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L’épidémiologie arriverait à bout de souffle

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C’est le professeur Arnaud Fontanet, épidémiologiste de renom (1), qui le déclare : « Après une période faste qu’on pourrait appeler les trente glorieuses, de 1960 à 1990, l’épidémiologie commence à s’essouffler ». L’épidémiologie fournit des méthodes pour mesurer l’état de santé d’une population, et pour identifier les causes des maladies. Elle est la science subtile de l’estimation du risque qui a joué un rôle déterminant dans l’augmentation de l’espérance de vie au XXe siècle. Or, alors que la microbiologie avait permis d’identifier les agents responsables des maladies infectieuses – à chaque infection son microbe -, les recherches butent sur de nouvelles causes plurifactorielles. Alors, devons-nous craindre des pandémies non annoncées ? Quels sont encore les apports concrets de cette discipline à la santé humaine ?
 
Nous vivons plus longtemps et en meilleure santé que les générations qui nous précèdent. Le gain d’espérance de vie au XXe siècle, supérieur à 30 ans dans les pays industrialisés, est sans commune mesure avec les maigres avancées des siècles passés.  Aux Etats-Unis, le recul  des  maladies  infectieuses,  suite  aux progrès de l’hygiène, a permis de gagner 23 années entre 1900 et 1950. Le gain d’espérance de vie a été plus modeste durant la deuxième moitié du même siècle, estimé à sept années, et peut être attribué à parts égales aux progrès de la médecine et de la santé publique. Ce sont, par exemple, des études épidémiologiques réalisées dans les années 1940 et 1950 qui ont, pour la première fois, lié le cancer du poumon à la cigarette. La vaccination et les antibiotiques ont permis de consolider les acquis obtenus contre les maladies infectieuses. Mais avec l’allongement de l’espérance de vie, de nouvelles maladies au développement plus lent viennent supplanter les pathologies infectieuses au premier rang des causes de mortalité. Infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, cancers et bientôt maladies neurodégénératives sont les nouveaux fléaux des temps modernes.
 
Depuis le début des années 1990, l’épidémiologie fait l’objet de discussions et de débats parfois vifs entre spécialistes : effet d’aubaine de certaines études, difficultés à ajuster et discriminer des facteurs multiples dans le cas de certaines maladies chroniques, modélisation statistique sophistiquée laissant parfois l’impression de « boîte noire », incapacité à tenir compte des contextes sociaux sous-jacents aux comportements et aux événements de santé, etc.
 
C’était sans compter sur les progrès de la génétique moléculaire et l’entrée de l’épidémiologie dans l’ère des « Big data » avec l’accès aux données du séquençage du génome humain et l’arrivée d’immenses banques de données biologiques (UK Biobank, Million Veteran Study, etc.), qui ont entraîné un renouveau de la discipline et suscité de nouveaux espoirs. Les approches méthodologiques n’ont pas cessé d’évoluer depuis. L’aventure vers une médecine et une santé publique de précision orientées vers la prévention ne fait donc que commencer.
En s’appuyant sur des cohortes de centaines de milliers d’individus suivis pendant plusieurs dizaines d’années, et des méthodes d’analyse statistique sophistiquées, l’épidémiologie va identifier les principaux facteurs de risque cardio-vasculaires, et le rôle du tabac, de l’alcool, et de plusieurs expositions environnementales à l’origine de nombreux cancers. Vont en découler des recommandations sur le dépistage de l’hypertension artérielle, du diabète, et des campagnes de lutte contre tabac et alcool notamment, contribuant ainsi largement au gain d’espérance de vie de la deuxième moitié du XXe siècle.
Pour le Pr Fontanet, l’épidémiologie, à travers son histoire et les défis auxquels elle est confrontée, demeure une discipline exigeante et capable d’évoluer pour affiner toujours plus notre compréhension des causes de la maladie, notamment les nouvelles pandémies dont le rythme d’émergence est estimé à cinq ans.
 

Le big data au service de la santé ?

Néanmoins, alors que la microbiologie avait permis d’identifier les agents responsables des maladies infectieuses – à chaque infection son microbe – le Pr Fontanet estime que les recherches butent sur les causes plurifactorielles de ces maladies non transmissibles. Certes, la physiologie expérimentale et la biologie permettent de comprendre les mécanismes associés au développement des affections  cardio-vasculaires  et  des  cancers,  mais  la  part  de  ces  maladies  qui  revient  à  nos  gènes,  nos comportements, ou nos expositions environnementales reste une énigme.
Les principaux facteurs de risque comportementaux des maladies chroniques ont été découverts, et la discipline se heurte à l’exploration plus complexe des déterminants génétiques ou environnementaux. Les outils d’investigation et de mesure manquent, et les effets faibles attendus sont difficiles à mettre en évidence.  Il suffit de prendre l’exemple de certains pays émergents où les « données sont collectées mais ne sont pas analysées », selon une enquête du Monde de ce 22 janvier 2019 sur la mauvaise gestion des registres épidémiologiques, pourtant précieux pour la santé publique.
 
Par ailleurs, de nouvelles études contredisent les précédentes et laissent penser que plusieurs des résultats publiés correspondent à des associations fortuites liées à des fluctuations aléatoires d’échantillonnage, voire des biais méthodologiques inhérents à la discipline. Dans ce contexte incertain, les progrès de la génomique au début du XXIe siècle ouvrent de nouvelles perspectives : l’analyse du génome humain dans son intégralité va pouvoir être intégrée dans les modèles prédictifs des maladies.
Plus généralement, l’accès à de nouvelles sources de données massives d’origines multiples, les « big data », devient possible : dossiers médicaux électroniques, réseaux sociaux, objets connectés, capteurs de polluants atmosphériques vont contribuer au volume d’informations disponibles pour le chercheur. Grâce à ces énormes quantités de données médicales concernant les patients, leur histoire et leur environnement, cette nouvelle abondance de données ne va pas sans difficultés et contraintes réglementaires, éthiques, et analytiques ; et comme beaucoup d’autres disciplines, elle va faire appel à l’intelligence artificielle pour pallier aux insuffisances des méthodes d’analyse existantes. Des cohortes d’un nouveau genre se mettent en place, comme celle de la UK Biobank, avec 500 000 participants recrutés en 2006, ayant tous bénéficié d’un séquençage complet du génome, et d’une mise à disposition de leurs données médicales. Les débouchés attendus sont ceux de la médecine de précision (traitement adapté à l’individu), étendus à la prévention, où chacun recevra des conseils de prévention et de dépistage sur la base de son risque individuel d’être affecté par telle ou telle maladie selon son génome. Beaucoup d’interrogations subsistent cependant, outre la complexité  des  analyses  à  réaliser,  la  première  concernant  la  volonté  des  individus  à  changer  leurs comportements sur la base du résultat d’analyses de prédisposition génétique.
 
Plus fondamentalement, ces approches individualistes s’éloignent des recommandations universelles prônées par la santé publique. Et la persistance de disparités sociales prononcées en termes d’espérance de vie montre que beaucoup reste à faire pour combler les inégalités en termes de comportements à risque, d’expositions environnementales, et d’accès aux soins, sans avoir besoin de recourir à des approches individuelles sophistiquées.
 

Renforcement des capacités de surveillance

Quant aux maladies infectieuses, elles se sont douloureusement rappelées à nos mémoires avec l’irruption brutale du SIDA au début des années 1980. Grippe aviaire, maladie de la vache folle, SRAS, chikungunya, Ebola, Zika,… autant de crises sanitaires provoquées par des agents infectieux dits émergents, menaçant l’ensemble de la planète.
Liées pour la plupart à des virus venus du monde animal, ces nouvelles maladies se propagent en quelques semaines dans un monde densément peuplé et de plus en plus mobile. Cette très grande connectivité qui est notre vulnérabilité est aussi notre force : une fois l’alerte lancée, nous sommes capables d’intervenir rapidement sur place de façon concertée, et de partager informations, échantillons et données. Les approches « big data » devraient même à terme nous permettre de partager en temps réel les séquences de pathogènes réalisées localement et ainsi reconstruire les chaines de transmission pour un meilleur contrôle des épidémies.
 
Ces perspectives encourageantes ne doivent pas nous faire oublier que nombre de ces émergences infectieuses ont lieu aujourd’hui dans des pays aux structures sanitaires délabrées, ou en proie à des conflits armés qui rendent l’intervention très difficile. Rappelons-nous qu’il a fallu quatre mois entre les premiers cas et l’identification du virus Ebola lors de la grande épidémie de 2013‐2014   en   Afrique   de   l’Ouest,   et   qu’aujourd’hui   la   réponse   à   l’épidémie   en   cours   en   République Démocratique du Congo se heurte à l’opposition armée de milices locales. La maîtrise du risque infectieux à l’échelle planétaire passera d’abord par un renforcement des capacités de surveillance et de réponse des pays les plus pauvres.
 
Arnaud FONTANET, Professeur du Cnam et de l’Institut Pasteur, a été invité à occuper la Chaire Santé publique du Collège de France (année 2018‐2019).  Leçon inaugurale le jeudi 31 janvier 2019 à 18h00 (Programme).
 
(1) Ancien interne des hôpitaux de Paris, docteur en médecine (Université Paris V) et en santé publique (Université de Harvard), le Professeur Fontanet est spécialisé en épidémiologie des maladies infectieuses et tropicales. Ses principaux thèmes de recherche sont les hépatites virales et les virus émergents, ce qui l’a conduit à piloter plusieurs projets pour le compte de l’ANRS (Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales) et de l’ANR (Agence nationale de la recherche) : projet HEPNILE sur les hépatites virales en Egypte, étude des microcéphalies liées au virus Zika en Afrique et en Asie, des encéphalites aiguës chez les enfants au nord-­‐Vietnam, de  l’épidémie  de  SRAS, de  MERS, et  bien  d’autres  affections  apparentées  soit  à  des  maladies émergentes soit à des maladies négligées (ulcère de Buruli).
Arnaud FONTANET est également le directeur de l’Ecole Pasteur-Cnam de Santé Publique qu’il a fondée, et du Centre de Santé Globale de l’Institut Pasteur. Ayant poursuivi une carrière alliant l’action de terrain, la recherche et l’enseignement, il a conçu de nombreux cours, notamment le MOOC « Concepts et méthodes en épidémiologie » (France université numérique). Il intervient également en épidémiologie, biostatistique et santé publique à   l’Institut Pasteur, au  Cnam, à  Sciences-Po, à  Sorbonne‐Université, à l’Ecole normale supérieure, etc.
 
Pour aller plus loin
 
Nouvelles recommandations de Santé publique France du 22 janvier 2019 sur l’alimentation, l’activité physique et la sédentarité, à partir des compétences spécialisées en épidémiologie, prévention et promotion de la santé.
 

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