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La négociation sur le climat met en relief deux obstacles majeurs : l’absence d’une véritable gouvernance mondiale ; le cloisonnement des systèmes juridiques, restés étroitement liés à la souveraineté des Etats. De sorte qu’il n’y a ni responsabilité collective des gouvernants à respecter leur engagement à maintenir la hausse des températures en dessous de 2°Celsius d’ici la fin du siècle, ni traduction juridique claire des engagements des gouvernements. François Hollande le sait bien qui évoquait encore tout récemment l’idée d’un Conseil de sécurité de l’ONU dédié à l’environnement. Quant à la controverse récente entre John Kerry et Laurent Fabius sur le caractère contraignant ou non de l’accord de Paris, elle en dit long sur les hésitations : faut-il, pour parvenir à un consensus, accepter un accord vidé de son contenu et de ses engagements ? 
« En attendant une Déclaration universelle des responsabilités humaines, faisons de l’accord sur le climat l’occasion d’un progrès substantiel dans le droit de la responsabilité : les propositions juridiques du Collège de France. » Tel est l’appel de Pierre Calame, Fondateur de l’Alliance pour un monde responsable et solidaire. 
 
Ainsi, le droit, s’il est imaginatif, a pu, par sa plasticité, s’adapter plus vite que les autorités politiques à des situations nouvelles et les juges sont en mesure, en cas de carence de celles-ci, d’anticiper et de créer de nouvelles formes de régulation. Or c’est exactement la situation où nous nous trouvons aujourd’hui. 
 
« Le dérèglement climatique est un défi dans les deux sens du terme : chance et risque. Certes le risque est considérable et ne doit pas être ignoré. Mais un tel risque peut néanmoins être une chance pour l’humanité. On peut y voir une occasion exceptionnelle de prendre conscience de notre communauté de destin et de tester notre capacité à changer la direction de la gouvernance mondiale avant qu’il ne soit trop tard.
Le Pape François a raison de dire que «tout est intimement lié » et d’encourager une « écologie intégrale ». Tout est lié en effet, du climat aux relations entre l’homme et la nature, puis de la nature aux enjeux économiques, sociaux et culturels, et même aux relations interhumaines. » 
Mireille Delmas-Marty 
 
Responsabilité planétaire
 

Le projet de Déclaration universelle des responsabilités humaines (DURH) stipule : « La responsabilité implique de prendre en compte les effets immédiats ou différés de ses actes, d’en prévenir ou d’en compenser les dommages, que ceux-ci aient été ou non commis volontairement, qu’ils affectent ou non des sujets de droit. Elle s’applique à tous les domaines de l’activité humaine et à toutes les échelles de temps et d’espace. Elle est imprescriptible dès lors que le dommage est irréversible ». C’est pourquoi on peut affirmer que les sociétés humaines et les gouvernements qui les représentent se comportent aujourd’hui vis à vis du climat et de la biosphère de façon parfaitement irresponsable. Et, toujours pour citer la DURH, « l’ampleur et l’irréversibilité des interdépendances qui se sont créées entre les êtres humains, entre les sociétés et entre l’humanité et la biosphère constituent une situation radicalement nouvelle dans l’histoire de l’humanité, transformant celle-ci de façon irrévocable en une communauté de destin » : la responsabilité ne peut de ce fait être que planétaire. 
 
C’est dire tout l’intérêt du  programme de travail animé par deux titulaires successifs de la Chaire de droit du Collège de France, Mireille Delmas Marty et Alain Supiot, deux juristes de grande renommée, intitulé « Prenons la responsabilité au sérieux » et des « 12 propositions  juridiques pour la Conférence de Paris sur le climat »
.
Ce programme a permis d’explorer, en l’absence d’une DURH adoptée par la communauté internationale, les ressources actuelles du droit sur lesquelles s’appuyer pour donner une portée réelle aux engagements pris à Paris. 
 
Comme le note Mireille Delmas Marty dans l’introduction à ces propositions, la question du changement climatique est devenue le symbole même de l’interdépendance planétaire, donc de la dimension universelle de notre responsabilité. Elle constitue à ce titre « une occasion exceptionnelle de prendre conscience de notre communauté de destin et de tester notre capacité à changer la direction de la gouvernance mondiale avant qu’il ne soit trop tard ».


L’enjeu dépasse même celui du climat : « un accord ambitieux sur le climat contribuerait, dit-elle, non seulement à protéger la nature et l’écosystème mais aussi à préparer plus largement l’avenir de l’humanité … c’est sans doute le seul domaine où un accord sur un nouveau modèle de gouvernance mondiale serait possible… a contrario, un échec de la Conférence climat de Paris annoncerait un chaos durable car il semble peu probable d’obtenir autant de convergences dans d’autres domaines sensibles de la globalisation ».
 
Au moment où les attentats de Paris montrent de leur côté l’inadaptation du droit international face à un terrorisme globalisé on ne saurait mieux dire (voir aussi l’interview de Mireille Delmas Marty dans Le Monde du 18 novembre)
 
Une mondialisation marquée par l’abdication
 
Dans la brillante introduction au livre « Prenons la responsabilité au sérieux » (Presses universitaires de France, novembre 2015), qui fait la synthèse du programme de travail, Alain Supiot replace cette réflexion juridique dans son contexte historique. Faisant d’abord le parallèle avec le droit social, il rappelle comment, à la fin du XIXe siècle, la révolution industrielle a obligé à élargir considérablement le concept de responsabilité, donnant naissance à notre droit social actuel : et c’est le juge qui a précédé le législateur en actualisant de vieux concepts juridiques pour les adapter aux nouvelles réalités. Ainsi, le droit, s’il est imaginatif, a pu, par sa plasticité, s’adapter plus vite que les autorités politiques  à des situations nouvelles et les juges sont en mesure, en cas de carence de celles-ci, d’anticiper et de créer de nouvelles formes de régulation. Or, c’est exactement la situation où nous nous trouvons aujourd’hui. 

La communauté des gouvernants n’a pas été capable de créer, face à une mondialisation irréversible, les conditions d’une régulation mondiale efficace garantissant l’intégrité de la biosphère, la sécurité des sociétés , la stabilité de la monnaie. Elle s’est ainsi mise, par une sorte de servitude volontaire, dans la main des seuls pouvoirs à l’échelle de cette mondialisation, les entreprises transnationales : plutôt l’abdication que la coopération.
Alain Supiot montre que, dans ces conditions, faute de règles internationales encadrant les activités économiques et dans un contexte où les Etats se font concurrence pour attirer les investissements, les relations internationales se sont réorganisées sur un mode féodal, d’allégeance en l’échange de la protection, qu’il s’agisse des relations dissymétriques entre Etats ou des relations entre les entreprises transnationales, leurs filiales, sous traitants et fournisseurs. 

Or le droit sait, en exploitant avec compétence et créativité ses ressources, faire face à ces nouvelles réalités, en tirant les conséquences de ces nouvelles formes du pouvoir, car, comme le dit encore la DURH, « la responsabilité est proportionnée au savoir et au pouvoir ». Les entreprises ne pourront s’en tirer en revendiquant leur autonomie tout en prétendant s’en tenir aux engagements volontaires de la Responsabilité sociale (RSE) ; pas plus que les Etats ne pourront s’en tirer en prétendant garder leur souveraineté et s’en tenir, à propos du climat comme à propos du terrorisme mondial, à des engagements eux aussi volontaires dont le respect ne serait pas imposé par le droit.


 
Un droit au secours du climat
 
Les propositions présentées par le Collège de France sont le fruit d’un dialogue entre grands juristes et juges de France, des Etats Unis, du Brésil, de Chine, d’Italie, de Grande Bretagne. Elles tentent, dans l’esprit de ce que je viens de décrire, d’aller aussi loin que possible pour tirer parti du droit actuel de manière à exiger des Etats et des entreprises transnationales d’assumer leurs responsabilités objectives. Elles comportent deux parties :
- les responsabilités juridiques des Etats et des entreprises trans-nationales en matière climatique ;
- plus largement, les conditions de justiciabilité des entreprises trans-nationales en proportion de leur pouvoir et de leur impact sociétal et la nécessité d’intégrer les enjeux sociaux et environnementaux dans le droit international économique.


 
Ces propositions sont complétées par l’ouvrage collectif de juristes français, « propositions pour un droit au secours du climat » qui montre que, face à des défis d’ampleur nouvelle, il est inévitable de combiner de multiples sources de droit, public et privé, civil et pénal.

 Quelle que soit leur créativité, les juges ne peuvent agir seuls : ils sont un des maillons, certes essentiel, mais un des maillons seulement, des trois étapes de la procédure juridique : qui sont les responsables ? Qui peut déclencher l’action en responsabilité ? Qui est juge de la responsabilité ? C’est pourquoi ces propositions, où de grands professionnels du droit montrent ce qu’il est possible de faire même dans le cadre actuel du droit international, n’auront toute leur portée que si la société civile s’en saisit et c’est pourquoi j’ai désiré les partager avec vous. 

Elles ne sont néanmoins qu’un pis aller et ses rédacteurs le savent rien. Il faut les considérer non comme une réponse définitive mais comme un premier pas en direction d’un droit international à la hauteur de nos interdépendances et de notre co-responsabilité planétaire, qui impliquent, le plus rapidement possible, l’adoption de la Déclaration universelle des responsabilités humaines, la définition des biens publics mondiaux – le climat aujourd’hui n’existe même pas en droit ! – et d’un gardien de ces biens.

 
Pierre Calame, Président honoraire de la FPH, Fondateur de l’Alliance pour un monde responsable et solidaire
Cofondateur du Forum China Europa
Président de CITEGO
 

Livre « Prendre la responsabilité au sérieux » de Alain Supiot et Mireille Delmas-Marty (Ed. PUF, 2015)

 

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