Le défi du changement climatique se pose aux pays du monde entier. Face à l’urgence, tout inciterait à penser que la communauté scientifique est mobilisée… cela n’est en fait que très partiellement vrai. Les institutions scientifiques sont, comme les États et la plupart des acteurs sociaux-économiques, plus préoccupées de la préservation de modèles aujourd’hui menacés que des changements globaux.
Le pouvoir politique a souvent fait appel à la communauté scientifique pour répondre aux défis majeurs, notamment en période de conflit. Le projet Manhattan en est la meilleure illustration : pendant la Seconde Guerre mondiale, les Américains ont mobilisé les scientifiques les plus éminents – et les plus opposés à l’usage de la bombe atomique – pour devancer l’Allemagne nazie dans la fabrication de cette arme. Sous la direction du général de Gaulle en France, ou celle de Deng Xiaoping en Chine, l’objectif de reconstruction de la « grandeur nationale » aura été le moteur d’une politique scientifique ambitieuse.
Aujourd’hui, le défi du changement climatique se pose aux pays du monde entier. Et le dernier rapport du GIEC, rendu public en octobre 2018, montre que l’objectif de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C est atteignable, mais exige des changements rapides, profonds et sans précédent dans tous les secteurs.
Face à une telle urgence, tout inciterait à penser que la communauté scientifique est à nouveau mobilisée… cela n’est en fait que très partiellement vrai. Les institutions scientifiques sont, comme les États et la plupart des acteurs sociaux-économiques, plus préoccupées de la préservation de modèles aujourd’hui menacés que des changements globaux.
Bouleversement numérique
La crise que traversent les institutions scientifiques au niveau mondial relève en partie de la révolution numérique ; celle-ci a considérablement modifié, non seulement les modes de transmission du savoir (et donc de l’enseignement), mais aussi les modes de production (et donc la recherche).
Les capacités d’apprendre à distance, tout au long de la vie et en bénéficiant de production de n’importe quelle région du monde, sont portées par des entreprises émergentes. Actuellement, les nouvelles technologies du numérique viennent principalement de laboratoires des plates-formes numériques. Les données récoltées en quantité croissante (et principalement par les acteurs privés) changent à la fois les méthodes de travail et les conditions d’accès aux sources d’information, sous contrôle de ces plates-formes numériques.
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C’est donc un souci majeur pour les institutions académiques de trouver leur voie dans ces turbulences, tout comme l’est la stabilité sociale pour les gouvernements ou le maintien d’un modèle économique pour les entreprises.
Cloisonnement disciplinaire
L’autre difficulté que rencontrent les institutions scientifiques concerne le cloisonnement disciplinaire, qui touche l’ensemble de la communauté.
Le découpage en champs disciplinaires a constitué historiquement un mode d’organisation extrêmement efficace, avec le développement de méthodologies propres à chaque discipline, qui ont permis l’approfondissement des connaissances. Aujourd’hui, ce modèle semble avoir atteint ses limites, le défi auquel nous sommes confrontés exigeant une réflexion globale.
Le modèle peine en effet à prendre en compte l’interdépendance des phénomènes de tous ordres – en particulier ceux entre nature, société et technologies – qui impose de franchir les frontières disciplinaires. Les institutions en sont bien conscientes, comme le montrent certains efforts affichés en faveur de l’interdisciplinarité (on peut citer ici la mission pour l’interdisciplinarité du CNRS).
Mais, dans la pratique, ces efforts restent limités ; l’essentiel est ailleurs. Il convient de retrouver la capacité de se concentrer sur les questions dont la nouveauté et l’urgence imposent une mobilisation totale. Et la co-production de solutions avec les acteurs des territoires s’impose. En octobre 2018, la revue Nature a d’ailleurs consacré un numéro spécial à ce mode insuffisamment encouragé de recherche.
Trois pistes
Pour répondre à l’état d’urgence souligné par les rapports du GIEC, on peut identifier trois pistes de transformation nécessaire dans le monde académique.
La première consisterait à redonner le primat aux questions : c’est-à-dire se donner les moyens d’aborder des questions qui, aussi mal définies soient-elles eu égard aux disciplines scientifiques, semblent pour autant essentielles. Comprendre comment adapter la société aux contraintes de l’écosystème naturel est d’une immense complexité. Tout comme traduire les recommandations du GIEC en politiques publiques.
La seconde transformation concerne les missions des institutions académiques à développer au-delà de leurs compétences actuelles. Aujourd’hui, outre l’enseignement et l’avancée des connaissances, elles sont surtout orientées vers le transfert de ces mêmes connaissances aux entreprises. Mais c’est à l’ensemble des acteurs de la société qu’elles doivent être transmises pour viser l’adaptation aux changements climatiques et leur atténuation.
Enfin, les institutions académiques devraient tenter d’être exemplaires, en se montrant à la hauteur des enjeux ; la recherche doit répondre aux attentes sociales et aider à faire face à l’immense angoisse que ne manquent pas de susciter les changements écosystémiques.
Des structures innovantes
Certaines évolutions récentes sont porteuses d’espoir espoirs. Et depuis une vingtaine d’années, de nouvelles institutions indépendantes tentent de répondre à ces objectifs. On peut citer le Stockholm Resilience Center, créé en 2007, qui mène de front recherche et conseil aux autorités politiques. Ou encore le Research Institute on Humanity and Nature de Kyoto, dont la mission consiste à aider la résolution des problèmes de la société en lien avec les territoires.
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Certaines institutions se sont aussi investies dans la mesure de leur propre empreinte écosystémique, avec l’objectif de la modifier et de réduire leur empreinte carbone. Des organisations, comme l’Association for the Advancement of Sustainability in Higher Education ou encore l’initiative Labos1point5, en France, fournissent des méthodologies maintenant éprouvées.
Si l’humanité doit collectivement changer, dans les proportions drastiques définies par le GIEC, chaque organisation doit s’y essayer. Les institutions académiques en tout premier lieu : elles disposent des moyens scientifiques pour le faire et elles en ont la responsabilité sociale.
Stéphane Grumbach, Senior research scientist at INRIA, Sciences Po – USPC
Cet article est republié à partir de The Conversation, partenaire éditorial de UP’ Magazine. Lire l’article original.
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