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Refonder la santé publique

Refonder la santé publique

Comment prévenir les fragmentations ?

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Selon une étude du ministère de la Santé publiée ce mercredi 29 septembre, plus de 5 700 lits d’hospitalisation complète ont été fermés en 2020 dans les établissements de santé français. Le Covid-19 n’a pas interrompu la réduction des capacités hospitalières. Au contraire, la crise sanitaire a en partie amplifié les fermetures de lits. Signe de ce déclin, la France compte désormais moins de 3 000 hôpitaux et cliniques. « Sous l’effet des réorganisations et des restructurations », 25 établissements publics et privés ont fermé l’an dernier. Des réductions qui s’opèrent alors que l’horizon de la santé publique paraît des plus tumultueux et qu’une refondation s’avère indispensable. Le professeur Jean-François Toussaint nous invite à y réfléchir dans cette tribune exclusive.

Aiguillonnées par un pouvoir en quête d’une réduction infinie des risques, les prochaines stratégies de santé publique vont tenter de palier les limites actuelles de nos systèmes de santé. Leur élaboration doit cependant éviter le trop court terme et cerner le cadre des difficultés attendues au milieu de ce siècle afin de définir les conditions qui permettront de préparer les jeunes générations à y faire face.

Leurs actions doivent être déclinées vers les plus jeunes, notamment dans trois des principaux domaines de prévention : nutrition, condition physique et vaccination[1].

A ces objectifs pratiques, doit s’associer une dimension d’espoir, sans laquelle aucune solution ne saurait être mise en œuvre car les crises successives ne cessent d’assombrir leur avenir et les restrictions récemment surimposées auront des conséquences durables sur leur insertion et leur place dans la société future.

Les prochaines crises

Les prochaines crises sanitaires seront complexes. Elles mêleront des facteurs énergétiques, climatiques, démographiques, infectieux, alimentaires, avec de multiples conséquences économiques, géostratégiques et militaires. Sous les coups redoublés de ces multiples contraintes, les personnes très âgées, les personnes souffrant de maladies chroniques avancées (insuffisances cardiaques, respiratoires, rénales, etc…), les personnes souffrant de cancers invasifs ou d’obésité morbide décéderont en plus grand nombre dans les prochaines années. Il est essentiel de pouvoir les accompagner dignement mais une augmentation significative de leur espérance de vie est de moins en moins probable.

Dix ans après l’épidémie de grippe H1N1, la pandémie de Covid-19 a montré de nouveau la très grande fragilité de ces personnes et l’accroissement de leurs risques. L’âge médian au décès (proche ou supérieur à l’espérance de vie dans la plupart des pays touchés) a révélé cette vulnérabilité associée au vieillissement. La part considérable de sujets souffrant de surpoids ou d’obésité parmi les personnes en soins critiques et en réanimation a montré par ailleurs la susceptibilité majeure due aux troubles métaboliques. Ces facteurs combinés expliquent une très grande part des pertes de résilience et l’incapacité à faire face à une agression nouvelle. 

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Les principales contraintes sanitaires du XXIe siècle seront climatiques et infectieuses mais, contrairement à ce qu’elles ont connu à la fin du XXe, les sociétés humaines les subiront dans un contexte dégradé.

On doit s’attendre à ce que nos prédateurs primaires — virus, bactéries, parasites, …— redeviennent la principale source de décès. Mais, à la différence de la pandémie de 2020, ces pathologies (dont le développement sera favorisé par le déclin de nos capacités d’organisation) toucheront à nouveau bien plus largement les enfants.

Les vingt premières années du siècle ont vu se renforcer la fréquence et l’intensité des événements climatiques extrêmes, en cohérence avec les scénarios conventionnels (business as usual) élaborés il y a plus de 50 ans. Les points de bascule, franchis les uns après les autres, mettent en place les boucles de rétroaction qui accélèrent le processus en cours.

Les inondations, dômes de chaleur et méga-incendies vécus sans relâche ces derniers mois sont les signes de cette accélération. Les prochaines décennies verront s’intensifier ces phénomènes, au Nord   comme au Sud, avec des impacts majorés sur les communautés aux plus faibles revenus, cependant que les pays à haut revenus, aux populations plus âgées et plus sédentarisées, seront soumis à un processus de stagnation globale.

Aux tensions géopolitiques croissantes, s’ajouteront les remises en question des choix qui avaient guidé les réussites passées, les reculs socio-économiques de pays voisins et les impacts cumulatifs de long terme associés aux pollutions environnementales.

Faute d’espérance, le refus – conscient ou non – des populations vieillissantes ne facilitera pas la mobilisation pourtant indispensable aux changements adaptatifs requis et le déni du long terme continuera de guider les choix socio-politiques futurs.

La peur risque enfin de freiner les réactions de ces communautés, paralysées par les enjeux et par leur incapacité flagrante à y faire face — si ce n’est en reportant à plus tard, et sur d’autres têtes, les décisions douloureuses, conduisant à des phases de fragmentation sociétale aggravée

Car nos sociétés, établies sur la Technê, ne fonctionnent plus dorénavant que sur le principe d’une gigantesque pyramide de Ponzi, empruntant aux générations suivantes les conditions de leur confort physique, énergétique, sanitaire, intellectuel et moral. Leurs décideurs, soumis au vote de ces populations vieillissantes, ne cherchant plus, si ce n’est dans les mots, à s’opposer aux choix de facilité, chacun doit s’attendre à subir la brutalité des retournements de tendances.

Perspectives

Climat  

Dans le but de maintenir notre confort, nous refusons de prendre la seule décision efficace en termes de réduction des gaz à effet de serre : cesser le recours aux énergies carbonées. En raison du développement lent d’autres types d’énergie, et compte tenu des quantités en jeu, cela reviendrait à faire cesser les trois quarts de l’activité économique et ruiner un train de vie, déjà en grande instabilité, mais aussi la qualité des systèmes de soin des pays avancés. Aucune décision forte n’a donc été prise en ce sens depuis les intentions simulées lors de la COP21 et malgré l’Accord de Paris alors qu’il convient d’accélérer la décarbonation des activités humaines en interrompant leur dépendance aux énergies fossiles.

Vieillissement

Par la réduction initiale des mortalités, l’augmentation de l’espérance de vie tient encore lieu de succès universel et de mesure tangible des bénéfices du développement. Mais son corolaire, le vieillissement, devient le signe d’une immense fragilité, alors que le contexte se retourne peu à peu. Seules quelques utopies technologiques tentent encore de masquer la réalité. Or, si ce n’est en facilitant l’accompagnement des ainés et l’acceptation de leur départ, si douloureux soit-il, peu de mesures paraissent efficaces dans ce cadre[2]. L’une des autres limites de la prise en charge actuelle des personnes âgées repose aussi sur une continuité insuffisante, avec les hôpitaux notamment, et montre que la domotique ne suffit pas à résoudre les problèmes du vieillissement humain, beaucoup plus dépendant des qualités humaines de l’entourage au bout de la vie.

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Lutte contre la sédentarité

S’il est très difficile de lutter contre le temps, en revanche un vrai plan de lutte contre la sédentarité   optimisant les fonctions cardio-respiratoire, immunitaire, psychique, etc. par le développement de l’activité physique ou sportive en tout lieu (en commençant par l’école) est indispensable, alors que toutes les régions, tous les âges et toutes les communautés sont concernés. Déjà identifiés au cours de l’épidémie H1N1, ces risques en croissance constante concernent entre 60 et 80% des patients en réanimation depuis le début de la pandémie. La mise en œuvre urgente de mesures effectives et d’actions coordonnées doit notamment cibler le développement et le maintien de la condition physique individuelle (incluant le déploiement des mobilités actives, qui présentent d’importants co-bénéfices sanitaires et environnementaux). 

Prédateurs primaires

Il conviendra également de développer la recherche sur les traitements curatifs (nouvelles classes antivirales, antibiotiques, antiparasitaires et antifungiques) et préventifs (vaccins) ainsi que sur le diagnostic ; favoriser leur développement industriel en France et en Europe, en assurant la robustesse des capacités de production et la sécurité des approvisionnements et en valorisant la souveraineté industrielle en santé. Au niveau institutionnel, le renfort des capacités de prospective favorisera la prise en compte du long terme dans toutes les stratégies sanitaires.

Il faudra veiller à renforcer les équipes de recherche en infectiologie (principal risque du XXIe siècle, tous pathogènes confondus) et les organiser autour d’une réflexion centrée sur la complexité des interactions et les causes des accroissements des résistances, émergences et réémergences. Le déficit actuel en équipes d’épidémiologie observationnelle, bien au-delà de l’activité de modélisation, doit être comblé afin qu’elle puisse notamment évaluer l’efficacité des mesures non pharmacologiques par l’appréciation de leurs impacts à toutes les échelles de temps (DALY, QALY …) et en termes d’années de vie, gagnées ou perdues.

 

Quant aux institutions, toutes doivent se sentir concernées par les tempêtes à venir et maintenir en leur sein des visions multiples, et non conventionnelles, sur l’objectif lointain de survie. Pour toute décision retenue, il conviendra alors de fiabiliser la production des données statistiques, permettant de valider leur efficience, en intégrant systématiquement l’évaluation des conséquences de long terme, sur la santé mentale par exemple, et sur les plans socio-économiques (notamment leurs impacts sur les populations les plus fragiles ou les plus à distance des systèmes de santé & de soin, ou les plus à distance du risque, qui subissent aussi les effets différés des décisions).

Enfin, s’ils sont utiles pour la conduite opérationnelle, il sera préférable d’éviter la communication régulière de batteries d’indicateurs d’alerte précoce, qui participent plus de la mise en tension d’une société que de sa capacité d’organisation ou de sa réactivité légitime. Alors que nous connaissons tous désormais notre probable destin, il ne manquerait plus que chacun passe son temps à s’angoisser à la moindre corne de brume indiquant l’heure de la marée.

Le choix de la publication de tables de risque individuel est de loin préférable. Participant de la démocratie sanitaire, ces connaissances renforcent la décision personnelle des citoyens, comme celle des professionnels, et permettent à chacun de se positionner au regard de ces risques, dans un rapport éclairé à ses propres critères et choix de santé.

Jean-François Toussaint, Professeur de Physiologie, Université de Paris, CIMS Hôtel-Dieu, APHP   –   Review Editor AR6, IPCC / GIEC, Directeur de l’IRMES

[1] Nutrition : assurer la sécurité alimentaire par la préservation des productions agricoles nationales et le développement de modèles productifs en adéquation avec les contraintes du vivant. Condition physique : développer les mobilités actives et le sport tout au long de la vie, en commençant par l’école. Maladies infectieuses : assurer le financement et la pérennité des campagnes de vaccinations vis-à-vis des principales maladies de l’enfance et de l’adolescence et de leurs conséquences à long terme.

[2] L’une d’entre elles, avec de plus petites structures d’hébergement, permet, en réduisant la densité face au risque infectieux, de limiter les contaminations locales. Ce facteur pourrait expliquer les impacts différents du Covid entre la Suède, présentant des établissements de taille comparable à celle de nos EHPAD, et la Norvège avec des structures plus réduites.  &  Brown KA, et al. Association Between Nursing Home Crowding and COVID-19 Infection and Mortality in Ontario, Canada. JAMA Intern Med. 2021 ; 181(2) : 229-36.

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agdga@free.fr
3 années

Merci Monsieur Toussaint pour cet article disant les choses véritablement.
Votre analyse intelligente et sans fard de la situation fait écho à ce qui relevait de mon côté d’un ressenti. La lecture de votre article me rassérène paradoxalement.

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