Dans les dix priorités de la nouvelle Commission européenne figure la volonté de donner un nouvel élan à la politique énergétique et climatique européenne : conformément aux souhaits de son président, Jean-Claude Juncker, celle-ci doit conduire à une « Union plus résiliente sur le plan de l’énergie et dotée d’une politique visionnaire en matière de changement climatique ». France Stratégie a sollicité l’expertise de trois économistes européens, dont Dieter Helm, professeur de politique énergétique à l’université d’Oxford, qui publie un rapport/document de travail afin que la Commission européenne puisse définir correctement ses objectifs. Pour forcer les dirigeants politiques à faire des choix et changer la donne.
Si la Commission européenne doit logiquement s’inscrire dans de nouvelles orientations et en particulier dans le plan de relance annoncé par son président, elle doit également tenir compte des événements auxquels elle peut être confrontée, en particulier de l’évolution des négociations internationales sur le climat, des variations possibles des prix des hydrocarbures et du développement de la production d’hydrocarbures non conventionnels. Elle doit enfin s’insérer dans le cadre géopolitique dans lequel évolue l’Union européenne, en particulier vis-à-vis de la Russie.
Dans cette perspective, France Stratégie a sollicité l’expertise de trois économistes européens : Marc Oliver Bettzüge, professeur d’économie, directeur général de l’Institut de l’économie de l’énergie à l’université de Cologne ; Dieter Helm, professeur de politique énergétique à l’université d’Oxford ; et Fabien Roques, professeur associé à l’université Paris-Dauphine et vice-président à Compass Lexecon. Un premier rapport paru en janvier 2014 établissait le diagnostic de la crise dans laquelle se trouve le système électrique européen.
En 2014, la politique européenne relative à l’énergie et aux changements climatiques est revenue sur le devant de la scène. L’annexion de la Crimée et la déstabilisation de l’Est de l’Ukraine ont soulevé des tensions avec la Russie qui ont atteint des niveaux sans précédent depuis la guerre froide. L’Union européenne a riposté avec un plan de sécurité énergétique et des sanctions.
Les événements survenus ailleurs ont encore davantage compliqué la situation. Au Moyen-Orient, la progression rapide d’EIIL (L »État Islamique en Irak et au Levant » désormais appelé l’État islamique), les conflits internes en Libye, la guerre à Gaza et la poursuite des négociations avec l’Iran sur les questions nucléaires laissent entendre que l’optimisme initialement engendré par le « printemps arabe » était pour le moins déplacé, et l’instabilité chronique est de retour.
Aux États-Unis, la révolution énergétique continue de transformer la géopolitique du pétrole et du gaz et le scepticisme initialement suscité par ces changements et l’annonce d’une possible indépendance énergétique nord-américaine cède la place à la reconnaissance de la pérennité et de l’ampleur de ces changements, qui concernent tout autant les marchés énergétiques internationaux que l’Europe. Les répercussions de la fin du supercycle des matières premières sont à la fois extrêmement profondes pour la politique énergétique européenne et très mal comprises. Les prix des matières premières se sont effondrés, notamment ceux du pétrole, qui sont tombés en dessous des 80 $ le baril[1].
Pour ce qui est du changement climatique, il est quasiment certain qu’il n’y aura pas de suite au cadre international de Kyoto après la conférence de Paris en décembre 2015. Les émissions chinoises par habitant ont désormais dépassé celles de l’Europe et il est enfin admis que c’est la Chine, et non l’Union européenne, qui est au coeur de la problématique du changement climatique. La Chine a annoncé qu’elle n’entend plafonner ses émissions de CO2 qu’après 2030, quand ces dernières auront quoi qu’il en soit probablement atteint leur plus haut niveau, avec une valeur bien plus importante après quinze nouvelles années d’augmentation. La conférence de Paris reposera sur une série de « pactes » et d’« engagements », très proches du modèle de l’Accord de Copenhague, et non pas sur les mesures exécutoires crédibles et légalement contraignantes qui avaient été envisagées par la Conférence des Parties de Durban en 2011.
Les émissions mondiales augmentent désormais à près de 3 parties par million, le seuil de 440 ppm a été dépassé et, en Europe, l’Allemagne voit ses émissions augmenter alors que le charbon continue à dominer le bouquet énergétique de production d’électricité. L’objectif d’un réchauffement maximal de 2 degrés semble hors d’atteinte.
Bien que de nombreux dirigeants européens soient désireux d’affirmer que ces évolutions extérieures en matière de sécurité et de changement climatique confirment la pertinence des politiques existantes, notamment du paquet de mesures sur le marché intérieur de l’énergie et le changement climatique, cette position est de plus en plus difficile à défendre. Un changement est nécessaire.
Ce rapport/document de travail présente une direction possible pour la politique énergétique et climatique européenne. La section 2 évoque les principes économiques et notamment les tendances concernant le prix des matières premières et les technologies. Dans ce contexte, la section 3 examine le cadre conceptuel et la façon de concevoir les instruments politiques de manière à atteindre les objectifs fixés. Cette partie s’appuie sur un article intitulé « La situation actuelle et les perspectives à moyen terme des marchés européens de l’électricité » paru en octobre 2014 [2]. Les sections 4, 5 et 6 traitent respectivement de chaque élément clé de la politique : la sécurité, le climat et la viabilité financière. La section 7 envisage les prochaines étapes et les options politiques s’offrant à l’Europe.
[1] A la date où a été rédigé ce rapport
[2] Helm, D.R. (2013) La situation actuelle et les perspectives à moyen terme des marchés européens de l’électricité, octobre.
(Source : France Stratégies 16 mars 2015 © Dieter Helm)