Les gazoducs Nord Stream 1 et 2, qui relient la Russie à l’Allemagne, ont été tous deux subitement touchés par des fuites inexpliquées en mer Baltique, ont annoncé, mardi 27 septembre, les autorités danoises et suédoises, suscitant des soupçons de sabotage. Les fuites vont libérer « plusieurs millions de tonnes d’équivalent CO2 » dans l’atmosphère, affirme à l’AFP Sascha Müller-Kraenner, de l’ONG environnementale allemande DUH. Or, le gaz libéré, du méthane, générera des « conséquences dramatiques » en matière de réchauffement climatique, a-t-il ajouté.
« Nord Stream 1 a deux fuites au nord-est de Bornholm, Nord Stream 2 a une fuite au sud de Dueodde. Les fuites ont été découvertes par l’unité d’intervention de l’intercepteur F-16 de la défense danoise », écrit le ministère de la défense danois dans un communiqué. « Le plus grand [bouillonnement] agite la surface sur un bon kilomètre de diamètre. Le plus petit fait un cercle d’environ 200 mètres » de diamètre, explique l’armée danoise. Pour la première ministre danoise, Mette Frederiksen, « il est difficile d’imaginer que c’est accidentel » et un sabotage ne doit pas être « exclu », a-t-elle déclaré lors d’un déplacement en Pologne. L’exploitant des pipelines, le consortium Nord Stream, a dit ne pas avoir pu voir ni évaluer les dégâts, mais a reconnu le caractère exceptionnel de la situation.
Menace pour le climat mondial
Les fuites de méthane sont devenues une menace majeure pour le climat mondial. Les explosions impliquant deux gazoducs russes sous la mer Baltique, qui sont au cœur d’une crise énergétique depuis que la Russie a envahi l’Ukraine, libèrent à flot continu, ce gaz dans l’atmosphère.
Le méthane, principal composant du gaz naturel, peut s’échapper des pipelines et des sites de forage, et est également émis par l’agriculture et les déchets alimentaires. Les recherches montrent de plus en plus que la réduction des émissions de méthane est essentielle pour limiter le réchauffement de la planète à 2 degrés Celsius ou moins par rapport à l’ère préindustrielle et éviter les pires conséquences du changement climatique.
Après s’être concentrés pendant des décennies sur le dioxyde de carbone (CO2), les responsables politiques ont commencé à reconnaître la menace que représente le méthane. L’année dernière, plus de 100 nations ont signé un engagement visant à réduire les émissions de méthane de 30 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2020.
Question d’urgence
Après avoir été largement ignorés pendant des décennies, les scientifiques savent désormais que le méthane est un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le dioxyde de carbone à court terme, même s’il ne reste qu’une décennie dans l’atmosphère avant de se dégrader, alors que le CO2 y reste pendant des siècles.
Les scientifiques comparent normalement les effets de réchauffement du méthane et du dioxyde de carbone sur un siècle, et sur cette échelle de temps, le méthane est 28 fois pire. Sur 20 ans, cependant, le méthane est 80 fois pire, selon des recherches récentes. La nuance est importante car le monde est en passe de dépasser l’objectif de l’accord de Paris de 2015, à savoir limiter le réchauffement à moins de 2 degrés en quelques décennies seulement. « Si je pensais que nous avions 100 ans pour faire face au changement climatique, je serais beaucoup plus détendu à ce sujet », a déclaré Mike Berners-Lee, expert et auteur sur les empreintes carbone. « Si l’on s’intéresse aux impacts climatiques que nous connaîtrons en 2050… il faut absolument hurler contre les émissions de méthane. »
L’impact du méthane sur le climat est d’autant plus préoccupant que le monde est plus proche qu’on ne le pensait du franchissement des « points de basculement » à partir desquels les boucles de rétroaction climatique se déclenchent et font que le réchauffement planétaire s’auto-entretient. Une étude publiée en septembre suggère que certains des événements susceptibles de déclencher ces boucles de rétroaction, comme l’effondrement de la calotte glaciaire du Groenland ou la fonte du pergélisol arctique, sont imminents.
Un gaz de l’activité humaine pire que le charbon
Les trois cinquièmes des émissions mondiales de méthane sont dues à l’activité humaine, le reste provenant de sources naturelles comme les marécages. Parmi les émissions d’origine humaine, les deux tiers proviennent de l’élevage et des combustibles fossiles, le reste provenant en grande partie de la décomposition des déchets et de la culture du riz, selon les données de la Climate and Clean Air Coalition.
Les entreprises et les pays producteurs de pétrole exercent une forte pression pour que le gaz naturel soit considéré comme un « carburant de transition » vers les énergies renouvelables, alors que le monde entreprend une transition vers une énergie propre pour lutter contre le changement climatique. Leur argument : la combustion du gaz naturel émet deux fois moins de carbone par kilowatt que le charbon.
Mais si l’on tient compte des fuites de l’industrie gazière au niveau des plateformes de forage, des pipelines, des compresseurs et d’autres infrastructures, ces gains peuvent rapidement être effacés. L’explosion des gazoducs Nordstream en est une illustration.
Les gouvernements du monde entier imposent à l’industrie pétrolière et gazière de détecter et de réparer les fuites après que des études ont montré que les fuites dans l’industrie constituaient un énorme problème. Mais ici, en mer Baltique, où le gaz qui s’échappe forme déjà une bulle géante de plus d’un kilomètre de diamètre, le théâtre opérationnel est celui d’une guerre. Les parties se renvoient les accusations de sabotage et les doutes s’installent sur les intentions notamment de Moscou de rajouter une pression aux occidentaux sur le chapitre ultrasensible du gaz et de l’énergie.
Un jeu dangereux qui prend en otage l’environnement et la sécurité climatique de l’ensemble de la planète.
Avec Reuters, AFP
Par définition, la guerre est un jeu dangereux à tous les niveaux.