Le monde entier est stupéfié devant les images des feux géants qui ravagent l’Australie. Leur ampleur rendrait presque les incendies de Californie, de Russie et même d’Amazonie insignifiants par rapport au « Monster », ce mégafeu qui sévit actuellement. Les dégâts causés localement sont considérables et encore loin d’être chiffrés, notamment pour la faune et la flore. Mais d’autres dégâts sont à craindre. Ils ne sont pas locaux ceux-là mais nous concernent tous, quelque soit l’endroit où nous habitons dans le monde. En effet, les mégafeux d’Australie, par leur intensité, vont avoir un impact sur le système climatique global.
Les observateurs qui sont sur place en Australie sont très impressionnés par les nuages qui se développent actuellement, pendant les incendies géants. Les météorologues les reconnaissent comme des pyrocumulonimbus. Ces nuages sont créés par la chaleur et la fumée des feux de forêt, formant des structures imposantes ressemblant à des cheminées qui ont les mêmes caractéristiques violentes qu’un orage.
Ces nuages remplis d’éclairs sont souvent observés après des éruptions volcaniques et ont été signalés lors d’autres feux de forêt à grande échelle, comme ceux de Californie en 2018. Leur formation contribue à compliquer la nature des mégafeux dont ils sont issus. En effet, ils favorisent ce que les pompiers appellent un « comportement extrême du feu ». Celui-ci saute alors toutes les lignes de confinement, change de direction et déclenche des tourbillons et de véritables tornades de flammes. Ces nuages sont également à l’origine d’autres phénomènes météorologiques dangereux comme les « attaques à la braise », où des brindilles, des branches et d’autres matériaux en feu sont transportés dans l’air et tombent sur les environs, menaçant la vie des personnes et des animaux pris dans l’incendie. Deux pompiers australiens ont survécu miraculeusement à une attaque à la braise alors qu’ils étaient coincés dans un embrasement ce mardi 7 janvier.
Craig Clements, fondateur du laboratoire de recherche sur la météorologie du feu à l’université d’État de San José, affirme que le taux de ces nuages liés aux incendies en Australie est unique. « C’est probablement la plus grande épidémie de pyrocumulonimbus sur Terre », a-t-il déclaré.
Une cheminée vers la stratosphère
Mais ces nuages infernaux, ne se contentent pas de semer la terreur sur les localités au-dessus desquelles ils se forment. Car, comme une cheminée, ils font monter la fumée dans la stratosphère de la Terre, au-delà de 20 km d’altitude, avec des « effets néfastes persistants« , selon la NASA. En 2018, les climatologues ont découvert que ces pyrocumulonimbus peuvent perturber l’atmosphère à des niveaux similaires à ceux des éruptions volcaniques, en propulsant à haute altitude des panaches de fumée qui persistent pendant plusieurs mois après les incendies. Le 6 janvier dernier, les scientifiques observaient que des fumées, portées par ces nuages géants, s’étaient infiltrées dans la stratosphère et s’étendaient déjà sur plus de 6000 kilomètres.
Or si les scientifiques connaissent bien les formations nuageuses provoquées par des éruptions volcaniques, ils sont plus incertains sur la dangerosité pour le climat des nuages produits par des mégafeux. Les éruptions volcaniques propulsent du dioxyde de soufre qui, une fois libéré dans la stratosphère, réagit avec l’eau et crée des aérosols de sulfate. Ceux-ci persistent pendant des mois voire des années et ont pour caractéristique de réfléchir la lumière du soleil, provoquant un effet refroidissant sur le climat, qui peut durer des années. Mais pour ce qui concerne les fumées produites par les incendies et propulsées par les pyrocumulonimbus il ne s’agit pas de soufre mais de carbone. Le rôle de ces aérosols de carbone est encore mal connu et l’on ne sait pas s’ils contribuent à refroidir ou réchauffer le système climatique. Certains aérosols pourraient avoir un effet de refroidissement temporaire en bloquant la lumière du soleil alors que d’autres, composés de carbone noir, piègeraient la chaleur et entraîneraient, selon Inside Climate News, une hausse des températures globales.
Levers de soleil cramoisis
Descendons de la stratosphère pour regarder ce qui se passe à des altitudes moins élevées. Les mégafeux d’Australie provoquent des dégâts sur de longues distances. Leurs panaches de fumées ont été déportés sur des milliers de kilomètres à travers le Pacifique pour atteindre l’Amérique du Sud. Les habitants du Chili et d’Argentine ont pu les observer et s’étonner de levers et couchers de soleil rouge cramoisi. Des ciels dignes des plus belles cartes postales mais porteurs de particules dangereuses et de polluants comme le monoxyde de carbone. Autant de gaz a effet de serre rejetés et transportés sur des milliers de kilomètres dans l’atmosphère. Ce phénomène n’est pas nouveau et en 2018, les météorologues avaient relevé des taux de particules très supérieurs à la normale en Europe, à des milliers de kilomètres des incendies canadiens qui les avaient expulsées.
Les particules expulsées par les feux australiens sont transportées par les vents jusqu’en Arctique, au Groenland ou en Alaska où l’on craint qu’elles contribuent à l’accélération de la fonte des glaciers et des nappes glaciaires.
El Niño des mégafeux
A tout cela s’ajoute un dernier phénomène qui est encore mal étudié par les climatologues. C’est ce que l’on pourrait appeler l’ « effet El Niño » appliqué aux mégafeux. C’est l’intuition qu’a eue un climatologue de renom, le professeur en science atmosphérique de l’université de l’Illinois, Steve Nebsitt.
Il se demande dans un tweet si la chaleur et la fumée des incendies d’Australie ne vont pas modifier les modèles météorologiques à grande échelle et comment les modèles de prévisions globale vont réagir. Steve Nesbitt pense au phénomène El Niño . Il s’agit d’une source de chaleur provoquée par des eaux anormalement chaudes situées dans l’océan Pacifique équatorial. Cette source de chaleur modifie significativement le système climatique mondial. Cela, on le sait depuis longtemps. Nesbitt se demande si les mégafeux d’Australie ne vont pas jouer le même effet. Il s’agit d’une forte source de chaleur de surface qui, comme El Niño , peut provoquer des changements dans les circulations atmosphériques et les régimes météorologiques mondiaux. Comme un caillou jeté dans une mare d’eau, les vagues provoquées ondulent bien au-delà de leur point d’impact.
Il ne faudra donc pas s’étonner si l’on observe des perturbations aggravées du climat de régions très éloignées de l’Australie qui seraient dues aux mégafeux qui se déroulent en ce moment. La surface brûlée représente un territoire grand comme deux fois un pays comme la Belgique. La chaleur et les fumées produites n’auront pas d’effets circonscrits à la seule Australie. L’effet papillon pourrait, une fois de plus, se vérifier.