C’est « L’hymne de nos campagnes » (1) qui a gagné ! Une proposition de loi vient d’être adoptée par l’Assemblée nationale visant à protéger les « sons et odeurs » de la campagne des plaintes pour « trouble anormal de voisinage ». Ainsi, le patrimoine sensoriel de nos campagnes françaises va être protégé. Bienvenus veaux, vaches, cochons et … vos bavardages de tous types ! C’est Maurice qui va être content…
Un coq qui chante, cela vous surprend ? L’odeur de bouse dans un champs de vaches, est-ce vraiment surprenant ?! Le chant des cigales en Provence, le son des cloches dans nos villages, l’odeur du blé coupé et de la paille, le coassement des grenouilles dans les mares, … Bref, tout ce qui fait l’authenticité de la vie à la campagne va être répertorié et protégé. Bonne nouvelle me direz-vous !
« La campagne se mérite » : l’Assemblée nationale a décidé de préserver ses bruits et ses effluves en votant à l’unanimité une proposition de loi qui introduit la notion de patrimoine sensoriel des campagnes françaises dans le droit français. C’est le député de Lozère, Pierre Morel-A-L’Huissier, qui a porté en première lecture ce texte soutenu sur tous les bancs, en saluant un « véritable travail de co-construction de ce texte, entre le Conseil d’Etat, ministères et députés ».
La proposition de loi modifie le code de l’environnement et intègre au « patrimoine commun de la Nation » les « sons et odeurs » qui caractérisent « les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins ». De plus, les services régionaux de l’inventaire du patrimoine culturel dresseront un inventaire spécifique afin, notamment, d' »étudier » et « qualifier » l' »identité culturelle des territoires », soit une prise en compte dans l’inventaire général des activités, pratiques et savoir-faire agricoles dans les territoires ruraux.
Mais ce n’est pas tout. On introduit également une nouvelle notion dans le code civil : celle de trouble anormal de voisinage : les « bruits et effluves » ne pourront plus être la cause de plaintes pour « troubles anormaux du voisinage ». L’objectif est d’anticiper les plaintes visant les odeurs et bruits d’animaux ou les bruits de la ruralité, comme le son des clochers par exemple, ou le ronronnement des tracteurs. Comme l’explique le député Pierre Morel-À-l’Huissier, « Il y aura [avec cet inventaire] une antériorité d’une reconnaissance patrimoniale sensorielle« .
Cette proposition de loi ne vient pas de nulle part. On se souvient de l’affaire emblématique du coq Maurice sur l’île d’Oléron pour lequel sa propriétaire s’était vue convoquée devant les tribunaux pour « nuisance sonore » par des voisins, en villégiature dans leur maison de vacances. Si Maurice a remporté son procès, d’autres dans différentes régions de notre belle France ont été condamnés à payer amendes et dommages et intérêts aux plaignants, et à déplacer ou barricader bétail et gallinacés.
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La nature n’est plus ce qu’elle était !
Ce coq est devenu en quelques mois le symbole de la ruralité menacée, aussi bien par l’arrivée de nouveaux venus qui assimilent la campagne au silence que par l’invasion tentaculaire des banlieues.
Comme l’explique l’anthropologue et professeur au Collège de France, Philippe Descola (2), « La nature n’est plus ce qu’elle était ! Depuis plusieurs siècles, on la voyait comme […] ces espaces-refuges ayant échappé à l’anthropisation que les citadins aiment à fréquenter ».
Pour le géographe Jean-Louis Yengué du laboratoire Ruralités à l’université de Poitiers, « Le calme n’est pas le propre de la campagne », et ce type de querelles naît avant tout de l’idée fausse qu’ont les nouveaux arrivants dans le monde rural comme les chants et cris des animaux d’élevage ou sauvages, le bruit des moteurs des outils de travail des agriculteurs, ou de l’entretien des bois et forêts, …
C’est le sens des propos du député de Gironde Pascal Lavergne : « Les odeurs sont différentes, mais elles s’inscrivent dans un lieu où ces odeurs sont inhérentes et font partie des activités normales ».
Ce ne sont pas les animaux avec leurs effluves ou leurs bruits qui menacent nos campagnes mais des prédateurs autrement plus dévastateurs et dangereux utilisées par la main de l’homme, comme les pesticides (3) ou le bétonnage.
« Je me sers d’animaux pour instruire les hommes » déclarait Jean de La Fontaine. En effet, le grand fabuliste voyait juste d’éclairer la comédie humaine par ce parallèle avec le monde animal. Dommage que les hommes n’aient toujours rien compris …
(1) Chanson du groupe Tryo
(2) « Les Natures en question », sous la direction de Philippe Descola – Collège de France, Edition Odile Jacob, 2018.
(3) A ce propos, une décision a été prise par les ministres de la Justice et de la Transition écologique de créer des juridictions spécialisées en environnement. Cette mesure fait parte du projet de loi qui sera discuté au Sénat à partir du 26 février prochain. Concrètement, cette proposition vise la création de tribunaux de l’environnement dans chacune des 36 cours d’appel présentes en France. Ils auront pour mission de juger des affaires pénales d’atteintes graves ou de mise en péril de l’environnement. Cette réforme s’appuie sur un rapport intitulé « Une justice pour l’environnement », commandé au Conseil général de l’environnement et du développement durable et à l’Inspection générale de la justice.
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Pour aller plus loin :
- Exposition « Un Souffle de Nostalgie Virtuelle ou comment les odeurs nous mènent dans le monde de l’art ? » du 11 au 22 mars, de mardi au dimanche de 13h à 20h. Le vernissage aura lieu le mercredi 11 mars de 18h à 20h, au 59 rue de Rivoli Rivoli, 75001 Paris. L’odorat est le sens ignoré depuis longtemps par les êtres humains. Rarement mis en scène, il est aujourd’hui au centre de la création des artistes du monde. Au cours de l’exposition, l’odeur guidera les visiteurs dans un parcours où cohabitent la culture, les sensations et la mémoire olfactive. La reproduction du passé sera dès lors dévoilée devant le nez.
Cette exposition réunit sept artistes issus de l’Asie et de l’Europe, de toutes disciplines : ALAgrApHY (peintures/images aromatiques), Sandy Bee (installation), Isabelle Bonté-Hessed2 (série de boîtes de pétri parfumées), Chia-Shan Chang (installation interactive), PoChih Chang (plantes odorantes et projection), Allen Hong et YenRu Huang (installation interactive). Toutes les œuvres sont présentées pour la première fois en Europe.
L’exposition propose une expérience interactive, multisensorielle et inédite. Chaque œuvre raconte une histoire, un moment, à travers des différentes odeurs et des formes distinctes. Nous découvrons les univers visuels, sonores, tactiles et olfactifs à travers ces voyages entre le passé, le présent et le futur.
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