Depuis au moins quarante ans, les scientifiques alertent le monde sur la crise climatique. Ils ont longtemps prêché dans le désert, tels des prophètes de mauvaises nouvelles. Mai les choses ont changé. Et, singulièrement, l’année 2019 a marqué un tournant. La crise climatique fait désormais partie de notre quotidien. Chaque bulletin météo traduit une expression du phénomène. Les épisodes violents se multiplient devant les yeux révoltés ou désemparés du monde. Ici un cyclone d’une taille jamais vue, là des mégafeux, ailleurs des inondations géantes, des glissements de terrain, des périodes de plus en plus longues et nombreuses de canicule. La forêt qui brûle, Venise qui s’enfonce sous les eaux, les sécheresses qui ravagent, la biodiversité qui s’effondre… Il faut bien se rendre à l’évidence, les terriens découvrent une réalité devant laquelle ils se sentent impuissants. Pendant que leurs gouvernants détournent les regards et continuent leurs petites affaires.
S’il est une émission de télévision qui, quelque que soit le pays, a de tous temps remporté le plus d’audience, c’est bien le bulletin météo. Situé en général à une heure de forte écoute, il est attendu comme un rendez-vous que l’on ne doit pas manquer. Les présentateurs du temps qu’il va faire sont devenus des stars et leurs oracles assidûment suivis.
Changement de paradigme à la météo
Mais, par tradition, prudence ou paresse, les pythies de la météo se gardaient bien de mélanger les torchons et les serviettes. Ce dont elles parlent, c’est de la météo, le temps qu’il a fait aujourd’hui et qu’il fera demain. Les phénomènes climatiques, c’est une autre histoire, réservée à des scientifiques amateurs de carottes de glace et courbes de long-terme. Et rapprocher un épisode de grand froid inhabituel dans tel coin du territoire, du long mouvement de la planète, était considéré comme une aventure des plus audacieuses.
Pourtant, les choses ont changé très récemment. Car chaque bulletin météo est devenu une expression du changement climatique en cours. Pour être plus précis, chaque bulletin météo est l’expression locale d’un changement climatique global. Climat et météo ne sont plus séparés comme on nous l’a longtemps martelé.
Le climatologue Reno Knutti dirige une équipe de chercheurs suisses et norvégiens. Ils viennent de publier dans la revue Nature Climate Change une étude qui démontre, grâce aux techniques d’apprentissage machine appliquées à des bases de données météorologiques gigantesques, que l’empreinte du changement climatique global sur la météo locale remonte précisément à l’année 1999. Ils ont observé que le phénomène est allé en s’amplifiant, et que dès l’année 2012, la trace profonde du climat sur la météo pouvait se constater chaque jour. Pour ces experts, cela signifie que l’empreinte du changement climatique est si importante qu’elle dépasse maintenant la variabilité quotidienne de la météo à l’échelle mondiale.
Ces nouvelles conclusions suggèrent que le changement climatique est plus profondément enraciné que nous ne le pensions. Pour regarder le bon côté des choses, cette situation pourrait aider à relier plus finement les tendances du climat de long-terme aux événements météorologiques de court terme et à mieux anticiper les phénomènes à venir. Reno Knutti affirme : « cela pourrait nous aider à nous préparer au pire ».
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2019 marque un tournant
Cet enracinement du changement climatique dans la quotidienneté du temps qu’il fait se manifeste aussi inévitablement dans nos esprits. On parle de « prise de conscience » de l’urgence climatique comme s’il s’agissait soudain d’un accès de fièvre. En réalité, la perception dans la vie quotidienne du changement climatique est un phénomène extrêmement récent. 2019 aura sans doute marqué un tournant à cet égard. Certes, toute personne à peu près bien informée connaissait les rapports du Giec, avait suivi quelquefois avec passion les épisodes du feuilleton de la COP et notamment celle de Paris en 2015. Les médias ont fait leur travail, avec parfois un goût trop prononcé pour les nouvelles sensationnelles plutôt que les phénomènes de fond.
Ce qui a été marquant en 2019, c’est la voix de la foule dans le concert climatique qui se jouait jusque-là en sourdine, entre spécialistes bien informés. Une foule de jeunes d’abord, légitimement inquiets sur la planète que leur laisserait leurs parents, indignés devant l’inaction des adultes, et singulièrement les responsables politiques. Cette foule se trouva un visage en la personne de Greta Thunberg. Une inconnue de quinze ans à peine, devenue porte-parole d’une génération et star mondiale nominée pour le prix Nobel. Cette jeune suédoise parle haut et fort dans toutes les instances internationales et entraîne des millions de jeunes écoliers et- lycéens qui manifestent chaque semaine pour exiger des mesures en faveur du climat.
D’autres jeunes se lancent, comme s’ils pressentaient la future apocalypse, dans une course vers la désobéissance civile. Le mouvement Extinction Rebellion manifeste dans toutes les régions du monde avec une devise : « quand l’espoir meurt, l’action commence ! ».
2019 c’est aussi l’année où le Giec a tapé très fort. D’ordinaire ses rapports sont écrits au cordeau et chaque mot est le fruit du compromis d’une communauté scientifique allergique aux fausses nouvelles. Résultat, les rapports du Giec sont denses, complets, un brin soporifique et il faut chercher entre les lignes pour trouver des éclats de parole sur un sujet aussi sensible que le climat mondial. Pourtant l’année dernière le rapport publié par le Giec a fait l’effet d’un coup de massue : nous n’avons plus que douze ans pour agir. Après, ce sera trop tard.
Face à ce calendrier fatal, les opinions publiques ont soudain pris conscience que nous étions très loin du compte. Alors que l’ONU, reprenant les préconisations du Giec, déclare que les émissions de carbone doivent diminuer de 7.6 % par an d’ici 2030 pour avoir une chance de rester sous la barre des 1.5 °C d’augmentation des températures, les chiffres actualisés, publiés pour l’année 2019, font état non pas d’une baisse mais d’une augmentation des émissions de CO2 dans l’atmosphère. Comme si nous n’avions rien compris.
En même temps et la même année 2019, la COP 25 qui s’est tenue à Madrid a été un fiasco. Les plans de lutte contre le réchauffement climatique annoncés par les États se révèlent loin d’être à la hauteur de la crise. Des nouvelles qui ont de quoi décourager les plus optimistes, d’autant que les bulletins météo des télévisions mondiales, chaque jour apportent leur lot de nouvelles inquiétantes. Un méga-cyclone au Mozambique, un typhon jamais vu au Japon, une vague de chaleur sans précédent en Europe, des incendies ravageurs en Afrique, en Californie et maintenant en Australie. Des inondations et des glissements de terrain en Asie, et Venise noyée par sa propre lagune faisant fuir les touristes venus passer Noël dans la cité des Doges.
Ce qui est apparu dans ce tournant de 2019 c’est que nous sommes tous égaux devant les crises de la planète. Nos nations ont beau posséder les technologies les plus avancées, elles sont démunies et désarmées face à des flammes de 70 mètres de hauteur, des inondations incontrôlables et des vents ravageurs. Nous voyons des territoires défigurés, des victimes, des destructions, des déplacés ; nous sommes d’autant plus compatissants que nous savons que cela peut nous arriver aussi. Mais ce qui attise la colère de plus en plus généralisée, c’est que nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes. Le réchauffement climatique n’est pas causé par un caprice des dieux mais par la folie des hommes. Nous voyons avec tristesse l’Australie brûler mais nous savons que son premier ministre de droite, Scott Morrison, est un farouche climatosceptique, ami intime des puissances des industries fossiles et qu’il préfèrera toujours, même face aux flammes, privilégier le business de l’industrie du charbon plutôt que les trésors de faune et de flore que son pays abrite.
Jadis nous parlions volontiers entre voisins de la pluie et du beau temps. Aujourd’hui, le climat est devenu la place centrale des préoccupations, partout sur la planète. Le Global Positive Forum a mené une étude auprès de 21 000 citoyens vivant dans les pays du G20 (l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Canada, la Chine, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Indonésie, l’Inde, l’Italie, le Japon, la Corée du Sud, le Mexique, la Russie, l’Arabie Saoudite, la Turquie, les Etats-Unis et l’Afrique du Sud). A la question « Quel est, selon vous, le problème le plus urgent auquel doivent répondre aujourd’hui les leaders politiques », la réponse arrivée n°1 concerne les questions environnementales.
Alors que la situation mondiale reste particulièrement critique, avec des émissions de gaz à effet de serre qui ne cessent de s’accroître, des températures qui battent des records, un déclin inextinguible de la biodiversité, une déforestation qui s’accélère, les citoyens des pays du G20 appellent en masse leurs leaders politiques à l’action. Il est peu probable que leur message soit entendu.
Il s’agit pourtant de leur quotidien à venir.
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