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Un fleuve doté de droits de la nature, une première en France

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Dans la droite ligne du mouvement mondial de reconnaissance des droits de la nature qui est en plein essor, le collectif Tavignanu Vivu vient de remporter une belle victoire pour la protection du fleuve Tavignanu en Corse qui se voit doté d’une déclaration de droits, une première en France. Une décision qui marque le début d’une révolution juridique et culturelle en France où les initiatives locales pour les droits de la nature se multiplient.

A la suite de la validation du projet par le Conseil d’Etat en 2021, le collectif Tavignanu Vivu avait décidé de saisir le Parlement européen par pétition afin d’alerter sur l’illégalité du projet au regard de la législation européenne sur les déchets, l’eau, les habitats et la santé publique. En octobre 2023, la pétition a été examinée par le Parlement européen qui a alors décidé de déclencher la procédure d’urgence.

Pour rappel, le collectif Tavignanu Vivu se bat depuis 2016 pour empêcher l’exploitation d’un centre d’enfouissement de déchets sur un terrain géologiquement instable, dans un méandre du fleuve Tavignanu, deuxième fleuve de Corse qui abrite une biodiversité remarquable. La basse vallée du Tavignanu est classée site Natura 2000 et le fleuve a également été inventorié à trois reprises comme ZNIEFF. Le fleuve est pourtant menacé par un projet d’enfouissement de déchets ménagers et assimilés, de déchets amiantés et de terres amiantifères devant être installé dans un méandre du fleuve, en amont des captages pour l’eau potable et l’eau d’irrigation de toute la région.

Le 21 avril 2021, le Conseil d’Etat a confirmé l’autorisation d’exploiter accordée à la société Oriente Environnement.
Le collectif a alors décidé d’agir sur le terrain des droits de la nature avec l’aide de Notre Affaire à Tous. Le 29 juillet 2021, le collectif, la fondation Umani et l’association Terres de lien Corsica – Terra di u cumunu ont proclamé la Déclaration des droits du fleuve Tavignanu. Cette Déclaration a depuis été soutenue par l’Assemblée de Corse, la ville de Bastia ainsi qu’une trentaine de communes par la voie de motions et délibérations.

Le collectif  a ensuite entrepris d’agir à l’échelle européenne en saisissant le Parlement européen par pétition, afin d’alerter sur les illégalités et incohérences de l’autorisation du projet, en méconnaissance des normes européennes qui gouvernent le droit des déchets, le droit de l’eau, la protection de la biodiversité et la santé des populations.

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Après avoir examiné la pétition, la commission des pétitions a déclaré celle-ci recevable le 29 novembre 2023, ce qui confirme le caractère flagrant des manquements et incohérences de la procédure française, notamment eu égard aux obligations de respect de l’environnement incombant aux États.
Pour Marie-Dominique Löye, membre du collectif Tavignanu Vivu : « Le collectif Tavignanu Vivu salue la décision de la Commission des pétitions du Parlement européen qui reconnaît le bien fondé de notre action. Le projet de centre d’enfouissement de déchets à cet endroit viole le droit européen, il menace gravement le fleuve Tavignanu faisant peser un risque insensé à l’environnement et à la santé des populations ».

La déclaration de droits du Tavignagnu s’inscrit dans une politique de reconnaissance des droits de la nature en essor ces dernières années. En 2019, l’écrivain et juriste Camille de Toledo ainsi que le POLAU-pôle arts & urbanisme, en région Centre-Val de Loire, ont proposé de donner une personnalité juridique au fleuve Loire, afin de le protéger des usages humains délétères en attaquant en justice les responsables. L’écrivain, dans un entretien pour Le Monde, parle de « soulèvement légal terrestre ». Il a notamment écrit, en 2019, une pièce de théâtre, « Les Témoins du futur », qui imagine un monde dans lequel les écosystèmes auraient acquis une personnalité juridique. « Il y a nécessité de mettre à jour notre droit pour qu’il reconnaisse ce que la science a démontré depuis une centaine d’années, explique-t-il. Cette frontière entre les objets et les sujets doit se déplacer ». Rappelons également le cas de la Nouvelle-Zélande qui, en 2017, a reconnu la personnalité du fleuve Whanganui. Sur le lac Erié, aux États-Unis, les citoyens se sont battus contre les industries polluantes par une déclaration de droit du lac et un référendum citoyen.

Un projet incompatible avec plusieurs directives européennes

L’autorisation d’exploitation du centre d’enfouissement de déchets se heurte à de nombreux objectifs promus par l’Union européenne en matière de protection de l’environnement et de santé publique qui découlent du droit primaire. Il s’agit en particulier de la violation du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE ») et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

L’autorisation d’exploiter viole également le droit secondaire de l’Union européenne. Il s’agit en particulier (i) de la directive du 26 avril 1999 concernant la mise en décharge de déchets, (ii) de la directive-cadre du 19 novembre 2008 relative aux déchets, (iii) de la directive-cadre sur l’eau du 23 octobre 2000, (iv) de la directive “Habitats” du 21 mai 1992, (v)  de la directive “Oiseaux” du 30 novembre 2009,  (vi) de la directive du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets sur l’environnement et (vii) des objectifs de la Politique Agricole Commune et des recommandations de la Commission européenne en la matière.

Un soutien politique unanime

Plusieurs eurodéputés ont assisté à l’audition de Madame Marie-Dominique Loÿe le 29 novembre 2023. Différents groupes politiques (Parti Populaire Européen, Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement Européen, Renew/Renaissance, Verts/Alliance Libre Européenne, Conservateurs et réformistes) et des non-inscrits étaient représentés, et ont tous unanimement voté en faveur de la pétition.

François Alfonsi, du groupe Les Verts, s’est ainsi exprimé : “On ne voit pas comment un tel projet peut être en ligne et compatible avec les directives que nous avons votées au sein de ce Parlement Européen. Il est manifestement dans un méandre du fleuve, à proximité immédiate des eaux. Il est dans un terrain géologiquement fragile et cela a été bien démontré par la pétitionnaire, en directive oiseaux, etc… Nous sommes dans une zone Natura 2000 […]”.

La commission PETI qui reçoit les pétitions a même approuvé le déclenchement de la procédure d’urgence, les travaux pour construire le centre d’enfouissement pouvant  commencer dans des délais assez courts. Ce traitement en urgence permettra de recevoir une réponse de la Commission européenne  dans un délai de trois mois.

Pour Marine Yzquierdo, représentante de Notre Affaire à Tous qui accompagne le collectif depuis le lancement de la Déclaration des droits du Tavignanu en 2021 : « Le  Parlement européen envoie un signal fort en répondant  aux préoccupations légitimes du collectif Tavignanu Vivu face à ce projet incohérent avec le droit de l’Union européenne. Le combat pour la protection du fleuve Tavignanu prend désormais une autre dimension ».

Les suites attendues

Le Parlement européen a demandé à la Commission européenne de mener une enquête préliminaire et de contacter les autorités nationales et régionales françaises. La Commission européenne a en principe trois mois, soit jusqu’au 29 février 2024, pour donner une réponse écrite.

Trois options sont alors envisagées :

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  • Soit la Commission européenne considère qu’il y a eu une violation du droit de l’Union européenne et dans ce cas, un dialogue se mettra en place avec les autorités nationales et régionales pour réviser le projet.
  • Soit la Commission européenne considère qu’il n’y a pas eu violation du droit de l’Union européenne et dans ce cas, elle arrête la procédure, ce qui n’empêche pas le Parlement européen de poursuivre les investigations de son côté.
  • Soit la Commission européenne estime qu’il convient d’attendre l’issue de la procédure judiciaire en cours relative aux prescriptions du préfet. En effet, comme le demandait le juge, le préfet a pris un arrêté fixant les conditions d’exploitation de l’installation d’enfouissement. Cet arrêté a été contesté par la société Oriente Environnement qui porte le projet, estimant qu’il était trop strict et, dans son jugement du 18 novembre 2022, le tribunal administratif a annulé une partie de l’arrêté préfectoral. Le ministère de la transition écologique et l’association requérante ont fait appel de cette décision ; l’affaire est actuellement pendante devant la cour administrative d’appel de Marseille.

Le collectif Tavignanu Vivu appelle les citoyens et citoyennes à signer la pétition en ligne afin de faire davantage pression sur la Commission européenne. Celle-ci doit prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme au projet de centre d’enfouissement de déchets qui n’aurait pas dû être autorisé dans ces conditions par la justice française.

Pour aller plus loin :

Photo d’en-tête: Fleuve Tavignanu, près de Corte – Corse

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