L’enfer numérique – Voyage au bout d’un Like, de Guillaume Pitron – Edition Les Liens qui Libèrent (LLL), 15 septembre 2021 – 352 pages
Trois ans après La Guerre des métaux rares – un succès mondial traduit en dix langues, Guillaume Pitron signe une nouvelle enquête haletante dans les coulisses du numérique. Il répond à bon nombre de questions que les utilisateurs d’objets connectés ne se posent pas et qui sont pourtant essentielles : Quelles sont les conséquences physiques de la dématérialisation ? Comment les données impalpables pèsent-elles sur l’environnement ? Quel est le bilan carbone du numérique ? Ce thriller journalistique révèle que le virtuel a non seulement un coût, mais aussi un poids écologique et une matérialité.
« Les technologies digitales mobilisent aujourd’hui 10 % de l’électricité produite dans le monde et rejettent près de 4 % des émissions globales de CO², soit le double du secteur civil aérien mondial« .
Comment se douter qu’un simple Like envoyé depuis nos smartphones mobilise ce qui constituera bientôt la plus vaste infrastructure édifiée par l’homme ? Que cette notification, en traversant les sept couches de fonctionnement d’Internet, voyage autour du monde, empruntant des câbles sous-marins, des antennes téléphoniques et des datacenters implantés jusque dans le cercle arctique ?
De la ville de Masdar à Abou Dhabi, star des Smarts Cities, pionnière du numérique au service de l’écologie, aux rives du fleuve Luleä qui alimente en énergie les datacenters – centre de stockage de données délocalisées en Laponie, en passant par les mines de graphite à Mashan en Chine ou les couloirs de l’administration estonienne – Etat qui a fait le pari du tout-digital, cette investigation explore les arcanes du numérique et met en lumière l’impact énergétique, les enjeux économiques et les conflits géopolitiques qui sous-tendent l’évolution vers un monde tout-connecté.
Le paradoxe entre un monde dématérialisé et l’augmentation physique d’infrastructures pour soutenir cette virtualité grandissante apparaît au grand jour. La matérialité prend de nombreuses formes : smartphones, tablettes, ordinateurs, robots et tout autre objet connecté qui émet et reçoit les données, puces électroniques, centres de stockage de données, routeurs, serveurs, antennes, câbles marins et satellites, mais également tout un réseau d’énergie qui permet le fonctionnement de ces infrastructures. Le « sac à dos écologique » du numérique s’avère plus lourd encore que ce qu’on pouvait imaginer. Au bilan carbone s’ajoute un « bilan ressources » jusqu’ici déconsidéré.
« A nous engager, tête baissée, dans un monde prétendument éthéré et libre de tout carcan physique, nous fuyons cette évidence qui, inéluctablement, nous rattrape : un monde dématérialisé sera un monde toujours plus matérialiste.«
Quelle est la géographie de nos clics et de nos données ? Quels enjeux écologiques et géopolitiques charrient-ils à notre insu ? À l’heure du déploiement de la 5G, des voitures connectées et de l’« intelligence artificielle », cette enquête, menée durant deux ans sur quatre continents, révèle l’anatomie d’une technologie qui n’a de virtuel que le nom. Et qui, sous couvert de limiter l’impact de l’homme sur la planète, s’affirme déjà comme l’un des défis environnementaux majeurs du XXe siècle.
La fuite par le haut, à savoir le recours à l’innovation technologique et l’intelligence artificielle pour contrôler l’impact humain sur l’environnement, est également déboulonnée. La consommation énergétique et de ressources nécessaires à la mise en place, au maintien et à l’entretien d’un univers tout numérique est exponentielle, et prétendre réguler la pollution humaine par ce moyen est autant un mirage que l’idée d’une « ville verte » en plein désert…
Journaliste et réalisateur de documentaires, Guillaume Pitron est connu pour ses enquêtes sur les enjeux économiques, politiques et environnementaux de l’exploitation des matières premières. Son premier ouvrage, La Guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique (Les Liens qui libèrent), traduit dans une douzaine de pays, a été décliné en documentaire sur la chaîne Arte.