La hantise des agriculteurs comme de tout jardinier est de voir leurs cultures soigneusement entretenues ravagées par des hordes d’insectes affamés. Le moyen utilisé abondamment pour résoudre ce problème a longtemps été l’usage d’insecticides, nocifs pour l’environnement comme pour la santé humaine. Pour les remplacer, certains utilisent d’autres insectes pour mettre en œuvre des stratégies de « contrôle biologique ». Mais cette solution peine à se développer en raison de ses contraintes. Des scientifiques ont eu l’idée de copier la nature en utilisant les armes de dissuasion utilisées par les coccinelles. Et ça fonctionne ! Récit d’une découverte qui pourrait s’avérer être une solution au développement d’une agriculture durable, respectueuse du vivant.
Les pesticides que les géants des phytosanitaires ont mis au point et leur rapporte des fortunes, se sont retrouvés au fil des années et des révélations sur leurs effets, mises au ban de la société. Certains d’entre eux comme les néonicotinoïdes font des ravages sur les populations d’abeilles dans le monde entier, tuent des oiseaux et viennent s’ajouter aux difficultés déjà rencontrées par les espèces menacées. Les insecticides ne sont généralement présents dans notre alimentation qu’à de faibles niveaux, mais ils sont nocifs pour les humains qui y sont fortement exposés, comme ceux qui cultivent nos récoltes. Ils détruisent également les populations d’insectes prédateurs, ce qui ne fait qu’aggraver le problème des ravageurs des cultures à long terme – avec moins d’ennemis des ravageurs pour contrôler leur nombre.
Une solution de rechange que les chercheurs et les agriculteurs ont mise à l’essai est l’utilisation d’insectes prédateurs pour contrôler les dévoreurs de récoltes. Cette approche, connue sous le nom de « contrôle biologique », présente toutefois ses propres difficultés. Si les insecticides de l’industrie phytosanitaire peuvent en effet cibler plusieurs espèces de ravageurs, cela est beaucoup plus difficile à réaliser lorsqu’on s’appuie sur des prédateurs naturels. En effet, si l’on libère plusieurs prédateurs, ils risquent de s’attaquer les uns aux autres ou d’entrer en concurrence les uns avec les autres pour le même parasite, car les prédateurs ne ciblent pas toujours l’espèce visée.
Les prédateurs sont également très dépendants des conditions environnementales : la température et la durée du jour peuvent modifier leur comportement, de sorte qu’ils ne sont efficaces qu’à certaines saisons. De plus, comme certains ravageurs sont envahissants et n’ont pas de prédateurs indigènes, l’utilisation de certains pesticides peut s’avérer nécessaire, ce qui peut également avoir un impact sur les prédateurs.
L’odeur des coccinelles fait peur aux insectes ravageurs
Face à ces difficultés, des écologistes spécialistes des insectes comme Jessica Kansman et Sara Hermann cherchent des moyens d’adapter l’utilisation des ennemis naturels des espèces nuisibles pour la rendre plus pratique. Ces deux chercheuses ont présenté les résultats de leurs travaux lors de la réunion de l’American Chemical Society de cette semaine.
Dans une série d’essais, les deux scientifiques ont laissé les pucerons piqueurs du chou (Myzus persicae) choisir entre l’odeur de feuilles sur lesquelles se trouvent des coccinelles prédatrices (Harmonia axyridis) et l’odeur de feuilles sans coccinelle. Elles ont constaté que l’exposition à l’odeur de coccinelle avait un impact sur le choix des plantes par les pucerons et réduisait même leur taux de reproduction.
« Nos premiers travaux ont montré que ces réponses fondées sur la peur peuvent modifier le comportement des insectes de manière à réduire les dommages qu’ils causent à ces plantes cultivées », a expliqué Sara Hermann lors d’un point de presse.
Les pucerons sont présents dans presque toutes les cultures du monde, causant des milliards d’euros de dégâts. Ils ont une immense capacité de reproduction et sont également porteurs et propagateurs de maladies végétales, un peu comme le font les moustiques chez l’homme. Une grande partie des insecticides est utilisée spécifiquement pour lutter contre les pucerons, mais ceux-ci deviennent de plus en plus résistants.
La mise en bouteille de l’odeur de ce qui cause des cauchemars aux pucerons pourrait fournir aux agriculteurs et aux jardiniers un moyen plus sûr et plus durable de les gérer. « J’ai essayé d’identifier l’odeur du danger », a expliqué Jessica Kansman.
Vers une gestion plus durable des ravageurs dans les cultures
Pour ce faire, elle et son équipe ont placé des coccinelles dans un récipient en verre et ont poussé de l’air stérilisé au-dessus de la coccinelle. L’air est passé par un piège au fond du récipient, que les chercheurs ont rincé ; ils ont fait passer la solution obtenue dans un spectromètre de masse à chromatographie en phase gazeuse. Ce dernier sépare les différents composés, ce qui permet de les identifier.
Certaines des molécules volatiles isolées étaient déjà connues grâce à l’étude d’autres systèmes biologiques, explique Jessica Kansman, comme les terpènes qui ont diverses fonctions dans les défenses des plantes et même un produit chimique connu pour interférer avec la phéromone d’alarme des pucerons. Les chercheurs ont ensuite soufflé les différents composés sur les antennes des pucerons (leurs organes « odorants ») et ont détecté les réponses des insectes aux impulsions électriques à l’aide d’un électroantennogramme pour voir à quoi ils réagissaient. « Nous mesurons également leurs réactions comportementales », explique Jessica Kansman, par exemple si « les pucerons se déplacent ou non vers quelque chose ».
Des tests préliminaires sur le terrain utilisant trois composés de méthoxypyrazine (que nous, humains, reconnaîtrions comme l’odeur des coccinelles) ont donné des résultats prometteurs : les pucerons évitant les cultures de choux pulvérisées comme si des coccinelles étaient présentes.
« La beauté de ces composés spécifiques à ces insectes est qu’il s’agit d’un indice fiable », affirme Sara Hermann, expliquant que la présence de véritables prédateurs dans le champ contribuera à renforcer cet indice, ce qui, espérons-le, empêchera les pucerons d’y devenir résistants. De plus, comme les coccinelles sont de grands prédateurs, elles ne se nourrissent pas seulement de pucerons. Le bouquet de dangers qui en résulte pourrait donc dissuader d’autres ravageurs. Mais avant cela, les chercheurs devront également vérifier les effets du produit sur d’autres insectes utiles et sur différents types de cultures.
Ils prévoient des études de terrain plus vastes pour répondre à ces questions et collaborent avec des entreprises pour mettre au point et tester des mécanismes de dispersion appropriés pour leur parfum qui provoque la peur. « L’utilisation des signaux olfactifs des ennemis naturels est une orientation future prometteuse pour l’écologie chimique appliquée à la gestion durable des ravageurs », conclut l’équipe dans son résumé de présentation.
Première publication dans UP’ Magazine : 30/08/21