Le Forum mondial du développement durable (FMDD) a tenu le lundi 16 mars 2015, en partenariat avec France-Amériques, sa 13e session annuelle centrée sur le thème « La lutte contre le réchauffement climatique : facteur de division ou force motrice d’un nouvel ordre mondial ». Réunion qui a abouti à une série de huit propositions concrètes présentées ci-dessous.
Cette réunion du FMDD, animée par Emile H. Malet, directeur de la revue Passages, a été ouverte par des allocutions de Jean-Claude Beaujour, Vice-Président de France-Amériques, Edmond Alphandéry, ancien ministre, Yves Leterme, ancien Premier ministre de Belgique et Marie-Hélène Aubert, conseillère Climat et environnement à la cellule diplomatique de la Présidence de la République.
26 intervenants de six nations différentes dont les Etats-Unis, la Chine, le Brésil… se sont succédé au cours de la journée. A l’issue de ses travaux, le 13e FMDD a réaffirmé le rôle fondamental de l’énergie, à la condition qu’elle soit consommée de manière efficace, en tant que moteur de la croissance et donc de l’amélioration du bien-être des peuples et du plein emploi. Prenant acte des conclusions du 5e rapport du GIEC, le FMDD a conclu que les politiques publiques devaient tendre à une maîtrise des émissions de gaz à effet de serre plus qu’à un encadrement des activités ou à une limitation pour elle-même des consommations d’énergie.
Dans cet esprit, il a formulé un ensemble de recommandations mettant l’accent sur la nécessité de tirer parti de la baisse actuelle des prix du pétrole pour financer et mettre en place des moyens additionnels de décarbonation des économies. Une telle volonté sous-tend le projet d’Union de l’énergie lancé le 25 février 2015 par la Commission européenne. Il appartiendra de son côté à la COP 21 de tirer parti de cette conjoncture exceptionnellement favorable pour adopter les mesures appropriées au niveau international.
Au niveau français, le FMDD préconise de doter les nouvelles grandes régions de la possibilité de prélever un ou plusieurs centimes climatiques additionnels sur les carburants, en complément des centimes régionaux actuels, afin de doter les régions de ressources leur permettant d’engager des actions nouvelles de lutte contre le réchauffement climatique ou d’adaptation à ses conséquences.
Enfin le FMDD préconise la création d’un indice de performance climatique des nations, reconnu au niveau international et régulièrement publié. Cet indice tiendra compte du respect par chaque nation des contributions qu’elles auront apportées dans le cadre de l’accord de Paris et de l’évolution de leur empreinte climatique.
Huit Propositions
1. Le FMDD prend acte des conclusions du 5e rapport du GIEC et constate que le consensus s’est renforcé au niveau international sur la nécessité de mener une politique plus active de limitation du réchauffement climatique et d’adaptation aux évolutions qui en résulteront. Il se félicite de la ligne tracée par le Conseil européen du 28 octobre 2014 et du rapprochement des positions entre les deux grands émetteurs que sont la Chine et les Etats-Unis.
Le FMDD constate que le contexte est favorable pour qu’un accord de portée historique soit élaboré lors de la Conférence de Paris sur le climat (COP21) en décembre prochain. Il souhaite que l’accord qui sera trouvé jette les bases d’une action pérenne contre le dérèglement climatique en donnant à tous les acteurs concernés l’assurance d’une action forte et durable.
2. Le FMDD estime que le plan d’action résultant de la Conférence de Paris doit être conçu de façon à « positiver » la lutte contre le changement climatique et sa perception par les opinions publiques dans les différents continents. Cette lutte doit être fondée sur une maîtrise des émissions de gaz à effet de serre (majoritairement le CO2 mais aussi le méthane) plus que sur un encadrement des activités ou sur une limitation pour elles-mêmes des consommations d’énergie qui seraient préjudiciables à la croissance. La croissance, aussi bien gérée soit-elle, a en effet besoin d’énergie, mais consommée de manière efficace. La croissance contribue au bien-être des peuples, elle est indispensable à la recherche du plein d’emploi et facilite, grâce aux investissements qu’elle rend possibles, la décarbonation de la société.
3. La lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et la construction d’une adhésion durable à l’objectif passe par une meilleure connaissance de ces émissions et par des bilans faits de façon transparente et objective. Tous les pays doivent désormais participer à cet effort de « mesure, reporting et vérification ». Cependant la juste appréciation de la responsabilité de chaque nation dans les émissions suppose une évaluation des émissions « grises » incluses dans les biens importés ou exportés. La réalisation des objectifs de réduction d’émission ne peut être considérée comme satisfaisante si elle résulte d’une réduction d’activité ou d’une relocalisation des productions. Des mesures appropriées sont nécessaires pour remédier à de possibles contre-performances liées à ces fuites de carbone, ce qui nécessite notamment une vérification précise et des rétroactions adaptées.
4. Les progrès sur les émissions doivent être replacés dans le cadre plus général de l’amélioration de la qualité de vie des populations et de la préservation des ressources de la planète. Un indice international de performance climatique des nations doit être élaboré, approuvé au niveau international et régulièrement publié. Cet indice tiendra compte du respect par chaque nation de l’apport de ses contributions annoncées dans le cadre de l’accord de Paris et de l’évolution de son empreinte climatique.
5. La promotion des énergies décarbonées les plus efficaces et des techniques d’utilisation rationnelle de l’énergie est une chance pour tous les pays :
– pour les pays en développement, c’est la possibilité de construire, sur des bases saines et durables, le progrès économique auquel ils aspirent ;
– pour les pays développés et pour la France en particulier, c’est l’occasion de moderniser les structures de production et de leur redonner la compétitivité qui leur est nécessaire.
Il est donc impératif d’organiser au niveau international, dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, un accès aux technologies de décarbonation. Parmi celles-ci, l’accent doit notamment être mis sur :
a. le développement des transports collectifs et des motorisations électriques ou à faible consommation ;
b. celui des modes de stockage d’électricité performants ;
c. celui des véhicules autonomes et/ou connectés ;
d. le développement des réseaux intelligents ;
e. les techniques de charbon propre ;
f. le nucléaire de 4e génération.
Ces objectifs répondent à des enjeux essentiels et appellent des actions concertées entre les Etats-Unis, l’Europe et la Chine. Ces technologies doivent également être rendues accessibles, dans des conditions équitables, aux pays moins avancés dans leur développement, en Afrique en particulier.
6. S’agissant du financement des actions de mitigation aussi bien que d’adaptation, le FMDD note que la baisse actuelle des prix du pétrole engendre des transferts de revenus d’une ampleur considérable qui n’avaient pas été anticipés. Des mesures doivent être prises pour que ce surplus ristourné aux pays consommateurs ne conduise pas à un relâchement des efforts mais au contraire à l’allocation de moyens additionnels au profit de la décarbonation des économies :
a. réduction des subventions à la consommation des énergies fossiles (550 Mrd USD selon l’AIE : plus de cinq fois l’objectif du Fonds vert) ;
b. suppression des aide et financements privilégiés à la construction de nouvelles centrales à charbon de faible performance énergétique, sachant que le thermique à flamme reste pour un certain nombre de pays émergents une solution à la fois économique et socialement nécessaire ; un effort particulier doit alors être fait pour avancer sur les technologies de captage et séquestration du carbone ;
c. les secteurs fortement émetteurs tels que la sidérurgie, l’industrie de la pâte à papier, la métallurgie, la chimie… doivent également être l’objet de nouveaux efforts de limitation des émissions ;
d. fixation, au niveau international, d’un prix de référence du CO2 (selon la règle des dizaines : 20 € en 2020, 30 € en 2030…) en invitant les Etats à élaborer leurs politiques publiques en fonction de ce prix notionnel ;
e. mise en chantier d’un fonds d’intervention innovant par rapport aux fonds traditionnels : nouvelles parties prenantes, nouvelles formes d’alimentation etc. intégrant les conclusions de la Conférence sur le financement du développement de juillet 2015 à Addis Abeba ;
f. fixation au niveau européen, à compter de 2020, d’un prix plancher du CO2 dans le cadre de l’EU-ETS, en référence au prix notionnel international et en s’inspirant du système en vigueur depuis 2013 au Royaume-Uni ;
g. mise en œuvre, dès 2018, du processus de réserve de stabilité visant à soutenir les prix des quotas carbone et à l’amener au niveau visé pour 2020 ;
h. collecte, grâce notamment au système de l’EU-ETS, de ressources suffisantes pour relancer les grands projets de R&D ;
i. au niveau français, latitude donnée par la loi aux nouvelles grandes régions de prélever sur les carburants un ou plusieurs centimes climatiques, en addition des 2.5 centimes qu’elles prélèvent actuellement dans le cadre de la TICPE, en imposant que ces ressources nouvelles soient fléchées sur de grands programmes d’initiative régionale.
7. Les questions climatiques doivent être étroitement associées aux questions sociales afin que l’ensemble des parties prenantes puissent se les approprier et adhérer aux orientations prises. Cela implique de développer, à tous les niveaux et dans tous les pays, un effort de sensibilisation et d’éducation de chaque acteur de la vie économique – grand public, industriels, producteurs agricoles – aux enjeux et aux gains rendus possibles par des actions de réduction des émissions.
8. Les « territoires » ont un rôle majeur à jouer dans la mise en œuvre des actions de lutte contre le changement climatique. Les décennies à venir verront l’importance des agglomérations urbaines continuer à croître, le long des côtes notamment. Il est donc vital de concevoir et de promouvoir un urbanisme qui prenne en compte les capacités à vivre ensemble dans une ville solidaire et partagée, en visant la sobriété énergétique et la minimisation des émissions. Il faut sur ce point intensifier la coopération internationale pour profiter au mieux des expériences de chacun, compte tenu de ses spécificités culturelles, économiques et climatiques.
Les territoires jouent également un rôle primordial dans le choix et la promotion des technologies appropriées sur le plan local à la réduction des émissions et à l’adaptation au changement climatique, dans les secteurs du bâtiment et des transports notamment. Cependant les initiatives locales ne doivent pas s’écarter de la rationalité économique et faire l’objet d’échanges suffisants pour éviter la duplication inutile des efforts.
(Source : Passages-ADAPes – 16 Mars 2015)