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Greta Thunberg

Le cri

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L’adresse de Greta Thunberg aux chefs d’État réunis pour le sommet du climat à l’ONU ce 23 septembre a retenti comme un cri. Du haut de ses seize ans, en larmes mais surtout en rage, celle qui est devenue le symbole du mouvement des jeunes pour le climat, a poussé le cri d’une génération. Un cri face à ce monde qui fond, qui brûle, qui éteint la vie. Un monde irrespirable. Le cri de millions de jeunes qui s’insurgent, partout sur la planète, contre l’inaction coupable. Jusqu’où crieront-ils pour qu’on les entende ?

Ceux qui ont vu le message de Greta Thunberg retransmis sur les chaînes de télévision du monde seront sans doute partagés. Comment cette gamine renfrognée peut-elle parler ainsi à des chefs d’État, à des adultes ? Certains pourront même se dire in peto –et surtout pas trop fort– : si j’étais ses parents, je lui donnerais une bonne correction et la ramènerais à l’école qu’elle le veuille ou pas.  Non mais, dans quel monde vivons-nous ?! « C’est aux adultes de sauver le monde qui vient, pas aux enfants«  s’enflamme le philosophe-ancien ministre-star des plateaux Luc Ferry.

D’autres, au contraire, regarderont ce message, sidérés et émus par une telle marque de courage et de passion chez un être aussi jeune et apparemment si fragile. Aucun ne restera indifférent, sans comprendre vraiment pourquoi. Car ce cri est beaucoup plus qu’un coup de colère ou un effet de tribune. Il est le cri d’une génération contre celle qui l’a précédée. Des jeunes donnent la leçon aux anciens et leur reprochent le monde qu’ils leur laissent. En ce sens, cette inversion du sens des choses est sans doute inédite dans l’histoire des hommes.

Cinq mille villes, 160 pays, des millions de jeunes descendus, ensemble, le même jour, aux quatre coins du monde, dans la rue. Avec les mêmes mots à la bouche : le climat, la planète, la vie, scandés dans toutes les langues. Une insurrection générationnelle la plupart du temps bon enfant, mais solidement déterminée à se faire entendre. Que disent-ils ? Qu’ils s’inquiètent du monde que les adultes ont détruit et continuent de détruire. La progéniture se mobilise pour prendre soin d’un monde que les adultes s’avèrent incapables de respecter et protéger. Une inversion du sens des responsabilités et de la notion même de protection. Toutes les espèces animales adultes possèdent l’instinct de protéger leur progéniture ; jamais ou quasiment jamais l’inverse. Le cri de Greta et des jeunes qu’elle inspire est à écouter car il remet en question l’adulte que nous devrions être.

Greta Thunberg est apparue soudainement sur la scène médiatique en août 2018. A quinze ans, elle haranguait les élus suédois, dans leur Parlement, contre l’inaction climatique. « Vous, les adultes, vous vous foutez de mon avenir » criait-elle déjà. « Quel est l’intérêt d’aller à l’école s’il n’y en a pas demain ? » ; une question que beaucoup entendirent. Son idée de grève des enfants pour le climat va être suivie partout. Des millions de jeunes vont relayer son message et porter sa parole. Des Greta vont apparaître, telles des générations spontanées, de toutes les couleurs et de tous les pays. Des enfants qui interpellent les adultes mais surtout des enfants et des adolescents qui comprennent soudain que le monde est gouverné par des adultes et que ces adultes ont pour visage des Trump, des Bolsonaro, des Erdogan… Des adultes qui affirment que le changement climatique est un canular ou un complot marxiste. Des adultes qui promettent mais ne respectent pas leurs engagements. Des adultes entravés par des poids, des contraintes économiques de courts termes et des calculs financiers alambiqués. Des adultes qui ne sont tout simplement pas à la hauteur des enjeux. Or ce sont ces adultes qui contrôlent le monde. Et il y a de quoi s’inquiéter.

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Rentrés à la maison, ces enfants et ces adolescents qui ont crié dans la rue observent d’autres adultes. Ceux là s’inquiètent pour les factures à payer à la fin du mois, se demandent ce qu’ils vont regarder à la télé ce soir ou balancent dans le choix de leur prochain téléphone portable. Pendant ce temps les enfants voient que l’Amazonie brûle, que des milliers d’espèces disparaissent, que l’air devient difficile à respirer, que l’eau potable va manquer. Ils connaissent les alertes des scientifiques ; ils lisent, ils discutent entre eux, ils partagent. Et ils voient ces adultes qui continuent de vivre comme si tout allait bien, à prendre leur voiture ou l’avion, à partir en vacances de masse, à pourrir allègrement l’environnement. Ce qu’ils voient aussi c’est qu’au moment où la planète a le plus besoin de coopération entre États et d’alliances entre gouvernants c’est tout le contraire qui se passe. Les peuples adultes élisent soit des fantoches populistes qui bloquent toute avancée, soit des opportunistes incompétents et à la vue courte. Pour nos progénitures, le point de non-retour est atteint.  

« Comme nos dirigeants se comportent comme des enfants, nous devrons assumer la responsabilité qu’ils auraient dû assumer depuis longtemps » scandait la jeune Greta en décembre dernier au sommet sur le climat qui se tenait en Pologne. Ces jeunes sont tout sauf naïfs. Ils savent qu’ils ne pourront pas prendre les rênes des États et encore moins du monde. Il leur faut composer avec les adultes, les aiguillonner, les harceler, les mettre sur le gril, les traîner en justice et occuper l’espace politique pour faire bouger les choses.

Contrairement à ce que dit le président Macron, ces mouvements de jeunes pour le climat ne sont pas « sympathiques ». Ils sont très sérieux et c’est ainsi qu’il faut les prendre. Ils disent quelque chose qu’il faut entendre. Ils inversent la polarité de responsabilité entre un adulte et un enfant. Ils nous parlent de leur monde. Celui qui vient. Ils ne font plus confiance aux générations adultes pour leur en confier la responsabilité. Un lien rompu dont nul ne peut aujourd’hui prédire les conséquences et les effets.

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