Une seule espèce est responsable de la pandémie de COVID-19 : la nôtre. Comme pour les crises climatiques et de biodiversité, les récentes pandémies sont une conséquence directe de l’activité humaine, en particulier nos systèmes financiers et économiques mondiaux, basés sur un paradigme limité qui valorise la croissance économique à tout prix. Nous avons une fenêtre de courte durée pour surmonter les défis de la crise actuelle et éviter de semer les germes de futures autres.
Une analyse réalisée par des experts invités de l’IPBES, les professeurs Josef Settele, Sandra Díaz et Eduardo Brondizio (1) et le Dr Peter Daszak (2) ce 27 avril 2020, qui démontre que les mesures de stimulation liées au COVID-19 doivent sauver des vies, protéger les moyens de subsistance et sauvegarder la nature pour réduire le risque de futures pandémies.
Les maladies comme le COVID-19 sont causées par des micro-organismes qui infectent notre corps, plus de 70 % de ces maladies émergentes humaines provenant de la faune sauvage et des animaux domestiques. Les pandémies, cependant, sont causées par des activités qui mettent un nombre croissant de personnes en contact direct et souvent en conflit avec les animaux porteurs de ces agents pathogènes.
La déforestation effrénée, l’expansion incontrôlée de l’agriculture, l’agriculture intensive, l’exploitation minière et le développement des infrastructures, ainsi que l’exploitation des espèces sauvages ont créé les « conditions parfaites » pour la propagation des maladies de la faune aux humains. Cela se produit souvent dans les zones où vivent les communautés les plus vulnérables aux maladies infectieuses.
Nos actions ont eu un impact négatif sur plus des trois quarts de la surface terrestre, détruit plus de 85 % des zones humides et utilisent plus d’un tiers de la surface terrestre et près des trois quarts de nos réserves en eau douce pour l’agriculture et à l’élevage.
Si l’on ajoute à ceci le commerce non réglementé des animaux sauvages et la croissance explosive des voyages aériens mondiaux, on comprend comment un virus qui, autrefois circulait sans danger parmi une espèce de chauves-souris en Asie du Sud-Est, a pu infecter plus de deux millions de personnes, causant des souffrances humaines incalculables et menant à l’arrêt les économies et les sociétés du monde entier. Voici en bref le rôle de l’être humain dans l’émergence de cette pandémie.
Ceci n’est pourtant peut-être qu’un début. Les maladies transmises aux humains par les animaux sont déjà à l’origine d’environ 7000 00 décès chaque année. Le potentiel de pandémies futures est encore plus dévastateur. On estime que 1,7 million de virus non identifiés du type connu pour infecter les humains sont présents chez les mammifères et les oiseaux aquatiques. N’importe lequel d’entre eux pourrait constituer la prochaine « maladie X » – potentiellement encore plus perturbatrice et mortelle que le COVID-19.
Les futures pandémies sont susceptibles de se produire plus fréquemment, de se propager plus rapidement, avec des répercussions économiques plus graves et de tuer plus de personnes si nous ne sommes pas extrêmement prudents quant aux impacts possibles des choix que nous faisons aujourd’hui.
Dans l’immédiat, nous devons nous assurer que les mesures prises pour réduire les conséquences de la pandémie actuelle n’amplifient pas elles-mêmes les risques de futures épidémies et crises. Les plans de reprise à hauteur de milliards de dollars et de relance économique déjà mis en œuvre devraient être orientés vers trois axes importants :
Premièrement, nous devons garantir le renforcement et l’application des réglementations environnementales, et déployer uniquement des plans de relance qui offrent des incitations à des activités plus durables et respectueuses de la nature. Il peut être politiquement opportun à l’heure actuelle d’assouplir les normes environnementales et de soutenir des industries telles que l’agriculture intensive, le transport longue distance comme les compagnies aériennes et les secteurs de l’énergie dépendant des combustibles fossiles, mais le faire sans exiger de changement immédiat et fondamentaux, subventionnera l’émergence de futures pandémies.
Deuxièmement, nous devons adopter une approche « Un monde, une santé » à tous les niveaux de prise de décision, du mondial au plus local, en reconnaissant les interconnexions complexes entre la santé des personnes, des animaux, des plantes et l’environnement que nous partageons. Les services forestiers, par exemple, définissent généralement la politique relative à la déforestation, et les bénéfices reviennent en grande partie au secteur privé, mais ce sont les systèmes de santé publique et les communautés locales qui paient souvent le prix des épidémies qui en résultent. Une approche « Un monde, une santé » garantirait que de meilleures décisions soient prises en tenant compte des coûts et des conséquences à long terme des actions de développement, pour les personnes et la nature.
Troisièmement, nous devons financer adéquatement les systèmes de santé et inciter à un changement de comportement au plus près des zones de risque de pandémie. Cela signifie mobiliser des financements internationaux pour renforcer les capacités en matière de santé dans des foyers émergents de maladies au niveau des cliniques; des programmes de surveillance, notamment en partenariat avec les peuples autochtones et les communautés locales ; et financer les enquêtes sur les risques comportementaux ainsi que des programmes d’intervention spécifiques. Cela implique également d’offrir des alternatives viables et durables aux activités économiques à haut risque et de protéger la santé des plus vulnérables.
Il ne s’agit pas d’un simple altruisme, mais d’un investissement vital dans l’intérêt de tous pour prévenir de futures épidémies mondiales.
Plus important encore peut-être, nous avons besoin d’un changement transformateur – du type mis en évidence l’année dernière dans le rapport d’évaluation mondiale de l’IPBES (ayant en particulier montré qu’un million d’espèces de plantes et d’animaux étaient menacées d’extinction dans les décennies à venir) : repenser de manière systémique nos technologies, économies et sociétés, ainsi que nos paradigmes, objectifs et valeurs, et promouvoir des responsabilités sociales et environnementales dans tous les secteurs. Aussi intimidant et coûteux que cela puisse paraître, le cout de ce changement est dérisoire par rapport au prix que nous payons déjà.
Intervenir face à la crise du COVID-19 demande que nous remettions en cause les intérêts qui s’opposent au changement transformateur et mettions fin au « statu quo ». Il nous est possible de reconstruire mieux et de sortir de cette crise plus forts et plus résilients qu’avant, mais cela implique des choix politiques et des actions qui protègent la nature, afin que la nature nous protège.
Professeurs Josef Settele, Sandra Diaz, Eduardo Brondizio
Et le Docteur Peter Daszak
Cet article n’est pas un produit formel de l’IPBES, mais de quatre experts mondiaux, s’appuyant sur les résultats des rapports d’évaluation de l’IPBES. Trois évaluations de l’IPBES ayant un rapport direct avec la crise actuelle et les pandémies futures sont en cours de production sur l’utilisation durable des espèces sauvages, les espèces exotiques envahissantes, et les différentes façons de comprendre les valeurs plurielles de la nature. D’autres travaux viennent également de commencer sur les liens entre la biodiversité, l’eau, l’alimentation et la santé dans le contexte du changement climatique.
(1) Coprésidents du rapport d’évaluation mondial 2019 de l’IPBES sur la biodiversité et les services écosystémiques, qui a révélé, entre autres, qu’un million d’espèces de plantes et d’animaux sont menacées d’extinction dans les décennies à venir.
(2) Président d’EcoHealth Alliance et expert en cadrage pour la nouvelle évaluation IPBES des liens entre biodiversité, santé et alimentation.
Image d’en-tête : Pangolin, l’un des animaux les plus braconnés au monde et qui aurait servi d’espèce intermédiaire dans la transmission du COVID-19 à l’homme – Photo ©C. Wahyudi-AFP
Pour aller plus loin :
Vidéo du Muséum national d’Histoire naturelle, 26 mars 2020 : COVID-19 ou la pandémie d’une biodiversité maltraitée