alimentaire, qui affirment que les aliments bio recèlent beaucoup moins de traces de pesticides que les aliments conventionnels (6.5 % contre 44 %).
Ils concluent donc naturellement : « En raison de leur faible exposition aux résidus de pesticides, on peut émettre l’hypothèse que les grands consommateurs d’aliments biologiques peuvent avoir un risque moindre de développer un cancer. » Mais cela on s’en doutait déjà. Tous ces moyens engagés pour un tel résultat, Molière aurait certainement adoré.
 

Raccourcis médiatiques

Ces remarques n’atténuent en rien la qualité de l’étude, que la communauté scientifique s’accorde à reconnaître. On peut toutefois s’interroger sur le raccourci qu’ont emprunté les médias en associant consommation bio avec réduction à hauteur de 25 % du risque de cancer. Tous les scientifiques, y compris les auteurs de l’étude, précisent clairement qu’il s’agit d’une hypothèse qui mérite d’être confirmée et approfondie par des analyses plus poussées. En effet, le mode d’administration du questionnaire, avec un principe d’auto-déclaration de la consommation d’aliments bio, risque de créer une confusion avec d’autres facteurs. Il est très difficile de distinguer dans l’occurrence d’un cancer ce qui revient à un type d’alimentation, à un comportement de vie, d’environnement ou à des facteurs socioéconomiques.
Par ailleurs, si les pesticides sont présents dans l’alimentation – et ce fait est démontré par plusieurs études scientifiques – ils sont également présents ailleurs. En l’état, affirmer que le bio est meilleur pour la santé n’est pas en soi choquant mais n’est pas suffisant. Dans un commentaire sur l’article de JAMA, des chercheurs de Harvard notent ainsi que « Les biomarqueurs des pesticides reflètent des sources d’exposition aux pesticides autres que l’alimentation et ne peuvent donc servir d’indicateurs de la consommation d’aliments biologiques ».  Ils ajoutent que cette assertion présente des risques. Selon eux, bien que le lien entre le risque de cancer et la consommation d’aliments biologiques demeure incertain, il existe des preuves convaincantes que l’amélioration d’autres facteurs, comme le poids corporel, l’activité physique et l’alimentation, peut réduire le risque de cancer. L’American Cancer Society recommande à ce titre une alimentation saine qui limite la consommation de viande rouge et traitée ainsi que les sucres ajoutés, qui remplace les céréales raffinées par des céréales complètes et qui augmente celle des fruits et légumes.
 
Laisser entendre que manger bio est « le remède miracle contre le cancer » est abusif et dangereux. En effet, l’alimentation bio, par son coût, est inaccessible à certaines catégories de la population. Celles-ci ne peuvent consommer, pour des raisons économiques, que des produits conventionnels. Or, selon les chercheurs de Harvard, il ne faut pas décourager des habitudes alimentaires saines, notamment une consommation accrue de fruits et légumes, qu’ils soient conventionnels ou biologiques, car « les données actuelles indiquent que les avantages de la consommation de produits conventionnels sont susceptibles de l’emporter sur les risques possibles liés à l’exposition aux pesticides ».
 
Cela ne veut pas dire qu’il faille considérer comme anodin l’usage des pesticides, bien au contraire. Toutes les mesures visant à leur élimination ne feront qu’améliorer la santé et notre environnement. Mais affirmer que le bio est la panacée en matière de cancer joue sur le sensationnalisme et est dénué, en l’état actuel de la recherche, de toute rigueur scientifique. L’article du Monde, même s’il prend des précautions dans le cours de son développement, joue sur cette fibre. Ironie de l’actualité, le même jour, le même journal consacrait une enquête approfondie sur « l’intégrité scientifique » dans la recherche biologique française…
 
 

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