Après “Santo 2006” au Vanuatu, le Mozambique et Madagascar (2009-2010), puis la Papouasie-Nouvelle-Guinée (2012-2014), la Guyane est la première collectivité d’outre-mer qui accueille «La Planète Revisitée», grand programme de découverte de nouvelles espèces mené conjointement par le Muséum national d’Histoire naturelle et Pro-Natura International. Depuis juillet 2014 et jusqu’en mars 2015, les scientifiques se succèdent sur le terrain pour trois mois d’explorations terrestres et marines impliquant de nombreux partenaires guyanais, nationaux et internationaux pour tenter de répondre à cette question « Combien d’espèces y-a-t-il sur terre ? »
Au cours de ces vingt dernières années, les scientifiques ont pris conscience de l’immensité de la biodiversité. Il reste aujourd’hui sans doute entre cinq et dix millions d’espèces à découvrir, dont beaucoup sont en voie d’extinction. Le quart, voire la moitié des espèces, pourrait disparaître d’ici le milieu ou la fin du siècle.
Ce mercredi 28 janvier se déroulait à Paris un premier retour sur une mission commencée au début de l’été 2014 : en présence de Gilles Boeuf, président du Musée national d’Histoire naturelle, de Thomas Grenon, directeur général du Muséum national d’Histoire naturelle et de Guy F. Reinaud, président de Pro-Natura international, les résultats de la mission marine ont été présentés ainsi que la partie terrestre de la mission qui débutera fin Février 2015.
Accélérer l’exploration et la description des espèces : « La Planète Revisitée » est un grand programme d’exploration de la nature mené conjointement par le Muséum national d’Histoire naturelle et Pro-Natura International, et dont l’objectif est précisément d’acquérir de nouvelles connaissances dans les régions du globe les plus riches en biodiversité mais jusqu’ici insuffisamment inventoriées. “La planète revisitée” est un projet scientifique à but non lucratif. Sa mission principale est le recensement des espèces animales pour aider la recherche à établir une liste exhaustive et pertinente de la biodiversité planétaire.
«La Planète Revisitée» a choisi de consacrer ses recherches à la biodiversité «négligée» (invertébrés marins et terrestres, plantes, champignons), qui représente 95 % de la biodiversité et qui joue un rôle fondamental dans l’équilibre des écosystèmes. Les expéditio ns souhaitent redonner toute leur place à ces composantes de la biodiversité trop souvent ignorées.
L’étude de la biodiversité dans son ensemble nécessite la collaboration entre de nombreux spécialistes. L’approche «expédition» en mutualisant sur un temps court de grands moyens logistiques et humains permet à de nombreux scientifiques d’aller dans des régions d’accès difficiles.
Guyane française – Bilan du volet marin, lancement du volet terrestre
On estime aujourd’hui que les 70 458 espèces recensées en Outre-mer (source : référentiel national sur la faune et la flore de France métropolitaine et outre-mer TAXREF, réalisé par le Muséum) ne représentent que 10% des espèces supposées présentes. La plus grande richesse de la biodiversité française se situe dans ces territoires ; elle nécessite donc un effort particulier de synthèse et d’inventaire. Après le Vanuatu (“Santo 2006”), le Mozambique et Madagascar (2009-2010) et la Papouasie-Nouvelle-Guinée (2012-2014), les scientifiques de “La Planète Revisitée” se rendent en Guyane pour réaliser l’inventaire de sa biodiversité “négligée”. La partie marine, qui s’est déroulée entre juillet et octobre 2014, livre ses premiers résultats, tandis que les spécialistes de faune et de flore terrestres se préparent à partir. Avec toujours le même objectif : accélérer l’exploration et la description d’espèces…
La composante terrestre – Lancement 23 février / 27 mars 2015 – Massif du Mitaraka
Les monts Tumuc-Humac, “montagnes” fantasmées par les géographes français du XIXe siècle, fascinent les explorateurs depuis longtemps. Pour les équipes de “La Planète Revisitée”, ces sommets granitiques émergeant de la forêt possèdent un attrait particulier : son potentiel d’espèces inconnues…
La composante terrestre de l’expédition vise le Grand Sud guyanais, plus particulièrement le massif du Mitaraka, dans les monts Tumuc-Humac, près de la frontière brésilienne. Les rares missions à s’être rendues dans cette zone signalent la présence d’une flore riche, différente du reste de la Guyane par son influence amazonienne et encore largement méconnue. Cette région est aussi la moins connue de Guyane sur le plan entomologique. Une récente synthèse met en évidence que le taux d’espèces d’insectes à découvrir en Guyane est de 80 à 90 %, avec environ 18 000 espèces recensées contre 100 000 attendues. Cette expédition devrait permettre de découvrir de nombreuses espèces nouvelles pour la Guyane et pour la science.
L’isolement de cette région explique le manque de données. En effet, aucune piste ni rivière navigable ne permet de pénétrer aussi loin au Sud. L’acheminement des équipes – 75 personnes dont 50 scientifiques, pour moitié basés en Guyane – et des cinq tonnes de matériel nécessaire sur le site préalablement aménagé avec le soutien du Parc Amazonien de Guyane et des Forces armées, sera donc assuré par transport héliporté depuis Maripasoula.
Sur le terrain, les méthodes “classiques” de piégeage, comme les pièges d’interception (vitres, pièges Malaise), les pièges attractifs (lumineux), la chasse à vue, seront déployées. D’autres techniques seront utilisées pour récolter la faune du sol, du sous-sol et des rivières. Tout sera mis en œuvre pour inventorier de manière systématique et approfondie 10 km2 de forêt.
En plus de cette collecte d’espèces tout azimut, la mise en place du protocole d’étude écologique Diadema du Centre d’étude de la biodiversité amazonienne, déjà appliqué dans d’autres zones de Guyane, permettra de compléter l’étude de la distribution de la biodiversitésur le territoire guyanais.
Enfin, la Société Entomologique Antilles-Guyane (SEAG) mettra à la disposition du projet son réseau de 120 spécialistes pour la détermination des spécimens d’insectes après l’opération, tandis que les réseaux Guyadiv et ATDN (Amazon Tree Diversity Network) relaieront les résultats aux niveaux régional et interrégional.
La composante marine – Premier bilan / La partie en haute mer et les îles du Salut
Le volet marin s’est déroulé en deux temps : une campagne hauturière à bord de l’Hermano Gines (juillet-août 2014) au cours de laquelle ont été échantillonnés le plateau continental et ses accores jusqu’à 650 m de profondeur ; un volet côtier sur l’archipel des Iles du Salut (septembre-octobre 2014).
La campagne hauturière :
L’ensemble de la zone économique exclusive de la Guyane a été explorée depuis la frontière maritime avec le Surinam jusqu’à celle avec le Brésil.
Les fonds sont couverts de sédiments fins, excepté le rebord du plateau entre 110 et 130 m de profondeur qui présente des fonds durs portant localement des encroûtements d’algues corallines. Au-delà du constat d’une apparente monotonie derrière des abondances phénoménales, les scientifiques ont remarqué une diversité relativement importante d’espèces rares ou très rares – qui n’ont été vues qu’une seule fois pendant l’expédition.
Quelques chiffres montrent sans équivoque le bond en avant que l’expédition aura permis de faire : on connaissait de Guyane 57 espèces de crustacés décapodes (crabes, crevettes) et une vingtaine d’espèces d’échinodermes (oursins, étoiles); l’expédition en a échantillonné respectivement 180 et 115 ! Chez les mollusques, mieux connus, 100 à 200 espèces seront à ajouter aux 366 déjà recensées…
Le volet côtier :
Une base a été installée aux Iles du Salut car ce petit archipel est, d’un point de vue écologique, le site le plus diversifié de Guyane et dispose d’infrastructures permettant une installation facile. D’autres sites ont également été prospectés comme la Réserve Naturelle du Grand Connétable.
Malgré le choix d’opérer pendant le pic de la saison sèche, la turbidité de l’eau et les conditions climatiques ont rendu difficiles les plongées et les opérations à partir des embarcations.
Le faible nombre d’espèces observées était une caractéristique attendue : la côte de Guyane est en effet dans le panache de l’eau, turbide et dessalée, déchargée par l’Amazone, ce qui explique la faible diversité des habitats et des espèces dans les écosystèmes côtiers. Cependant, les plongeurs ont noté une relative abondance d’invertébrés sessiles (hydraires, ascidies, éponges). Au total, l’inventaire côtier a permis de collecter environ 400 espèces d’algues et d’invertébrés.
Volet marin – Tri, identification et premières conclusions
Un atelier de tri des spécimens marins récoltés aura lieu en février 2015 à Besse en Auvergne et permettra ensuite, grâce à l’expertise de systématiciens spécialisés, d’acquérir des identifications de haut niveau. Le Muséum et PNI ont signé avec la région Guyane une convention d’Accès aux ressources génétiques et Partage des Avantages (APA) se traduisant notamment par la restitution d’une collection représentative de faune et de flore, ainsi que de l’ensemble des données (disponibles sur le site inpn.mnhn.fr). Il en sera fait de même pour le volet terrestre.
Cette prospection marine a donc permis de doubler, tripler, voire décupler les inventaires guyanais de certains groupes, comme les éponges, ascidies et hydraires. Il est probable que plusieurs dizaines de nouvelles espèces marines aient été récoltées mais ce n’est sans doute pas le plus important. Au terme de l’expédition, la côte et le plateau continental de Guyane française sont en effet devenus les mieux échantillonnés de toute la région des Guyanes – de l’Amazone à l’Orénoque – et serviront désormais de référence régionale.
Le volet pédagogique – Quand élèves et enseignants s’associent à l’aventure
L’accompagnement pédagogique de l’expédition a pris ici une importance particulière. Dans le cadre de la Fête de la Science, des élèves de Cayenne ont pu visiter le laboratoire et rencontrer les chercheurs en pleine activité. De plus, un professeur de collège guyanais a participé au volet hauturier de l’expédition.
Cet accompagnement pédagogique de l’expédition a également pris la forme de conférence et de cours donnés par les chercheurs à l’Université de Guyane.
Concours “Find the name” !
Parmi les espèces nouvelles, certaines seront présentées aux classes guyanaises qui seront invitées par concours à leur attribuer un nom scientifique. Le choix du nom est une prérogative du systématicien et le partage de ce plaisir permettra aux jeunes guyanais de s’approprier, à travers les résultats de l’expédition, leur patrimoine naturel.
Par ailleurs, les expéditions de “La Planète Revisitée” servent de support à la réalisation de nombreuses ressources (journal de bord, documents multimédias) destinées à être utilisées par les enseignants.
www.laplaneterevisitee.org
Le projet Guyane 2014-2015 est co-organisé par le Muséum national d’Histoire naturelle, Pro-Natura International, et financé par l’Europe via le Fonds Européen de Développement Economique et Régional (FEDER), le Fonds Shell, le Conseil Régional de la Guyane, la Direction de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement de Guyane, le Conseil Général de la Guyane, le Ministère de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, avec l’appui de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), du Centre National des Etudes Spatiales (CNES) et de la Réserve Naturelle de l’ïle du Grand Connétable pour la partie marine; et du Parc Amazonien de Guyane (PAG),des Forces Armées (9ème Régiment d’Infanterie de Marine – RIMa) et de l’Office national des forêts pour la partie terrestre.
(Source : Museum d’Histoire naturelle – Janvier 2015)