Abrume – Sur les traces des cabanes libres, de Gauthier Delvert et Raphaël Guillemette – Editions Ulmer, 24 octobre 2024 – 216 pages – 220 photos
Dans leur ouvrage « Abrume, sur les traces des cabanes libres« , Raphaël Guillemette et Gauthier Delvert nous entraînent dans une odyssée architecturale et émotionnelle à travers les étendues sauvages de France. Le livre dévoile une série de refuges nichés au cœur de la nature, souvent invisibles sur les cartes officielles, mais incroyablement riches en histoires et en possibilités. Qu’est-ce qu’une « abrume » ? C’est une « cabane qui se dévoile dans une brume épaisse après une journée de marche, quand le ventre se creuse, que les jambes sont lourdes et les vêtements trempés. Une fine fumée s’élève derrière un talus, une odeur de feu de bois vient chatouiller les narines, et l’abri se dessine peu à peu. L’abrume apparaît enfin.«
Dans chaque abrume, un dessin technique présente et décrypte toutes les particularités, les techniques et les matériaux employés. Plus qu’un simple relevé, il met en valeur ces architectures vertueuses, réalisées sans architecte. Pour chacune d’entre elles de nombreux encadrés présentent la topographie des environs, les techniques de construction employées, les matériaux utilisés, les aménagements intérieurs… Une cartographie détaillée de ce patrimoine vertueux.
Partis plus d’un an et demi sur les traces des cabanes sauvages, des abris sans gardien, ouverts à tout le monde toute l’année, les deux jeunes architectes rendent hommage à ce patrimoine fragile et méconnu qui forme un monde à la lisière de la civilisation, là où les traits des cadastres ont été gommés par le temps.
Perdues dans les forêts de Champagne, isolées sur le plateau du Vercors, accrochées à une montagne des Pyrénées, camouflées dans les vallées d’Occitanie, ces cabanes libres, qu’ils ont rebaptisées pour mieux les protéger, rythment nos paysages. Elles sont autant de possibles pour repenser notre manière d’explorer et d’habiter le monde, de bâtir et de vivre ensemble.
Les auteurs, deux jeunes architectes animés par un profond respect pour ces espaces de liberté, ont parcouru ces régions si variées pour documenter des lieux de passage qui offrent repos et abri aux âmes aventurières. Ils posent un regard à la fois tendre et critique sur ces constructions éphémères, explorant leur signification dans un monde de plus en plus régulé et privatisé.
Ce périple, aussi physique qu’intellectuel, est présenté comme une quête de sens, une manière de repenser notre rapport au monde et à la cohabitation. Leur narration, enrichie de descriptions visuelles et olfactives, rend le lecteur complice de leur aventure, partageant le soulagement et la joie de découvrir une « abrume » après une longue journée de marche. Les cabanes, redéfinies et rebaptisées par les auteurs, émergent comme des symboles de résistance passive contre l’emprise croissante de la civilisation sur les territoires sauvages.
Cependant, le livre soulève également des questions éthiques pertinentes sur la durabilité et la conservation de ces habitats précaires. En les révélant au grand public, les auteurs risquent-ils de perturber l’équilibre fragile de ces lieux ? Cette interrogation sous-jacente ajoute une couche de complexité à leur hommage, invitant à une réflexion sur le rôle de l’architecte et du documentariste dans la préservation des espaces sauvages.
« Abrume » est donc plus qu’un simple recueil de photographies ou un guide des cabanes libres ; c’est une méditation sur la solitude, la liberté, et notre responsabilité collective envers les lieux non domestiqués de notre monde. Les lecteurs en quête d’aventure ou de solitude y trouveront une source d’inspiration profonde, tandis que les amoureux de l’architecture et de la nature y découvriront un plaidoyer poétique pour un monde où l’on peut encore se perdre pour mieux se retrouver.
Gauthier Delvert, architecte et ancien scout de France, a toujours eu le goût du campement en itinérance. Passionné de géographie et amoureux des grands espaces, il se rend en Asie du Sud-Est pendant six mois. Il décide de revenir en France par voie terrestre, curieux de découvrir la diversité des territoires traversés au fil du voyage. Depuis, il part régulièrement à la rencontre de paysages méconnus, en France et en Europe.
Raphaël Guillemette, architecte, se découvre très jeune une passion pour la randonnée lorsqu’il s’aventure pour la première fois dans les Highlands, en Écosse, où il est fasciné par les bothies, d’anciennes bergeries utilisées comme refuges par les randonneurs et les randonneuses. Depuis, il part chaque année en France ou en Europe arpenter les territoires sauvages avec sa tente et son sac à dos.