Quand les cartes des émissions de gaz à effet de serre en Chine, avant et après le déclenchement de l’épidémie de Coronavirus, ont été publiées, certains ont immédiatement crié victoire. Quand la circulation automobile s’arrête, quand les usines ne tournent plus, quand les gens sont enfermés chez eux, l’air devient respirable et le climat s’en porte mieux, sans délai. Nous vivions là une expérimentation grandeur nature de ce que pourrait être la fameuse « décroissance » prônée par certains militants écologistes. Mais la réalité est toute autre. La crise du Coronavirus n’est pas bonne pour le climat. Elle peut même compromettre tous les efforts faits en la matière.
Cela paraît une évidence : quand toute activité humaine s’arrête, la pollution de l’atmosphère par le carbone diminue dans de fortes proportions. Une lapalissade qui, au passage, devrait convaincre les quelques récalcitrants climatosceptiques de la réalité du caractère anthropique du dérèglement climatique. Les émissions de CO2 baissent et ont déjà baissé dans le passé à cause des guerres, des chocs économiques et des baisses sensibles d’activité. Mais toujours, après la crise, l’économie se redresse et les activités reprennent de plus belle, tout comme les courbes des émissions de gaz à effet de serre.
Personne ne peut souhaiter que la crise épidémique que nous traversons dure pour réduire l’impact humain sur le climat. Qui peut souhaiter l’arrêt de l’activité humaine, les confinements, les malades et les morts ? Même les plus ardents défenseurs du climat répugnent à se réjouir de cette situation.
Tous s’accordent à affirmer que l’épidémie de Coronavirus et la fourniture de soins appropriés doit être la priorité absolue en ce moment.
La menace de nous désintéresser de l’urgence climatique, de baisser la garde ou de ne plus avoir les ressources disponibles pour mener des politiques bonnes pour le climat est sérieuse pour plusieurs raisons. Celles qui concernent l’économie sont en passe de devenir les plus visibles.
Le grippage des marchés financiers
Si les marchés financiers se bloquent, il deviendra incroyablement difficile pour les entreprises d’obtenir le financement nécessaire pour faire avancer les projets en cours dans les domaines de l’énergie solaire, de l’énergie éolienne et des batteries, et encore moins d’en proposer de nouveaux. Aujourd’hui, les gouvernements tentent de soutenir l’économie mise à mal par la baisse d’activité due au Coronavirus. Les ressources vont à l’aide aux entreprises en difficulté et iront en masse aux banques pour qu’elles soutiennent l’activité.
De plus, les marchés financiers craignent un krach qui se traduirait par la chute de certaines banques et l’installation du spectre qui hante tous les économistes, la récession. Dans ce tableau, les financements verts seront relégués en un lointain arrière-plan au profit de mesures de sauve-qui-peut.
La guerre du pétrole
La crise du Coronavirus, par la confusion générale qu’elle produit, crée une occasion de jouer des coups tordus et d’avancer des pions sur le grand échiquier du monde. En début de cette semaine, les prix mondiaux du pétrole ont fait un plongeon historique. A première vue, il s’agirait d’une réaction des pétroliers à la baisse d’activité du monde causée par l’épidémie. En réalité, ce jeu sur les cours du pétrole relève de la guerre entre rois de l’or noir. Guerre entre la Russie qui se veut intraitable sur les niveaux de production de ses combustibles fossiles et l’Arabie Saoudite qui s’est lancée dans une opération de cassage des prix à grande échelle. On n’avait pas vu un prix du baril de pétrole aussi bas depuis longtemps. L’objectif derrière de ramdam est aussi de casser la morgue des Américains qui ont retrouvé leur indépendance énergétique en menant, contre toute logique climatique, une politique soutenue de production de pétrole issu de gaz de schiste. Un pétrole cher mais qui pouvait rivaliser avec les autres sources d’approvisionnement quand leurs cours étaient hauts. Si le pétrole d’Arabie se vend à prix cassé, le pétrole de Trump se retrouve pénalisé et son avenir menacé. Or le prince d’Arabie saoudite tout comme Vladimir Poutine se rejoignent pour partager un but commun : abattre définitivement le pétrole américain.
Dans cette bagarre, les consommateurs voient simplement les prix à la pompe baisser. Si cette tendance perdure, le pétrole se retrouvera tout ragaillardi dans sa compétition avec l’électrique. Les voitures électriques, déjà plus chères que celles à combustible fossile, risquent de se retrouver très difficiles à vendre. Tant pis pour le climat. Les financiers ne s’y sont pas trompés : les cours de l’action de Tesla se sont effondrés dès lundi.
Guerre des approvisionnements
La Chine est le plus gros producteur au monde de panneaux solaires, d’éoliennes et de batteries lithium-ion qui alimentent les véhicules électriques. L’épidémie de Coronavirus a gravement perturbé la production chinoise, tout le monde a pu s’en apercevoir. Baisse de production et interruption des circuits d’approvisionnement ont grippé toute l’industrie et notamment celles des énergies renouvelables. Les économistes ont soudain pris consciences des dangers que représentaient la mondialisation et la mise en œuvre à outrance du concept de « chaînes de valeurs ».
Pour l’avenir, nous jure-t-on, les industriels seront plus prudents et ne mettront plus leurs œufs dans le même panier. Mais en attendant que les politiques changent, si elles changent un jour, des secteurs entiers liés à l’économie verte se retrouvent durablement paralysés.
Des industries fossiles qui actionnent toujours, en arrière-plan, le théâtre de marionnettes de la politique mondiale.La situation pourrait empirer si, d’aventure, l’administration Trump, comme certains de ses membres semblent le préconiser, voulait profiter de la faiblesse conjoncturelle de la Chine pour mettre en œuvre des mesures supplémentaires de restriction du commerce. Les chaînes d’approvisionnement des industries d’énergie propre se retrouveraient alors définitivement condamnées au bénéfice des industries fossiles qui actionnent toujours, en arrière-plan, le théâtre de marionnettes de la politique mondiale.Regains autoritaristes
Ces dernières années, le changement climatique est devenu une priorité de plus en plus importante pour l’électeur moyen et la force motrice d’un mouvement croissant de jeunes activistes dans le monde entier, qui fait pression sur les politiciens pour qu’ils prennent des mesures sérieuses pour la planète. C’est ainsi que l’on a pu voir au cours des dernières élections, notamment en France, la montée en puissance des partis verts et leur installation apparemment durable dans le paysage politique.
Mais les craintes pour la santé publique et les risques pour l’économie, pourraient détourner l’attention des citoyens des problématiques d’urgence climatique. Les électeurs se concentreront sur leurs intérêts immédiats, de très court terme, en matière de santé et d’argent et relègueront au second plan les préoccupations environnementales de moyen et long terme.
De plus, la gestion de la crise du Coronavirus exige des mesures extraordinaires qui entravent quelques-unes des libertés essentielles des gens. On a vu comment la Chine pouvait sans complexe enfermer plusieurs dizaines de millions de personnes ou recourir à des moyens de surveillance qui feraient se hérisser tous les défenseurs des libertés individuelles. Les observateurs ont fait remarquer que ces dispositions ne pouvaient être prises qu’en Chine, et seraient impossible à reproduire ailleurs. Mais, les résultats de la Chine dans sa lutte contre l’épidémie se sont révélés très positifs. Si on en croit les chiffres chinois, validés par les experts de l’OMS, la Chine est parvenue à endiguer si ce n’est éradiquer l’épidémie. Il est très probable de d’autres pays voudront reproduire ce modèle. L’Italie en est l’exemple, venant de décider l’interdiction de tout déplacement sur l’ensemble de son territoire.
Autant de mesures qui reportent sine die toutes les politiques de lutte contre le changement climatique.
Le salut dans la tech ?
Si l’on veut malgré tout rester optimiste, on pourra trouver dans cette crise du Coronavirus l’occasion de mettre en pratique des comportements à faible intensité carbone, et de s’y habituer. C’est le cas du travail à distance, de la limitation des déplacements professionnels, du télé-enseignement, de la télémédecine, de la visioconférence. Sur la côte Ouest des Etats-Unis, plusieurs grands groupes (Amazon, Microsoft, Google…) ont recommandé à leurs employés de travailler de chez eux, surtout dans la région de Seattle, un foyer américain du Covid-19. À San Francisco, certaines écoles ont déjà prévenu les parents d’élèves qu’elles pourraient assurer des cours à distance par visioconférence, en cas de fermeture.
Les entreprises de réalité virtuelle (VR) voudraient aller encore plus loin. Alors que les salons professionnels sont annulés les uns après les autres, certains opérateurs proposent de les remplacer par des conférences numériques. Le groupe taïwanais HTC a ainsi annoncé ce vendredi 6 mars que les participants à sa conférence sur Vive, sa marque de VR, pourraient y assister via des casques, en immersion virtuelle. Plus de déplacements, de voyages en avion à fort empreinte carbone … Le Coronavirus montrerait-il qu’il est donc possible de travailler autrement avec, au passage, beaucoup moins d’impact sur la planète ?