Ce 3 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a ordonné à l’État français de revoir en profondeur ses procédures d’évaluation et d’autorisation des pesticides, jugées obsolètes. Une décision historique, fruit du combat judiciaire engagé par plusieurs associations dans le cadre du dossier Justice pour le Vivant, qui marque un tournant dans la reconnaissance de la responsabilité de l’État face à l’effondrement de la biodiversité.
C’est une première en Europe et un signal fort adressé aux autorités : la justice française contraint désormais l’État à aligner ses pratiques sur l’état actuel des connaissances scientifiques en matière de pesticides. Par son arrêt du 3 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Paris confirme la responsabilité de l’État dans la crise de la biodiversité et impose une réforme de ses protocoles de contrôle et d’autorisation. Cette victoire, obtenue après trois années de mobilisation acharnée par un collectif d’associations environnementales, intervient dans un contexte politique tendu, marqué par le vote controversé de la loi Duplomb. Elle consacre la légitimité de décennies d’alertes citoyennes et scientifiques, et ouvre la perspective d’actions similaires à l’échelle européenne.
Deux ans après la première condamnation de l’État, le 29 juin 2023, pour sa responsabilité dans la contamination massive des écosystèmes par les pesticides, la cour administrative d’appel de Paris reconnaît à nouveau la « contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les produits phytopharmaceutiques ».
Suivant les conclusions de la rapporteure publique, la cour ordonne à l’État d’actualiser les protocoles d’évaluation et d’autorisation des pesticides insuffisamment protecteurs du vivant, ainsi que de revoir les autorisations de mise sur le marché (AMM) actuellement en vigueur d’ici à 24 mois, et pour lesquelles la méthodologie d’évaluation n’aurait pas été conforme aux exigences notamment du principe de précaution. Principe qui « impose aux États membres de procéder à « une évaluation globale fondée sur les données scientifiques disponibles les plus fiables ainsi que les résultats les plus récents de la recherche internationale ». » (§29 p.14). Elle enjoint également à l’État d’établir dans les six mois prochains un calendrier de révision des AMM concernées.
Concrètement, la cour reconnaît des failles dans la procédure d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché conduite par l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) sous la responsabilité de l’État. Reconnaissant un lien de causalité direct entre les insuffisances de l’évaluation des risques et le déclin de la biodiversité, elle considère qu’il est établi qu’une actualisation des procédures à l’aune des connaissances scientifiques les plus récentes permettrait de réduire les impacts sur l’environnement des pesticides.
Pour les associations requérantes, cette décision est plus qu’historique : “C’est une véritable révolution juridique et scientifique ! Dans un contexte d’attaques constantes contre l’environnement, et alors que le Parlement vient de voter la mortifère loi Duplomb, la justice réaffirme son rôle de contre-pouvoir en mettant un coup d’arrêt à la politique désastreuse de nos décideurs en la matière. C’est une décision qui va tout changer : dans les pratiques agricoles, les politiques publiques, et la façon dont l’État considère enfin la santé et l’environnement. Elle est le fruit d’un combat de longue haleine, porté par des scientifiques, des associations, des citoyens et citoyennes mobilisé·e·s partout en France — une véritable victoire collective qui s’inscrit dans un large mouvement militant. Le gouvernement doit désormais tout mettre en œuvre pour respecter cette décision de justice. Il en va de la sauvegarde de la biodiversité, de la santé publique, mais aussi du principe même d’État de droit.”
L’association Notre affaire à tous appelle l’État, désormais condamné à deux reprises, à ne pas se pourvoir en cassation et à respecter enfin cette décision de justice. S’il décidait malgré tout de poursuivre la procédure, ce serait malheureusement l’ultime preuve que l’État est prêt à tout pour continuer à protéger les intérêts des industriels de l’agrochimie, malgré leurs impacts désastreux sur l’ensemble du vivant. Ce choix irait une fois de plus à l’encontre de l’intérêt général et de la volonté largement exprimée par les citoyen·ne·s, qui attendent une politique réellement ambitieuse de réduction de l’usage des pesticides les plus dangereux.
L’association déclare se tenir à la disposition du gouvernement, afin de l’accompagner dans la mise en œuvre de cette décision de justice. Des premières mesures concrètes peuvent être immédiatement déployées, notamment actualiser les procédures d’évaluation des risques des pesticides en les mettant en conformité avec les protocoles scientifiques de l’EFSA de 2013 ; renforcer l’indépendance de l’Anses en lui confiant davantage de moyens humains et financiers ; et réévaluer les autorisations de mise sur le marché des fongicides SDHI et des insecticides et herbicides dont les dangers pour la biodiversité et l’humain sont documentés.
En ordonnant à l’État de réviser en profondeur ses protocoles d’évaluation et d’autorisation des pesticides, la Cour administrative d’appel de Paris vient rappeler avec force que la protection du vivant n’est pas une option, mais une obligation juridique, scientifique et démocratique. Cette décision, obtenue de haute lutte par des associations et collectifs citoyens, fait date et place la France à l’avant-garde d’un mouvement susceptible d’inspirer toute l’Europe. Reste désormais à savoir si le gouvernement choisira d’assumer pleinement ses responsabilités en appliquant sans réserve ce jugement, ou s’il persistera à protéger les intérêts de l’agrochimie au détriment de la biodiversité, de la santé publique et du principe de précaution. Pour les défenseurs du vivant, une chose est sûre : la mobilisation continuera, car l’avenir commun dépend de la mise en œuvre immédiate de cette révolution juridique.
Photo d’en-tête : ©Philippe Besnard







